Chronique d’un antisémitisme ordinaire, témoignage, par Yvan Tetelbom

L’antisémitisme n’est pas mort. A la lecture des événements actuels, j’éprouve le besoin rassembler quelques souvenirs personnels sur ce thème à travers des faits avérés somme toute anodins.

Nous sommes encore en Algérie. L’heure de L’indépendance a sonné. Dans quelques jours nous partirons pour la France. J’entends pour la première fois des phrases, sur mon passage, prononcées par des jeunes de mon âge comme « sale juif » à l’issue d’une guerre où les juifs ont pour la plupart apporté leur l’aide morale ou matérielle à une population qui a souffert.

A notre arrivée en France, mes parents habitent une cité populaire située dans la banlieue d’Orléans. Au début, la vie y est simple et tranquille. Il y a de la solidarité entre les résidents. Beaucoup de pieds noirs peuplent ces appartements assemblés en cubes. Puis la population européenne s’en va progressivement, remplacée par une autre d’origine maghrébine. Mes parents n’ont pas les moyens de quitter cette cité. Des allusions antisémites sur notre appartenance à la religion juive, fusent, puis alors que le conflit israëlo – palestinien s’enlise, des jeunes glissent des papiers enflammés sous notre porte, brûlant la mezouza, signe religieux apposé au chambranle de l’entrée. La situation devient invivable. Mes parents ont peur. Lorsque mon père meurt, ma mère ne peut plus rester.

C’est une époque où je travaille dans une municipalité. Mon chef de service, une femme autoritaire, me prend en grippe et me harcèle. Je démissionne. Mais avant de partir je vais la voir. Et je lui demande la raison de cette haine à mon égard. Elle me répond : vous êtes juif et les juifs ne sont jamais des petits employés. En tout cas ils ne le restent pas. Ils ont plus d’ambition. Ils ont tous des professions en vue. Si vous étiez resté, vous auriez pris ma place.

C’est une autre période où je travaille dans une trésorerie. C’est kippour. J’ai droit à titre exceptionnel à 1 jour de congé payé. Je le fais savoir à ma hiérarchie. Un de mes collègues vient me voir l’œil noir, en m’apostrophant en ces termes : non seulement tu prends des jours de congés aux fêtes chrétiennes mais en plus, en tant que juif, tu profites de notre générosité en t’octroyant des jours que nous n’avons pas.

Je suis animateur littéraire à la maison d’arrêt de Nice. Les détenus sont à 80 % issus de l’immigration.Ca se passe bien. Mais ça se complique quand je présente mes recueils de poèmes. Ils lisent mon nom. Mais t’es juif me disent ils ? Alors tu dois être riche, comme tous les juifs, comme Mark Zuckerberg le patron de Face book qui a créé son « mur » sur fond bleu qui évoque le mur des lamentations et le drapeau d’Israël.

Je retourne en 2011 dans mon village kabyle où je suis né pour y créer un festival de poésie. Je suis fier d’apporter un peu de culture à mes frères kabyles. Je reçois contre toute attente, une belle subvention d’un organisme privé algérien, pour le mettre en œuvre, ce qui attise toutes les convoitises, les jalousies, Alors nombre de gens là bas font courir le bruit que j’ai détourné de l’argent. Ils me traînent sur les réseaux sociaux avec des phrases immondes, que je reprends ici comme je les aie reçues, telle : vous vous êtes comporté en juif car se sont vos origines, aujourd’hui nous sommes convaincus que vous êtes revenu pour vous remplir les poches. Nous refusons catégoriquement que vous remettiez les pieds au village.

Nous sommes en 2016. J’anime des événements poétiques à Paris et l’un de mes invités est un poète syrien. Il vient de fuir son pays. Nous prenons un café en terrasse. Il me dit tout de go : si mes parents savaient que je parle à un juif, ils me tueraient.

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