Genève : un Iran triomphant, par Zvi Mazel

Des propos qui sont aujourd’hui devenus réalité. Il semble bien que l’accord de Genève loin d’être un effort sérieux pour stopper la course de l’Iran vers l’arme nucléaire n’est qu’un pas de plus dans la fuite de l’Amérique du Moyen-Orient.
L’Arabie Saoudite et les pays du Golfe sont encore sous le choc. La relation particulière qu’entretenait Washington avec Riyad depuis près d’un siècle était la pierre angulaire de la politique américaine tant dans le Golfe que dans l’ensemble du Moyen-Orient. Les Américains avaient besoin du pétrole saoudien et protégeaient les routes de l’exportation à travers le Golfe ; ils fournissaient également armement et matériel de défense sophistiqués à la monarchie saoudienne. Les pays du Golfe se croyaient en sécurité grâce à cette relation particulière qui perdurait depuis des décennies.
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Lorsque le Shah a perdu son trône et que Khomeini a pris le pouvoir en1979, l’Iran est devenu une menace redoutable pour les pays du Golfe, et l’Amérique s’est empressée de les protéger contre les tentatives de subversion de leur grand voisin. Une politique qu’elle semble abandonner aujourd’hui. Ce qui s’est passé à Genève n’est qu’un pas de plus dans le chemin emprunté par un président américain qui semble vouloir à tout prix se désengager de la région. Il a quitté précipitamment l’Iraq et Afghanistan sans avoir obtenu de résultat tangible, abandonné Moubarak, soutenu les Frères musulmans, tourné le dos au nouveau régime au Caire qui se bat contre l’Islam radical, zigzagué sur la question syrienne et aurait, suivant la rumeur, des contacts avec le Hezbollah et avec les mouvements islamiques les plus extrémistes en Syrie.
 

UNE STRATÉGIE DÉLIBÉRÉE

Examinées ensemble, toutes ces initiatives semblent relever d’une stratégie délibérée et d’un changement de cap. Le front des pays arabes pragmatiques contre l’Iran, qui réunissait l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe et l’Égypte – avec le soutien tacite d’Israël – n’est plus. Il avait déjà été sévèrement endommagé lorsqu’Obama a abandonné en janvier 2011 son vieil allié Moubarak dont il a précipité la chute ; l’accord de Genève lui a donné le coup de grâce. C’en est fini de l’axe du mal. L’Iran n’est plus considéré comme l’ennemi de l’Amérique qui y voit désormais un partenaire potentiel pour remodeler le Moyen-Orient. Qui plus est, il semblerait que l’accord de Genève ait été précédé par des négociations secrètes entre Téhéran et Washington sous la médiation d’Oman. Ce qui a sans doute amené les Iraniens à comprendre que le président américain était encore plus déterminé à se débarrasser rapidement du problème et à abandonner le Moyen-Orient qu’ils ne le pensaient. D’où leur spectaculaire succès.
L’accord laisse leur infrastructure nucléaire intacte et l’Occident leur reconnaît tacitement le droit d’enrichir l’uranium – en flagrante violation de six résolutions du Conseil de Sécurité prises dans le cadre de l’article 7 de la Charte des Nations Unies, donc des résolutions contraignantes assorties de la menace de sanctions pouvant aller jusqu’à l’usage de la force en cas de non-respect. Compte tenu du fait que les Iraniens ne se sont pas empressés d’obtempérer, on est en droit de douter de les voir faire mieux avec l’accord de Genève. D’ailleurs on est aussi en droit de douter de voir cet accord préliminaire suivi d’un accord définitif au bout de six mois. Obama lui-même ne donne que 50% de chance de succès à cette possibilité. Bref, alors que les Iraniens ne faisaient pratiquement pas de concessions, les États-Unis et l’Union européenne ont accepté de défaire la couverture de sanctions qui étouffait l’économie iranienne et qui, si elles avaient été maintenues, auraient peut-être amené le résultat souhaité. Aujourd’hui nombre de multinationales s’apprêtent à se lancer à la conquête du marché iranien. Un processus qui sera difficile, voire impossible, à remettre en cause.

