Faut-il imposer la paix ? par Jean-Paul Fhima

Le réseau associatif qui milite pour la paix au Proche-Orient, JCall, a organisé le 24 juin 2014 un meeting à la mairie du 10ème arrondissement de Paris sous le titre : La communauté internationale peut-elle sauver la solution à deux États séparés ? Après l’attentat de Bruxelles et l’enlèvement des trois garçons israéliens dont on ne savait encore rien du sort tragique, la conférence posait la question suivante : si le dialogue et les compromis ne sont pas possibles entre Palestiniens et Israéliens, ne faut-il pas imposer la paix ?
L’European Jewish Call For Reason est un réseau associatif qui défend le principe de « deux peuples, deux Etats. » Lancé le 3 mai 2010 au Parlement européen de Bruxelles, JCall entend sortir du débat communautariste et des clivages politiques. Le mouvement donne régulièrement la parole à d’éminents intervenants issus de la société civile internationale. L’objectif est de partager des propositions concrètes et acceptables par les deux parties tout en reconnaissant un postulat indispensable à toute négociation constructive : « l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est contribuent à affaiblir et à isoler de plus en plus Israël sur la scène internationale en détériorant son image auprès des opinions publiques mondiales. »
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Tour à tour, Elie Barnavi (historien et diplomate), Hubert Védrine (diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères) puis Alain Finkielkraut (philosophe) ont pris la parole en présence d’un important auditoire et sous le regard bienveillant de Rémi Féraud, maire PS du Xe arrondissement, qui les accueillait.
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Elie Barnavi

« La paix sera imposée ou ne sera pas ».

(Elie Barnavi)

Malgré les apparences d’une économie en bonne santé, « la société israélienne va mal » a dit monsieur Barnavi sur un ton volontairement alarmiste. « Pour chaque Israélien la première épreuve commence dès le matin, quand on ouvre le journal ». Si Israël ne résout pas le problème des territoires occupés, « c’est l’avenir même de la démocratie et du judaïsme qui seront remis en question » parce que le vernis des institutions éclatera tôt ou tard sous la pression des inégalités sociales et des instances internationales. « Le bras-le-corps sans espoir avec les Palestiniens » fragilise l’Etat d’Israël. Il ne s’agit pas, affirme-t-il, d’un clivage droite-gauche comme le pensent les Juifs de France, mais d’une « simple prise de conscience de la réalité difficile à accepter (…) Il faut sauver les Juifs d’eux-mêmes, de leur aveuglement et de leur inertie ! » a-t-il ajouté sur le ton de la confidence, avant de redire avec une emphase modeste mais appuyée : « A vingt minutes de Tel Aviv, il se passe des choses épouvantables !
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Hubert Védrine

« Le printemps arabe n’a pas eu lieu,

nous avons été naïfs de le croire. »

(Hubert Védrine)

Évoquant la situation des pays arabes depuis 2011, l’ancien ministre français a confessé sur un ton un peu désabusé : « A part quelques exceptions, la révolution moderne et démocratique attendue ne s’est pas produite. Il s’est passé exactement le contraire » a-t-il rappelé en substance, indiquant que le développement social et politique de ces pays n’est pas pour demain. « Parce que le monde arabe est dangereux, seule la pression internationale peut juguler les extrêmes. » Et le diplomate de marteler sans fioriture : « Les Etats-Unis sont à même d’exercer cette pression sur Israël pour geler la colonisation (…) même s’il faut reconnaitre qu’Obama est relativement limité pour agir dans ce sens … »

« Le mot sionisme est devenu malfamé ».

(Alain Finkielkraut)

Dans un brillant exposé, le philosophe a livré au public son découragement et son pessimisme quant à la montée alarmante de l’antisémitisme en Europe et surtout en France. « Je suis désespéré car il faut se battre sans résultat » a-t-il remarqué. La dégradation de l’image d’Israël n’est pas due seulement à l’occupation. « Ce pays ne va plus de soi, il heurte dans son existence, dans sa réalité d’état juif face à la sensibilité mondialiste et multiculturaliste qui a largement cours d’aujourd’hui ». Finkielkraut cite l’antisioniste Tony Judt qui affirmait qu’ « Israël est anachronique » parce que, parmi les États démocratiques, « ce pays se définit par des critères ethno-religieux faisant des Juifs des citoyens au-dessus des autres. » (Thinking the Twentieth Century, Jony Judt and Timoty Snyder, 2013)
« Cette idée nocive a largement inspiré le mouvement BDS » a souligné Alain Finkielkraut. Ainsi, l’Etat juif irait à l’encontre d’un monde ouvert et sans frontière. Pour tous ses détracteurs poursuit le philosophe, « Israël ne va pas dans le sens de l’évolution du monde ». Or, nous dit-il avec conviction, « le multiculturalisme n’est pas une marque de supériorité mais plutôt un voile pudique sur un antisémitisme virulent qui fait des Juifs les premières cibles d’un choc des civilisations. »
« Cette Europe mondialiste, poursuit Alain Finkielkraut, n’est pas une terre de paix mais le territoire privilégié d’un jihad diffus dans lequel les Juifs, repliés dans une attitude défensive, ont du mal à accepter la critique d’Israël. »

« Cette paix qui tarde à venir, n’attend plus. »

