Jules Isaac à la recherche des racines de l’antisémitisme

Portrait de Jules Isaac, historien, qui s’est penché sur toutes les prières de l’Église catholique, pour voir la manière dont celles-ci parlaient des juifs.JulesIsaac

Cette année, Pessah et la Pâque chrétienne tombent la même semaine. C’est l’occasion de parler des relations entre ces deux religions. Il s’agit d’une histoire douloureuse et triste, mais tout de même pleine d’espoir.

Le 14 avril, les chrétiens célébraient le Vendredi saint, où ils ont commémoré le jour de la crucifixion de Jésus, avec des processions, des chemins de croix, et une célébration. Or, pendant des siècles, au cours de cette célébration, les catholiques récitaient ce que l’on appelait la prière « pro perfidis judaeis ». Cela signifie littéralement « pour les juifs qui n’ont pas cru au Christ ». Mais c’était traduit, en français, comme la prière « pour les juifs perfides ». Car si le terme latin perfidis signifie de fait « incrédule », sans connotation péjorative de fourberie, c’est bien dans ce dernier sens qu’il était compris par la plupart des catholiques. D’autant plus que, dans toute la série des prières de ce Vendredi saint, celle pour les juifs était la seule où l’assemblée ne marquait pas de temps de silence ni ne s’agenouillait.

 

Jules Isaac

Cette prière ne se dit plus, aujourd’hui. Grâce à un juif Français, une personnalité extrêmement attachante, et trop oubliée de nos jours : Jules Isaac, né en 1877, un grand professeur d’histoire de la troisième République, un fervent républicain et aussi un fervent patriote. Après des études brillantes, il est professeur, puis inspecteur général avant-guerre. Il co-rédige, avec son collègue Mallet, les fameux livres d’histoire Mallet-Isaac sur lesquels ont bûché jusque dans les années 1980 des générations d’élèves de secondaire en histoire.

Mais ce professeur, encensé par la République, ce même Jules Isaac se retrouve à partir de 1940 mis au banc de la nation, simplement parce qu’il est juif. La République ne se contente pas de le dégrader : elle lui prend sa femme et sa fille qui ne reviendront pas des camps d’extermination. En 1945, à presque 70 ans, et épuisé par des années de clandestinité et le deuil de ses proches, Jules Isaac a alors une réaction incroyable : il va chercher à comprendre, comprendre l’incompréhensible, cette haine des juifs qui lui a pris ses êtres les plus chers.

Et en bon professeur, il est allé voir les textes : il s’est penché sur toutes les prières de l’Église catholique, pour voir la manière dont celles-ci parlaient des juifs. Il a alors très clairement montré comment les racines de l’antisémitisme se trouvaient aussi dans l’enseignement de l’Église. Ce ne sont pas les seules, écrit-il, mais sans doute les plus profondes. Il parle de « l’enseignement du mépris » proféré par le catholicisme à l’égard du judaïsme, ce sera le titre d’un de ses livres. Et tout naturellement, l’une de ses premières demandes porte sur cette fameuse prière du vendredi saint.

Sera-t-il entendu ?

Oui, mais lentement. Trop lentement. Le vieil historien est cependant parvenu à faire bouger les choses, grâce à une volonté incroyable, et tout un travail de persuasion qu’il mène auprès des responsables chrétiens, protestants comme catholique, européens. Il est l’un des fondateurs des amitiés judéo-chrétienne, en 1947. En 1949, il obtient une audience auprès de Pie XII, pour lui demander de changer cette prière pour les juifs. Malheureusement, le pape Pie XII refuse de changer le texte latin, en expliquant que perfidis ne renvoie pas à perfide mais à l’absence de foi. Il se contente de rétablir et la génuflexion et la prière silencieuse pour les juifs.

Il faut attendre Jean XXIII pour que soit supprimé, en 1958, l’adjectif « perfidis ». Le même Pape Jean XXIII rencontre Jules Isaac, et les deux hommes deviennent amis, en 1960. Ils sont morts la même année, en 1963. Jules Isaac ne verra pas ce qu’il a inspiré, à savoir la reconnaissance du rôle des juifs par les chrétiens lors du concile Vatican II, ni le pape Jean-Paul II, premier pape à entrer dans une synagogue, et enfin, en 2000 à glisser un papier dans le mur de Jérusalem, une autre prière, mais celle-ci pour demander pardon aux juifs…

Le Vendredi saint, les catholiques prient-ils toujours pour les juifs ?

Oui, une prière qui reconnaît la place qu’occupe Israël comme peuple élu dans le projet de Dieu (« peuple à qui Dieu a parlé en premier »), donc c’est la fin de ce fameux mépris à l’encontre de cette religion qui a précédé le christianisme et que les chrétiens reconnaissent comme désormais « leurs frères aînés » dans la foi. Cela on le doit à cet homme, Jules Isaac, qui n’a jamais manifesté ni désir de revanche, ni de haine. Mais simplement une volonté de rétablir un rapport de respect et de vérité entre les deux religions. Pour que jamais plus, comme il l’a écrit en préface d’un de ses livres, on ne puisse exterminer une fille et une femme « simplement parce qu’elles s’appelaient Isaac ».

Source franceinter

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