L’ISLAM SUNNITE

Pour les Saoudiens, l’accord signifie aussi que l’Iran considère avoir reçu le feu vert à la poursuite de ses activités subversives dans le Golfe. Ils y voient une menace bien réelle. L’opposition qui réclame l’instauration d’une monarchie constitutionnelle va se trouver renforcée tandis que la minorité chiite va exiger un statut meilleur. Pour sa part Al Qaeda va reprendre ses attaques. Il ne faut pas oublier que l’Arabie Saoudite est le porte-parole et le rempart de l’Islam sunnite et qu’à ce titre elle se bat pour le soutenir non seulement dans le Golfe, mais encore en Iraq, en Syrie, au Liban et au Yémen. On a pu le constater il y a quelques semaines lorsqu’une milice chiite pro-iranienne en Iraq a déclenché un tir de mortiers sur la frontière saoudienne. Et il ne faut pas oublier la tentative d’assassinat de l’ambassadeur saoudien à Washington par l’Iran. Sans doute plus préoccupant encore, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe ne sont plus tellement convaincus que l’Amérique va maintenir sa présence militaire dans leur région pour protéger les routes du pétrole.

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Jawad Zarif

Quant à l’Iran, elle consolide sa victoire en se tournant vers ses voisins du Golfe qui se sentent plus exposés que jamais compte tenu de sa supériorité technologique et militaire. Téhéran a reçu le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis et envoyé son propre ministre des Affaires étrangères, Jawad Zarif, faire une tournée à grand spectacle des pays du Golfe. Il s’est déjà rendu au Koweït, au Qatar, aux Émirats unis et à Oman et s’apprête à aller en Arabie Saoudite. Il a tendu un rameau d’olivier douteux en déclarant que son pays était prêt à discuter du sort de l’une des trois îles situées dans le détroit d’Hormuz et qui sont revendiquées par l’Iran et les Émirats. Par contre Zarif n’est pas revenu sur la menace d’envahir Bahreïn faite par son pays et s’est bien gardé de calmer les appréhensions soulevées par les activités subversives de l’Iran par l’intermédiaire des minorités chiites. Bref, jamais l’Iran n’a été dans une telle position de force dans la région.

UNE COURSE À L’ARME ATOMIQUE

Il y aura sans doute des tentatives de dialogue au cours des prochains mois, mais l’Arabie Saoudite risque de penser qu’elle n’a d’autre issue que de développer son propre programme nucléaire. En attendant, elle a pris des contacts préliminaires avec la Russie sur la base de leurs intérêts communs et notamment leur volonté de combattre les Frères Musulmans et de soutenir le nouveau régime en Égypte. Quant à ce pays, la plus grande puissance arabe du Moyen-Orient, il va sans doute reprendre et développer le programme nucléaire amorcé par Moubarak. Le Caire s’apprête à lancer un appel d’offres pour une centrale nucléaire dans la région de Dabaa – où le président déchu avait posé la première pierre de quatre centrales de ce type pour produire de l’électricité.
En bref, le fait que les États-Unis aient abandonné leur rôle stabilisateur au Moyen-Orient est hautement préoccupant. Il semble que Washington préfère des éléments radicaux subversifs – de l’Iran aux Frères Musulmans et aux mouvements salafistes – qui voient là le signe de la faiblesse grandissante de l’Occident. Les alliés traditionnels de l’Amérique dans la région ne cachent pas leur appréhension en dépit des assurances déployées par le secrétaire américain à la défense Chuck Hagel lors de son récent passage à Bahreïn pour les convaincre du soutien indéfectible de son pays. Le résultat : la Russie fait un retour remarqué au Moyen-Orient où une nouvelle course à l’arme atomique s’amorce.
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Zvi Mazel, Ancien Ambassadeur d’ Israël au Caire
Texte publié par le CRIF

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