Géopolitique du Houmous. Par Daphné Rousseau

Enquête sur le pois-chiche de la discorde.

Et de la communion.

Le Houmous occupe une place centrale sur la table des Israéliens et encore plus dans la construction et le renforcement de leur identité nationale. Les Israéliens raffolent de ce plat moyen-oriental au point d’en avoir fait un emblème « bleu-blanc » et d’avoir tissé autour de lui un véritable empire industriel et culturel, au plus grand désespoir de leurs voisins arabes.
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La famille Karawan, plus connue sous son nom de guerre Abou Hassan n’a pas pris la peine d’imprimer son affichette en arabe. C’est en hébreu que le restaurant de houmous le plus connu d’Israël, une institution située à Jaffa et prise d’assaut par les Israéliens chaque week-end, a annoncé sa fermeture annuelle pour la fête musulmane de l’Aïd.
« Je suis en deuil », ironise Ofer, dépité après avoir tourné de longues minutes dans le quartier pour trouver une place de parking. Ce jeune Israélien, un inconditionnel d’Abou Hassan, salivait d’avance en pensant au houmous d’Abou Hassan décliné à toutes les sauces : tiède, avec des haricots (foul), de la tahine (ou thina), des champignons ou bien des œufs durs. Ici, le pois-chiche se sert sans chichi simplement avec des gros cornichons, un oignon cru et bien sûr une montagne de pitas fraîches. La seule excentricité que s’autorise Abou Hassan sur son menu : une petite salade tomates-concombres ou des frites pour accompagner le houmous. Puriste.
Les Israéliens aiment leur houmous. Ils aiment surtout les rituels qui accompagnent sa dégustation. On pourrait presque parler de culte. Les Israéliens peuvent ergoter pendant des heures pour déterminer où se trouve la meilleure « houmoussia » du pays. À l’étranger, en vacances ou expatriés, ils se lamenteront, pleins de nostalgie, en se remémorant la terre où coulent la tahine et le houmous tiède.
Et comme tous les cultes, la purée de pois-chiche a son calendrier de fêtes : le vendredi midi entre amis avec une bière avant shabbat, le samedi en famille car ce sera probablement le seul restaurant du coin ouvert, et aussi à n’importe quel autre moment. Le houmous a aussi son lieu de culte. Il se mange nécessairement dans un lieu qui commence par « Abu quelque chose » et sera préférablement situé dans le quartier arabe de la ville la plus proche (Jaffa, Vieille-ville de Jérusalem, Abou Gosh, Akko). Ce culte a aussi sa liturgie. Une expédition à la houmoussia commencera souvent par l’incantation suivante en hébreu : « bo le’nagev » , littéralement « viens on s’en essuie un », en référence au geste qui consiste à essuyer le plat avec une pita. Car celui qui osera réclamer une cuillère ou déposer un peu du plat commun dans sa propre assiette, sera perçu, au mieux, comme un hérétique, au pire comme un ashkénaze aux bonnes manières déplacées.
« Le houmous est un trait d’union entre les gens. Quand un groupe de personnes s’assoit dans un restaurant, une personne commande une bière, une autre un steak, une troisième du poisson, mais tout le monde trempe son pain dans le même houmous. Il y a beaucoup de symbolisme là-dedans » explique Doudi Menovitz , directeur général de Tsabar Salad, un des leaders israéliens du houmous en pot.
Symbole important pour les Israéliens, il en est même devenu un véritable emblème national. Il suffit de faire un tour au duty-free de l’aéroport Ben Gourion pour s’en rendre compte. On y trouve des pots de houmous d’un kilo détaxés et surtout le must des souvenirs à rapporter d’Israël : une carte postale en forme d’assiette pleine de houmous (ou de falafels) surmontée d’un drapeau israélien.
Les Israéliens sont fiers de leur Houmous mais ils savent parfaitement que ce n’est pas vraiment « leur Houmous » mais plutôt celui des cousins, notion vague et rassurante qui englobe aussi bien le voisin immédiat arabe israélien et le lointain voisin, syrien, jordanien, ou libanais, l’ennemi qui l’est tout à coup un peu moins puisqu’il « mange comme moi ».
Car le Houmous est à la fois le plus israélien et le plus arabe des plats possibles. Ce n’est pas forcément une contradiction. Et c’est sûrement cela qui choque le plus.

