Simon Massbaum sur l’antisémitisme : «Faisons attention à ne pas tout justifier»

Présent à Millau, vendredi, pour la cérémonie en mémoire des juifs du Millavois raflés et déportés, Simon Massbaum, président de l’association pour la mémoire des déportés juifs de l’Aveyron, a confié son inquiétude par rapport à la montée actuelle de l’antisémitisme. Un sentiment auquel le film «Ils sont partout», réalisé par Yvan Attal et sorti hier dans les salles, vient faire écho.caricature antisémite

Le devoir de mémoire était l’un des aspects de la cérémonie de vendredi. Comment jugez-vous la façon dont il est accompli de nos jours ?

Aujourd’hui, tout a été mis en œuvre pour qu’il y ait une connaissance absolue du génocide des juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale ; un génocide unique par sa conception industrielle et scientifique. L’essentiel a été fait mais on se heurte à une difficulté, qui est le temps. Par nature, les témoins vont progressivement disparaître, mais grâce à toutes les recherches effectuées, les preuves de ce qui s’est passé demeureront. En dépit de ça, on voit que l’antisémitisme réapparaît petit à petit, au travers de monstruosités entendues dans la rue, lues dans la presse ou dans des tweets. C’est pourtant un mot qui renvoie à la mort de six millions de personnes, dont un million et demi d’enfants. On va dire que c’est dû à l’ignorance mais elle n’est plus tolérable, pas plus que tous les prétextes qui sont avancés, y compris par certains intellectuels qui se livrent à des questionnements douteux.

Comment expliquez-vous cet antisémitisme ?

Je ne sais pas. Cette question me hante depuis l’âge de douze ou treize ans, quand on m’a traité de sale juif pour la première fois. Ce jour-là, d’ailleurs, lorsque je suis rentré chez moi, je me suis lavé car je pensais vraiment que j’étais sale. Est-ce parce que les juifs ont été riches ? Quand ils ont été pauvres, on le leur a également reproché… Toujours est-il qu’il est bien réel, comme on a pu le voir avec ces enfants abattus dans une école à Toulouse, ou ces personnes tuées à Paris. Toujours à Toulouse, je me souviens qu’il y a quelques mois, une responsable du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France, N.D.L.R.) était venue dans une manifestation car des slogans antisémites et homophobes avaient été repris. On peut être d’accord ou pas avec cette organisation, mais il se trouve que sa représentante avait été prise à partie et expulsée du cortège par des manifestants d’extrême-gauche. Quand je vois ça, je suis désarmé. J’arrive à soixante-six ans et je ne pensais pas vivre ça.

L’antisémitisme n’est donc pas l’apanage de l’extrême-droite ?

Non. Il suffit de prendre l’exemple du colonel François de La Rocque, qui a dirigé l’Action française. Il était d’extrême-droite, conservateur, mais pas antisémite. L’antisémitisme traverse les courants, à droite et à gauche, sous différents noms : antijudaïsme, antisionisme. Aujourd’hui, il réapparaît grâce à des alliés que l’on trouve parmi les gens déshérités. Je peux me permettre de le dire car je l’ai moi-même été ; j’ai vécu dans des cités HLM toute ma jeunesse. Avec les autres habitants, nous étions tous d’origines différentes mais ces grands villages nous réunissaient. Aujourd’hui, ils contribuent à générer l’antisémitisme, à cause d’une manipulation de la part de certains. On va dire : «Oui, c’est la crise», mais faisons attention à ne pas tout justifier. Les personnes pauvres et celles qui sont riches ont le même volume de cerveau, la même possibilité d’acquérir des connaissances, et, surtout, la même conscience. Elle est concrète et ne diffère pas de ce qu’ont fait, par le passé, les Justes, qui étaient des gens de droite, de gauche, petits, gros, riches ou pauvres, et qui ont caché des familles pour les protéger. La conscience va au-delà de la connaissance. Elle est comme une rampe quand on descend les marches d’un escalier : elle permet de ne pas tomber. Les croyants appellent ça «l’âme» mais moi, je suis un laïc invétéré et j’utilise donc le mot «conscience». J’ai peur qu’elle disparaisse mais en même temps, l’être humain est tellement changeant que je garde espoir.

Avez-vous foi en le genre humain ou en les pouvoirs publics ?

Je fais confiance au gouvernement actuel, comme au précédent, qui ont agi et agissent comme ils peuvent, ce qui n’était pas le cas il y a une grosse dizaine d’années. La prise de conscience est réelle, éducative, pédagogique, mais aussi, hélas, policière, avec des forces de l’ordre présentes devant les lieux de culte alors qu’elles seraient plus utiles ailleurs. Je m’inquiète également en voyant des gens comme ceux de Charlie Hebdo, qui ne sont pas juifs, mais qui ont payé injustement. Ils ne méritaient pas la mort, jamais. Cette violence et ce non-respect de la vie me laissent un goût amer, mais je crois en la puissance du genre humain, grâce aux Justes, car il y en a encore en ce moment ; des gens remarquables, que l’on retrouve également chez les intellectuels musulmans. Il faut d’ailleurs lire leurs textes car ils sont d’une grande richesse et les débats qu’ils soulèvent me permettent de garder espoir.

Recueilli par Romain Gruffaz

Source ladepeche

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