Les Polonais et l'Holocauste : un code de mémoire défectueux, par Michel Viatteau

La Pologne, le pays le plus touché par l’Holocauste des Juifs perpétré par les Allemands, en porte toujours les stigmates, étant souvent associée à tort, par l’expression “camps polonais de la mort”, à l’horreur symbolisée par Auschwitz.
Soixante-dix ans après la libération du plus grand camp d’extermination, celui d’Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 1945, ce soupçon rend encore nerveux les Polonais.

Konstanty Gebert
Konstanty Gebert

Parce qu’ils étaient eux-mêmes victimes du nazisme, ayant perdu six millions de leurs compatriotes, dont trois millions n’étaient pas juifs. Et parce que le travail de mémoire concernant des crimes commis aussi par des Polonais à l’égard des Juifs n’est toujours pas terminé.
Au temps de la Shoah, “on a vu en Pologne un héroïsme inimaginable et la trahison la plus abjecte, ainsi que tout le spectre de comportements entre les deux”, dit l’intellectuel juif Konstanty Gebert, une des plumes réputées du quotidien Gazeta Wyborcza.
Des milliers de Juifs ont été tués par des Polonais, surtout dans les campagnes. Et des milliers d’autres ont été sauvés par des Polonais qui risquaient la peine de mort pour cela.
“Pour sauver un Juif, il fallait la complicité de cinq à sept Polonais en> moyenne”, rappelle Gebert.
Les Polonais, au nombre de 6.400, sont la nation la plus représentée au monument de Yad Vashem à Jérusalem, dédié aux Justes, ceux qui ont sauvé des Juifs.

Travail de mémoire

Le travail de mémoire a fait des progrès depuis la chute du régime communiste, sous lequel le sort des Juifs de Pologne était un non-dit. La révélation du crime horrible de Jedwabne, un village dans le nord-est, où des paysans polonais avaient enfermé plusieurs centaines de leurs voisins juifs dans une grange avant d’y mettre le feu, a eu un grand impact sur l’opinion.
Une quinzaine d’autres crimes similaires, portant sur un nombre moins important de Juifs et perpétrés dans la même région, ont été évoqués depuis par les historiens.
Parfois, il s’agissait de se débarrasser de Juifs accueillis et cachés, souvent moyennant finances, lorsqu’on apprenait que les Allemands n’hésitaient pas à exécuter toute la famille polonaise concernée. Les meurtriers étaient motivés aussi par l’appât du gain, et encouragés par la propagande nazie.
Certains avaient vu des Juifs accueillir avec joie les troupes de Staline entrées en Pologne en septembre 1939, ce qui s’apparentait pour eux à la trahison nationale.
Le nombre exact des Juifs dénoncés ou tués par les Polonais fait l’objet d’estimations divergentes. Il s’agit certainement de milliers de personnes. Mais ces crimes n’ont aucun rapport avec l’extermination organisée par les Allemands comme une industrie et qui a fait 5,7 millions de morts, dont la moitié environ étaient des juifs polonais.

Les usines de la mort

C’est l’avis d’un des membres respectés de la communauté juive polonaise, le professeur de philosophie à l’Université de Varsovie Stanislaw Krajewski.

Stanislaw Krajewski
Stanislaw Krajewski

“Quant aux opinions, dit-il, selon lesquelles une attitude inamicale des Polonais à l’égard des Juifs aurait favorisé l’installation des camps de la mort, on ne dispose d’aucun renseignement qui puisse le confirmer. Installer les camps en Pologne était commode, car il y avait beaucoup de Juifs sur place et le régime d’occupation y était beaucoup plus cruel qu’en Occident.”
“Ces opinions étaient dues aux souvenirs de l’antipathie manifestée par les Polonais aux Juifs. Mais la distance est grande entre l’antipathie et le meurtre, et encore plus grande entre l’antipathie et la création d’une usine de la mort comme Auschwitz”, souligne M. Krajewski.
Si la collaboration de certains Polonais avec les nazis contre les Juifs est un fait reconnu, les autorités du pays estiment que la Pologne “avait réglé leur compte aux coupables”, poursuivis et jugés au lendemain de la guerre, comme le dit le vice-ministre des Affaires étrangères Artur Nowak-Far.
Reste que Varsovie est toujours extrêmement sensible sur la manière dont le rôle de la Pologne est présenté en Occident. Sa diplomatie réagit énergiquement quand elle surprend dans les médias ou dans la bouche d’un responsable – tel le président Barack Obama en mai 2012 – l’expression “camp polonais de la mort”.
“C’est un code de mémoire défectueux, dû souvent à l’ignorance. Nous avons le devoir moral de le corriger”, dit M. Nowak-Far.
Michel Viatteau pour AFP

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