Le houmous appartient à ceux qui l’aiment

Le mot « houmous » vient de l’arabe “حمّص‎ ” (homous) qui signifie tout simplement « pois-chiche ». Les cueilleurs du néolithique étaient déjà adeptes de cette légumineuse dont ils avaient intuitivement deviné les propriétés nutritives. Après la sédentarisation (7000 av J.C), sa diffusion dans le croissant fertile (du Nil au Tigre) est fulgurante, et les archéologues retrouvent des traces de la culture du « houmous » en Syrie et en Irak, mais aussi en Himalaya et en Grèce. Scientifiquement parlant, il est probable, mais pas certain, que le houmous soit né au Proche-Orient. Si l’origine du pois-chiche est bien connue, l’origine de la préparation assaisonnée de ce que nous appelons désormais le « houmous », à savoir le « houmous bi tahini » (purée de pois-chiche et de sésame) reste, elle,, plus énigmatique. On retrouve trace du houmous dans la Bible, puisque Boaz proposa à Ruth lorsqu’elle arriva à Bethléem de tremper du pain dans du « himtza », qui désigne le pois-chiche en hébreu biblique. Beaucoup de livres de cuisine arabes perpétuent eux, un narratif selon lequel, le premier plat de houmous fut préparé par l’adversaire des croisés, l’empereur Saladin, au XIIe siècle.
Son apparition formelle dans la culture populaire israélienne remonte à la publication d’une recette de la « salade houmous » au début des années 1950 dans le livre « Ainsi nous cuisinerons » (Kaha Nevashel) , le premier livre de recette de l’État hébreu, sponsorisé par la Wizo et destiné à la nouvelle ménagère israélienne. En presque 70 ans, le houmous est devenu un incontournable du frigo de tous les Israéliens, qui en consomment en moyenne 10 kg par an et par personne.
« Ma consommation tourne plutôt autour de 50 kg », nous explique Shouki Galili, surnommé « The Hummus Guy », depuis que le journaliste a lancé en 2003 son blog en hébreu et en anglais « le Houmous pour les masses ».
« Ma famille est en Israël depuis 200 ans, je suis la huitième génération. Alors chez nous, la tradition culinaire, ce n’est pas le geffelte fish, ou la dafina, mais la plus traditionnelle des cuisines orientales, celle de nos voisins arabes, dont le houmous », poursuit-il.
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« Le houmous appartient à ceux qui l’aiment. On entend des gens dire que les Israéliens ont volé le houmous, et quelque part c’est vrai. Quelques Israéliens prétendent le contraire, et revendiquent une tradition juive ancestrale du houmous. C’est de la mauvaise foi et de l’ignorance. Mais l’ignorance n’est pas l’apanage d’Israël. Quand le Liban clame qu’il est « l’inventeur du houmous » c’est une aberration. Ils le sont au même titre que les Jordaniens et les Syriens, et même les Turcs et les Perses. On ne se demande pas qui a inventé les chansons folkloriques. C’est la même chose. »,
Depuis quelques années, Israël et le Liban se livrent à une guerre ouverte, sans chars ni roquettes, mais à coup de records du monde du plus gros Houmous du monde. Les batailles prennent la forme d’indécentes piscines de plusieurs tonnes de purée de pois-chiche exposée sur la place publique.
Ainsi, en 2009 sur la place des Martyrs de Beyrouth, Fadi Abboud, président de l’Association des Industriels Libanais (AIL) s’adressait en ces termes à son armée de cuistots prêts à tous pour pulvériser le précèdent record établi par Israël : « Ils nous ont volé notre terre, maintenant c’est autour de notre civilisation et de notre cuisine ». « Ils » désignait bien sûr les Israéliens et leurs 350 kg de houmous préparés à Tel-Aviv et authentifiés par le Guiness des records. Un record réduit en purée par les 2 056 kilos de pois-chiche préparés ce jour-là par les Libanais.