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Alain Finkielkraut

Le gouvernement israélien, nous dit encore Alain Finkielkraut avec force gestes, « a peur de ses colons et de ses extrémistes qui ne veulent pas du démantèlement. Sans démantèlement, il n’y aura pas de paix. » Il ne faut attendre rien d’autre de celle-ci qu’un simple accommodement, « lequel accommodement ne peut être qu’un retrait unilatéral des territoires occupés. Sinon, c’est la paralysie (…) La paix ne venant pas, l’antisémitisme va prendre partout des proportions catastrophiques. On ne peut se résoudre à un statu quo inacceptable. »
Sans remettre en doute la conviction et l’opportunité de ces propos, une question tout de même se pose avec fracas.
S’il est dit sur la page d’accueil du site internet du mouvement JCall que « la création d’un Etat palestinien viable aux côtés d’Israël ne se fera que sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », les événements actuels à Gaza méritent réflexion.
Le retrait israélien de la bande de Gaza en 2005 et l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2006 ont-t-ils permis à la paix d’avancer ? L’existence de deux Etats dépend-t-elle seulement du gouvernement israélien ? Le Hamas permet-il aujourd’hui la viabilité d’un Etat palestinien ? A considérer que les Palestiniens sont bien un peuple c’est à dire une Nation au sens politique du terme, sont-ils capables de disposer d’eux-mêmes quand on sait que leur seule conscience nationale réside dans la volonté farouche d’éradiquer les Juifs et l’état d’Israël ? Ce dernier resterait-il viable longtemps si les implantations en Cisjordanie étaient, elles aussi, démantelées sans contreparties solides garanties par la communauté internationale ? L’état hébreu peut-il remettre son destin entre les mains de ces mêmes instances internationales qui ne cessent de condamner le sionisme et de faire le jeu d’un traitement inégal des deux parties ?
Pour relancer le processus de paix, le rôle des États-Unis et surtout de l’Europe nous dit-on, est déterminant. « Tout se passe au niveau européen » a scandé avec bonne humeur monsieur Féraud qui se dit déterminé (nous sommes le 24 juin) à tout faire pour éviter que le conflit du Proche-Orient s’importe à Paris et porte le masque de l’antisémitisme (sic). Il est vrai que l’ONU et l’Union européenne ont montré leur indéfectible attachement à l’existence de l’état d’Israël ! (sic deux fois)
A cet effet, le maire du 10ème arrondissement s’est félicité de contribuer aux efforts de paix avec Anne Hidalgo et de nombreux autres maires de France. Triste bilan en vérité !
Ce beau satisfecit a de quoi faire pâlir d’exaspération et de colère quand, quelques jours seulement après cette conférence, on voit que :
1) Le PS est incapable de sévir significativement contre un élu de ses rangs qui tient des propos antisémites en public, qui plus est (circonstance aggravante) dans le cadre de ses fonctions.
2) Ce même PS, et cette même madame Hidalgo, maire de Paris, ne se sont guère bousculés pour condamner avec force les débordements arabes et antijuifs des derniers jours, ce qui est une illustration comme une autre du traitement inégal que nos politiques réservent à ce conflit « qui leur tient à cœur ».
3) Indiscutablement, le conflit israélo-palestinien n’est qu’un prétexte au déferlement inimaginable de la haine antijuive qui a déjà pris d’assaut la rue parisienne et française, et prend en otage le gouvernement actuel qui ne peut, ou ne sait, contenir les appels au crime et à la haine, les lynchages et les violences, eu égard aux propos (in)cohérents du président de la République lui-même.
4) L’aveuglement médiatique qui minimise ou relativise les événements gravissimes qui se sont déroulés dans notre pays sous prétexte de manifestations pro-palestiniennes est une autre illustration de l’aveuglement acharné de nos élites mais aussi de nos concitoyens. Pour ne pas voir la vérité, on préfère abandonner les Juifs de France à leur triste sort, sans se soucier que cette haine déguisée en antisionisme porte en réalité d’autres oripeaux que l’on fait semblant de ne pas voir pour s’éviter d’avoir peur. Faut-il rappeler que la peur n’évite pas le danger ? Messieurs les Républicains de salon, il est temps d’avoir peur, la maison brûle !
5) L’inconsistance élogieuse des discussions et des débats entre ‘’experts’’ (le mot fait frémir) se heurte à des événements qui laissent chaque jour un peu plus le champ libre à l’invasion islamiste qui s’empare de notre société laïque et républicaine et dont le seul objectif est bien sûr de la détruire.
6) Pour que la paix puisse s’imposer, il faudrait que les institutions internationales ne considèrent plus l’Etat israélien comme un adversaire accusé des pires maux mais comme un allié qui partage précisément la même vision politique et les mêmes valeurs culturelles que l’Occident, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
La vraie question soulevée par JCall est plutôt la suivante : peut-on imposer la paix … à Israël, et à Israël seul ? Au détriment de sa sécurité et de celle de sa population ? Il semble que, à plus d’un titre, les événements actuels sont une sorte de réponse.
L’idéologie pacifiste a prouvé depuis longtemps ses limites et surtout ses revers cinglants dans l’histoire récente et dramatique du second XXème siècle. Si les accords, les compromis et les tentatives de dialogue ont échoué, n’est-ce pas la paix elle-même qui est un leurre ? Et Alain Finkielkraut de conclure son intervention par ces mots terribles mais justes : « Le pape, conscient de l’impossibilité politique d’y parvenir, a invité récemment les responsables des deux parties à venir prier avec lui au Vatican. A défaut de pouvoir agir, est-ce là le rôle des gouvernants ? »
Parce qu’elle est un terrible aveu d’impuissance, la prière n’est-elle pas le dernier recours de l’espoir ?
Par Jean-Paul Fhima
 
 
 
 
 

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