Win Freddy. “J’entendais les noms de ma mère. Ma tante. ma Grand-mère. Mon père. Mon oncle Ephraïm”

Win Freddy

78.

Quelques jours plus tard…

Je téléphonais au Musée du Souvenir d’Ecaussinnes-d’Enghien. J’expliquais à l’interlocuteur la fuite de mes parents de la région anversoise. Où la chasse aux Juifs était particulièrement intense.

Je cherchais des informations sur l’installation de mes proches dans la commune.

L’homme m’apprenait qu’il existe un livre édité par le Cercle d’information et d’Histoire locale. Il reprenait les heures sombres de l’Occupation. Ils y avaient récemment ajouté le chapitre des Juifs. Il se proposait de le chercher. J’attendais impatient au téléphone.

J’entendais les noms de ma mère. Elle avait été arrêtée par les Allemands. Il ne savait pas quand. J’entendais les noms de ma tante. Elle avait été arrêtée par les Allemands. Il ne savait pas quand. J’étais abasourdi. Ecrasé. Incrédule. Elles n’avaient jamais été arrêtées.

J’entendais les noms de ma grand-mère. Suivait l’adresse. Suivaient les noms de mon autre grand-mère. Suivaient les noms de mon père. Suivaient les noms de mon oncle Ephraïm. Suivaient les noms, après les noms, après les noms… Tous les noms des membres de la famille. Les adresses. Les dates des installations…

            Il leur était interdit depuis le 1er juin 1942 de circuler entre 20 heures et 7 heures du matin. Ils recevaient le 18 juin trois étoiles jaunes par personne au prix de 1 franc pièce. Il leur était interdit de s’établir dans d’autres localités que Bruxelles, Anvers, Liège et Charleroi. Tous les Juifs se trouvant dans la commune devenaient des illégaux.

            Je réfléchissais tandis que les mots retrouvaient le vivant des années. Il y avait trois photos de Juifs dans le livre. Je ne connaissais pas les deux dames. Il y avait la photo d’un jeune homme. Je n’y croyais pas. Il s’appelait ? J’avais le souffle coupé. Ahuri. J’étais scié. Il s’agissait de mon oncle Ephraïm.

            Le lendemain…

            J’avais rendez-vous avec le conservateur du Musée. Il me recevait avec bienveillance. Autour d’une tasse de café. J’avais l’histoire locale sous les yeux. J’étais subjugué par le livre. La photo du jeune homme. Je ne me rappelais pas l’avoir vue.

J’avouais ne pas comprendre. Maman et sa sœur n’avaient jamais été arrêtées. L’homme s’excusait. Il ne savait pas répondre. Il proposait de se renseigner auprès des anciens qui avaient vécu la guerre. Il donnait plusieurs coups de téléphone. Il ne trouvait pas grand-chose. Il était désolé.

Il me permettait de consulter le registre de la population de 1942, archivé. Alors qu’il sortait de la pièce me laissant seul, je palpais le livre, ses pages comme une bible. Je fouillais les feuilles minutieusement à la recherche d’informations. Les renseignements étaient choquants. La boue sous les yeux, le mot Juif salissait les papiers d’une bureaucratie abjecte. J’examinais, j’interrogeais les lignes appâts d’un meurtre programmé. Certains des membres de la famille avaient disparu sans laisser d’adresse. Était-ce une formule pour masquer leurs arrestations ? Ou avaient-ils pris la fuite ? D’autres membres étaient inscrits au registre de la population de Schaerbeek à Bruxelles à partir du 10 août 1942.

Je repérais ce qui sautait aux yeux. Ephraïm ne pouvait être à Schaerbeek le 10 alors qu’il arrivait le 5 août 1942 à Auschwitz.    

Il me conduisait à travers les rues de la petite ville. Il s’arrêtait aux adresses des Juifs pendant la guerre. Il me racontait ce qui était arrivé à certains d’entre eux. 

            La dame qui nous ouvrait rue de Soignies ne savait pas grand-chose. Elle était au travail lors des arrestations. Elle se souvenait le choc, le malaise parmi les habitants de la commune.

Les autres portes de la rue restées fermées, il me remettait un numéro de téléphone. Cette personne pourrait peut-être vous renseigner, disait-il, avant de prendre congé.

            Après le repas du soir, je montais me réfugier aux creux de ces pages. A l’ombre de mon bureau ou de ma vaste table en formica orange. Où j’écrivais les maux qui battaient ma vie.

Je tenais le papier au numéro de téléphone aux bouts des doigts. Qui brûlaient l’envie d’appeler mais n’osaient pas.

Je respirais une dernière fois avant de me lancer. La personne au bout du fil ne répondait pas à la demande. Elle me laissait sur le carreau, abandonné, humilié.

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