Marco le flambeur, au cœur du procès du “casse du siècle”

8 montres, 17 manteaux de fourrure et 47 sacs de luxe. C’est le butin saisi par les douaniers aux domiciles parisiens de Marco Mouly. “Des faux”, assure l’as des arnaques financières. Des vrais évidemment, après vérification auprès de Vuitton et Hermès. Un brin mythomane mais toujours élégant, Marco. “ Il aime les femmes et la sape, il prend soin de lui”, s’amuse un enquêteur, habitué aux coups de bluff de ce fan de poker et de black jack. Il aurait même inspiré à l’humoriste Gad Elmaleh son personnage de Coco, le flambeur qui veut organiser la bar-mitsvah de son fils au Stade de France. Mais, à partir du 2 mai, c’est devant le tribunal correctionnel de Paris qu’il comparaîtra, aux côtés d’Arnaud Mimran, autre habitué des tables de jeu et des pages de magazines people.

flambeur

La justice les accuse d’avoir participé à la plus grande escroquerie commise en France: le “casse du siècle”, qui a permis de détourner, en quelques mois, 1,6 milliard d’euros de TVA sur le marché des quotas de CO² fin 2008 début 2009. Avec une dizaine de traders, courtiers et hommes de paille, Marco Mouly, Arnaud Mimran et Samy Souied, décédé depuis, sont soupçonnés d’avoir empoché, à eux seuls, 283 millions. C’est le plus beau coup de la longue carrière de Mouly. La retracer c’est s’offrir une plongée saisissante au cœur de la grande délinquance financière de ces vingt dernières années.

” Il est quasi illettré mais il sait compter “

Mardoché Mouly, dit Marco, marié, trois enfants, est né à Tunis en 1965. Mais il a grandi à Belleville, avec six frères et sœurs, comme les Souied, d’autres exilés juifs tunisiens. Entre les deux familles, on fréquente la même synagogue sur le boulevard, on va manger des brochettes chez René et Gabin. On se marie parfois et on fait des affaires souvent. Marco a fait ses débuts avec les frères Souied dont le petit dernier, Samy. A peine majeur, il devient “décaisseur” dans des arnaques aux faux encarts publicitaires: il récupère les chèques des entreprises pigeonnées et retire les espèces. Il y gagne sa première condamnation à 13 mois de sursis en 1993.

“Il est quasi illettré et le revendique, ce qui en fait un personnage assez exceptionnel dans la galaxie, observe un magistrat. Mais il sait compter et c’est tout sauf un idiot.” Sa spécialité c’est la “tève”, la TVA, et ce qu’on appelle le carrousel: une société “taxi”, créée pour l’occasion, achète, hors taxe, des marchandises dans un pays européen, et les revend ailleurs à une autre société en facturant la TVA, sans rembourser le fisc. La première affaire pour laquelle il se fait pincer date de 1998 et porte sur du matériel informatique: 8 millions piqués au fisc danois. Mouly ne sera jugé qu’en 2015 et écopera de trois ans de prison dont un ferme; le procès en appel aura lieu en septembre. Son “associé” dans l’opération n’est autre que Grégory Zaoui, l’un des pionniers de la fraude au CO².

Mouly doit son premier séjour en prison – huit mois à la Santé en 2004 – à une autre escroquerie à la TVA dans la téléphonie. Cette fois, le fisc français est escroqué de 964.000 euros. Mouly sera condamné en appel en février 2016 à deux ans de prison dont un ferme. La Cour évoque l’implication de Samy Souied, rentré dans l’arnaque en raison d’une dette de Marco à son égard. En quelques années, le petit Samy est devenu le “gadol” (le grand en hébreu), une figure respectée du milieu. Les faux encarts publicitaires ont fait sa fortune et on le surnomme le “caïd des hippodromes” en raison de ses liens avec le milieu hippique.

Un bagout hors-norme

Nos compères se retrouvent dans une autre affaire en 2005-2007, encore à l’instruction à Rennes. Mouly est accusé d’avoir mis en place un circuit fictif de vente de matériels téléphoniques et détourné 4,2 millions de TVA. Selon nos informations, Nadav Bensoussan figure parmi les mis en examen. Ce “génie des montages frauduleux” dixit Mouly, est le roi des sociétés offshore, comme l’a raconté Challenges. On croise aussi Robert Belhassen, une pointure interpellée en 2015 par la police israélienne; il est accusé d’avoir soutiré 756.000 euros à l’Olympique de Marseille en se faisant passer pour un agent de joueur.

Marco le rigolard se sert de son bagout hors-norme pour ses arnaques. “Il a le don de faire sortir ses interlocuteurs de leurs rails”, admire un proche. L’un de ses faits d’armes serait “d’avoir soutiré un million à un pigeon au téléphone, assis sur les WC, porte grande ouverte”, raconte Cyril Astruc, une autre légende des arnaques, à Vanity Fair. Il précise que lui et Mouly sortaient souvent avec Gad Elmaleh dans un hôtel parisien branché, le K-Palace. L’été, Marco avait ses habitudes au Martinez à Cannes où il séjournait avec Samy Souied. Il fréquentait aussi le Baoli, la célèbre boîte de nuit, sur le port Pierre Canto où sont amarrés les yachts.

