Tel-Aviv à Paris, une vision décoiffante de la gastronomie

Portée par un phénomène mondial, la cuisine israélienne fait recette dans la capitale.

Chez Mulko, deux enceintes placées au-dessus du comptoir-cuisine diffusent du Jimi Hendrix. Pendant ce temps, on se régale d’un meorav. Cette spécialité de Jérusalem est constituée d’abats de poulets grillés, assortis de panais, betterave, potimarron, fenouil et chou vert. Le tout sur un lit de frikeh, un blé vert torréfié venu du Levant. «Prononcer le mot “Israël”, a longtemps été la garantie d’entrer dans un débat politique sans fin, constate Pierre Boulko, le chef de cette table israélienne ouverte en septembre à Paris. Je ne veux pas m’engager là-dedans. Mon ambition est simple: faire de la bonne cuisine pour tout le monde.» Pari gagné.

Cet état d’esprit, œcuménique et sans folklore, anime d’ailleurs tous ces restaurants israéliens qui, depuis un peu plus d’un an, poussent comme des champignons dans la capitale: Chiche et Salatim en septembre, Balagan en juin, Yafo et SoumSoum en avril, Tavline en janvier, Ima en septembre 2016… (Pardon pour ceux que l’on oublierait.) Le phénomène est inédit – cet automne, le livre Paris – Tel-Aviv de Chloé Saada (Éditions Hachette, 35 €) s’en fait en partie l’écho. Comme pour décloisonner encore plus les esprits, la majorité de ces adresses a atterri loin de l’épicentre juif de la rue des Rosiers. Point de politique, donc, ni de religion: aucun de ces lieux n’obéit aux prescriptions rituelles du judaïsme. D’ailleurs, en versant un cabernet-sauvignon de haute Galilée, la serveuse de Tavline sort son plus beau sourire: «Pour que le vin soit vraiment kasher, il faudrait que la bouteille soit ouverte par un homme en faisant la prière.». Elle s’excuserait presque.

Une expérience radicale

Mais alors, qu’est-ce que la cuisine israélienne? Réponse: un immense melting-pot. La salade fattouche (pita grillée, poivron, radis, laitue, piment, herbes et épices) ou le labneh (fromage frais aigrelet) tirent plutôt leurs origines du Liban ou de la Syrie. Le houmous est aussi partagé avec la Turquie et la Grèce. Quant à la betterave (rôtie et épicée chez Tavline), elle porte l’influence ashkénaze d’Europe de l’Est. Israël s’est construit par adjonction de cultures et de cuisines. Depuis sa création, en 1948, il est le point de convergence d’une grande diaspora internationale.

«À ma carte, seul le chou-fleur rôti est 100 % israélien», commente le chef de Tavline, Kobi Villot-Malka, désignant cette recette mise au point par le chef Eyal Shani de l’enseigne Miznon (chronologiquement: Tel-Aviv, Paris, Melbourne, Vienne et New York) et devenue, ces derniers mois, un gimmick des nouvelles tables parisiennes. «Pour moi, la cuisine israélienne ne se résume pas aux produits: c’est un état d’esprit, constate Yariv Berreby, le chef de Salatim, ancien de Ze Kitchen Galerie (une étoile). Eyal Shani et Assaf Granit ont transposé la joie de vivre, la simplicité et la générosité du pays dans leurs assiettes. Sans se poser de question sur les traditions et l’histoire. Il y a une vraie spontanéité, une audace.»

«J’ai compris que Paris avait soif du genre d’expérience radicale qui nous définit, qu’il s’agisse de la cuisine, du service ou de l’atmosphère», explique justement Assaf Granit, qui a ouvert Balagan («pagaille» en yiddish) avec l’équipe de l’Experimental Cocktail Club (Fish Club, Grand Pigalle Hôtel, Bachaumont…). Au Balagan, l’expérience, en effet, est décoiffante: à un jet de pierre de la place Vendôme, au rez-de-chaussée d’un hôtel cinq étoiles, les cuisiniers accueillent les clients par un grand «welcome!» (un seul Français officie ce soir-là). Le chef leur serre la main puis une potion arak-citron. Tout ce petit monde trinque des deux côtés de la cuisine ouverte et le dîner commence: huîtres condimentées sur un grand plateau, agneau et coulis de framboise, tartare de bœuf dressé dans la paume de la main…

En fait, il aura fallu attendre que la cuisine israélienne mûrisse à l’intérieur de ses propres frontières. Puis qu’elle s’exporte dans les grandes métropoles. Avant de prendre racine à Paris cette année: «La France possède une gastronomie très forte qui la rend assez imperméable aux influences étrangères, décrypte Lotan Lahmi, à la tête du bar à houmous Yafo. Mais toutes les tendances finissent par y arriver.»

Depuis la fin des années 1990, Tel-Aviv est ainsi devenue une des capitales gastronomiques les plus dynamiques de la planète. «Là-bas, être créatif n’est pas une option, témoigne Pierre Bouko-Levy chez Mulko. Tout va très vite. La durée de vie d’un restaurant est de neuf-dix mois. Ça trace, c’est fou! Il y a tellement de cuisiniers hypermotivés que la demande de travail dépasse l’offre. Conséquences: ils partent à l’étranger.» La sociologie du pays est ainsi faite: « Israël, c’est petit. Les idées circulent et les gens voyagent beaucoup», commente Lotan Lahmi, né en Israël mais dont les parents sont français. «On fait trois ans de service militaire. Après ça, on a envie de se lâcher, on s’ouvre à beaucoup de choses, on rompt avec les codes établis, raconte Yariv Berreby. En général, on passe un an à parcourir le monde.»

«Une nourriture joyeuse»

À Philadelphie, en 2008, Michael Solomonov a ouvert Zahav, une table distinguée par la prestigieuse fondation gastronomique James Beard. Après Machneyuda à Jérusalem, Assaf Granit a lancé The Palomar en 2014 à Londres: carton immédiat. En 2015, Alon Shaya a créé Shaya à La Nouvelle-Orléans et Nir Mesika, Timna à New York. Mais le parrain incontesté se nomme Yotam Ottolenghi: après le restaurant à son nom inauguré en 2002, à Londres, ce chef est devenu le plus grand ambassadeur de la cuisine israélienne. Ses trois best-sellers Ottolenghi (2008), Plenty (2010) et Jérusalem (2012) meublent d’ailleurs les étagères de la plupart des ambassades installées à Paris. À commencer par Ima, dont les assiettes végétariennes ont tout de suite été identifiées par la critique (ravie) comme un copié-collé d’Ottolenghi.

«Dans le monde entier, les gens sont désireux de recettes qui sont bonnes pour la santé et souvent sans viande, observe Tamir Nahmias, qui, après avoir été second du restaurant très couru Frenchie, devrait ouvrir sa propre adresse à Paris, début 2018. Principalement composée de légumes frais et de légumineuses, la cuisine du Moyen-Orient répond à cette demande. Ajoutez à cela que c’est une nourriture joyeuse, pleine de peps, de saveurs et d’épices, et le succès est garanti!»

Source lefigaro

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