Manger un houmous à Damas

Chaque année à Pessah, les Juifs de diaspora font le vœu de se retrouver l’an prochain à Jérusalem. Les juifs israéliens font eux, selon l’adage si connu dans le pays, le vœu « d’aller un jour manger un houmous à Damas ». Une phrase qui encapsule tout ce que ce plat représente pour les Israéliens : un rappel permanent de leur étrange étrangeté dans ce Proche-Orient qui les rejette.
Pour la sociologue de l’alimentation et militante de gauche Liora Gvion, le culte que vouent les Israéliens au houmous relève bien du domaine de l’appropriation voire de l’expropriation.
« Quelle choutzpah (« culot » en yiddish) de penser que le houmous est un lieu de rencontre culturel entre les deux peuples. Parce que les Israéliens se sont appropriés le houmous et après qu’ils se le soient appropriés, ils veulent qu’en retour on leur dise ‘appelons ça un lieu de rencontre’. Aucun Palestinien qui a un peu d’estime pour lui-même ne gobera ça », affirme le professeur Gvion qui précise par ailleurs que par principe un Palestinien, considère toujours sa recette de Houmous comme une arme de résistance et refusera systématiquement de la communiquer à un Israélien.
Pourtant on assiste depuis quelques années à un phénomène significatif dans ce conflit palestinien des identités, conflit d’identités et de symboles.
Indéniablement, le houmous est devenu un symbole souvent humoristique et décalé de paix. La campagne « Make Houmous Not War » lancée en pleine guerre à Gaza à l’été 2014 par deux jeunes Français sur les réseaux sociaux avait fait un tabac. Il y a aussi ce gigantesque tag retrouvé un matin sur le mur qui sépare Israël de la Cisjordanie : « Make Hummus not walls ». Il y a aussi eu quelques trouvailles de coexistence, comme cette première glace au houmous lancée avec succès par deux copains, un Israélien et un Palestinien.
La colombe qui a pris du plomb dans l’aile depuis l’échec des accords d’Oslo, a cédé sa place dans un certain imaginaire collectif local à un réconfortant et bien peu aérien plat de pois chiches : le houmous, peut-être le seul à encore pouvoir colmater les brèches de plus en plus profondes entre les sociétés israéliennes et arabes.
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ENCADRE

La guerre israélo-libanaise du houmous : une guerre économique
Derrière cette guéguerre des records du monde entre Israël et le Liban, se cache en réalité une guerre pour le très juteux marché mondial du Houmous en pot. En Occident, le houmous est devenu un produit disponible dans n’importe quel supermarché, un produit « à la mode », consommé en tartine (spread) ou en apéritif. Aux États-Unis, le houmous est même annoncé comme le « nouveau guacamole » et le marché local est estimé à près de 1 milliard de dollars par an, avec une hausse de la consommation de 20 % chaque année, selon le journal Haaretz.
Or, pour l’instant, les deux compagnies possédant un quasi duopole sur le marché sont israéliennes. La première s’appelle « Sabra » une entreprise de production fondée par des Israéliens. Sabra est à moitié détenue par Pepsico, et est pour l’instant le n°1 sur le marché américain. Juste derrière, il y a « Osem » le géant de l’agro-alimentaire israélien qui détient « tribe », la deuxième marque sur le marché américain. De quoi faire enrager les Libanais qui n’ont toujours pas reçu les autorisations sanitaires pour produire du houmous frais, en pot et doivent se contenter de l’exporter dans des boîtes de conserves. Difficile à avaler.
Exergues
« Une expédition à la houmoussia commencera souvent par l’incantation suivante en hébreu : bo le’nagev, littéralement : viens, on s’en essuie un. »
« Quand un groupe de personnes s’assoit dans un restaurant, une personne commande une bière, une autre un steak, une troisième du poisson, mais tout le monde trempe son pain dans le même houmous. »
« Le houmous est devenu un incontournable du frigo de tous les Israéliens, qui en consomment en moyenne 10 kg par an et par personne. »
« La campagne Make Houmous not war lancée en pleine guerre à Gaza à l’été 2014 par deux jeunes Français sur les réseaux sociaux avait fait un tabac. »
Daphné Rousseau 
 
 

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