C’est Marco qui aurait fait les présentations entre Souied et Arnaud Mimran, un autre flambeur issu des beaux quartiers, réputé pour ses amitiés haut placées, notamment avec le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, comme l’a révélé Mediapart. Les trois aigrefins appliquent la technique du carrousel de TVA au marché des droits à polluer: les sociétés “taxi” achètent, hors taxe, des quotas de CO² à l’étranger, et les revendent en France TVA comprise (19,6 %) sans la reverser à l’Etat. Les profits sont ensuite réinvestis selon le même schéma, et ainsi de suite. De quoi faire tourner le carrousel et grimper le pactole.

Des comptes en Suisse

Dans l’ordonnance de renvoi que Challenges a consultée, les juges estiment que Mouly était “très impliqué, aussi bien dans le montage que le financement de la fraude”. Il leur explique la différence entre “le CO2 casher et le CO2 pas casher, le premier consistant à voler la TVA, le second à être courtier.” Surtout, il a ouvert trois comptes chez HSBC à Genève pour des sociétés panaméennes (Folmann, Equinox et… Fantomas!) dont deux au moins sont détenues par des prête-noms; “or ces comptes sont alimentés par le produit de la fraude.”

Les juges ont recensé de nombreux voyages en Israël durant l’arnaque, en même temps que Mimran. Le motif selon Mouly: “faire la fête” et “voir des filles”. Le bonhomme ne manque pas d’aplomb: contrôlé au retour de Suisse par les douaniers, avec 100.000 euros en espèces dans une boîte de kleenex, il se fait passer pour son frère et assure qu’il s’agit d’un héritage de sa grand-mère!

Son train de vie semble sans rapport avec ses revenus déclarés, qui paraissent faussement justifiés: “il déclare au titre des salaires et assimilés 165.000 euros en 2009, 80.000 en 2010 et 216.000 en 2011”, sans fournir de fiches de paie. Il dépense 4 millions dans un appartement sur l’avenue Georges Mandel, dans le 16 ème arrondissement, mais se cache derrière un contrat de location d’une SCI détenue par des prête-noms. Marco prête aussi 4 millions (2 selon lui) au financier Thierry Leyne, l’ex-associé de Dominique Strauss-Kahn dans le fonds LSK, qui sera retrouvé mort, défenestré, au pied de sa tour à Tel-Aviv, fin 2014. Suite à la faillite de LSK, une information judiciaire a été ouverte contre X pour escroquerie. Les enquêteurs ont aussi retrouvé des fiches de paie de la fille de Mouly, un temps salariée par une des sociétés de Leyne.

Des meurtres mystérieux

Le magot du CO2 a fait tourner les têtes des escrocs, habitués à se trahir au gré des opportunités. Les embrouilles entre “associés” se multiplient et le sang commence à couler. Le 14 septembre 2010, quelques jours après une virée de la joyeuse troupe à Las Vegas, Samy Souied est abattu de six balles de calibre 7,65 par deux tueurs en scooter, Porte Maillot. Il serait venu à Paris pour discuter d’un investissement boursier avec Arnaud Mimran. Présent à côté de Souied, Mimran dit n’avoir rien à voir avec ce meurtre. Même chose pour Mouly, entendu à plusieurs reprises. “Je suis peut-être un délinquant financier mais je ne suis pas un meurtrier”, affirme-t-il au juge. “Je n’ai jamais eu de problème avec Samy pour de l’argent. Quand je lui demandais, il me prêtait. Et en plus la terre entière me prêtait de l’argent, mais c’était une façon de parler.” Aucune charge n’a été retenue contre Mimran et Mouly.

“Les parties civiles ont été très actives et essayé d’aider la justice au mieux mais l’enquête n’avance pas”, déplore l’avocate de la famille Souied, Sylvie Messica-Sitbon, jointe par téléphone. Cette enquête serait freinée selon Mediapart par de possibles collusions entre policiers et “escrocs du CO2”. D’ailleurs, Eric Souied, le frère de Samy, qui est aussi partie civile et défendu par un autre avocat Arié Alimi, a porté plainte contre X le 28 avril, pour corruption passive commise par une personne exerçant une fonction publique, et association de malfaiteurs…

Entre-temps, Marco a été rattrapé par les fraudes au CO2. Interpellé en avril 2013, il passe 14 mois à la prison de Nanterre. Son appartement est saisi et ses comptes suisses (7 millions) gelés. “Il n’a pas pris autant d’argent qu’on le dit, assure un proche. Depuis la mort de Samy, on essaye de lui faire porter un costume trop grand pour lui.” Juste avant sa sortie de prison, c’est son cousin, Cyril Mouly, également neveu de Samy Souied, qui a échappé à une tentative d’assassinat. Surnommé “The Frenchman” lorsqu’il alignait les liasses de billets à la Bobby’s Room, la célèbre table de poker de Las Vegas, Cyril a été condamné en première instance à cinq ans ferme pour une escroquerie aux encarts publicitaires. Albert Taïeb, dit Bébert, homme à tout faire des Mouly et des Souied, qui l’accompagnait ce jour-là, a eu moins de chance et a été mortellement poignardé. Là aussi, l’enquête semble au point mort. Le procès de Marco Mouly, que nous avons tenté de contacter en vain via ses avocats, David-Olivier Kaminski et Serge Kirszenbaum, permettra peut-être d’en apprendre plus sur ces meurtres mystérieux.

Source : http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160429.CHA8510/marco-le-flambeur-au-c-ur-du-proces-du-casse-du-siecle.html

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