Ultras antifeujs et Muslim Pride, par Jean-Paul Fhima

Trocadéro, printemps 2013. Des casseurs à pied ou en scooter, se mêlent aux supporters de foot venus fêter la victoire de leur équipe du PSG. Mobilier urbain saccagé, vitrines de bars et de magasins détruites, c’est « un paysage de désolation » (Adrien Pécout, Le Monde, 14 mai 2013). Les beaux quartiers de Paris, en quelques instants, ont été livrés à la violence gratuite, transformés en gradins de stade. Police débordée, riverains choqués. Résultat : la fête gâchée, un bus de touristes pillé, 30 blessés, 42 interpellations, 38 gardes à vue.
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Les débordements récents, en marge des défilés pro-Gaza, étaient de la même veine. Des bandes de jeunes, un peu bandits un peu voyous, ont subitement pris le pouvoir de la rue. Sauf que, cette fois, on ne s’est attaqué ni aux abribus ni aux cafés chics du 16ème arrondissement. On s’en est pris aux personnes, aux biens et aux symboles juifs.

En France,

la fête est gâchée depuis longtemps.

Gaza Firm,

« petit groupe pacifique »

Les manifestants parisiens sont « humains avant tout » écrivait le journaliste Faïza Zerouala (Le Monde, 3 août 2014). « A Gaza, c’est l’humanité qu’on assassine » criaient-ils en effet, résolument convaincus d’être du côté du bien et de la morale, par opposition implicite à Israël situé donc dans le camp de l’exact inverse. Ce manichéisme sommaire ne semble avoir gêné personne, surtout pas le journaliste lui-même qui évoque un « petit groupe » du nom de Gaza Firm remarqué pour la première fois dans les rues de Paris le 13 juillet (Caroline Monnot, Le Monde, 26 juillet 2014).
Composé d’une cinquantaine de personnes, ce groupe très remuant, écrit Zerouala, aurait bien été repéré dans les cortèges pour sa « propension à l’affrontement ». Joli euphémisme pour désigner des jeunes gens « pacifiques », selon lui, tapant dans les mains et chantant selon les codes des tifosi sympas fidèlement attachés à leur club de foot. Pacifiques dites-vous ?
Tout comme les excités de stade appelés ultras, les jeunes des manifestations, portant tee-shirts Fly Emirates ou 10-Gaza, se sont déplacés en bande et ont mis ‘’une sacrée ambiance’’. Ils ont soutenu bruyamment leur ‘’équipe’’ et n’ont pas hésité à « faire le spectacle à grand renfort de banderoles, étendards, bâches et drapeaux, totems d’appartenance et de reconnaissance » (Nicolas Fourcade, sociologue et spécialiste du milieu ultra, 3 mars 2010, Libération).
Ce groupe encore mal connu emprunte ses codes à la culture du supportérisme (vêtements, chants, slogans, gestes). Il est issu du PSG, surtout du Virage Auteuil réputé banlieusard, métissé et populaire. Ce sont de jeunes hommes âgés de 15 à 30 ans pour la plupart, qui ont souvent appartenu à des factions dissoutes en 2010 pour cause de violence dans les stades.
Gaza Firm regrouperait les plus mécontents d’entre eux, motivés par une volonté de s’opposer à ce qu’ils considèrent comme une injuste répression policière. On les sait proches de l’association d’extrême droite de Soral, Egalité et Réconciliation.
Mathias Cardet, quadragénaire antisioniste franco-camerounais en est « le chef de bande » (Libération, 6 août 2014). Dans deux livres publiés par Kontre-Kulture (maison d’édition de Soral), il se dit lui-même « dissident Hooliblack » (hooligan black) c’est-à-dire à la fois ancien ultra du PSG et militant de la cause noire.
La plupart des ‘’Firm’’ sont des immigrés de seconde génération, prétextant de leur « malaise social » pour justifier leurs prises de position. Toutefois, dans un communiqué (en date du 25 juillet 2014), ils se revendiquent apolitiques, non liés aux antifascistes (antifa) ni à la mouvance Dieudonné-Soral. « Libres et insoumis », ils défendent ce qu’ils nomment leurs idéaux et convictions mais réfutent l’étiquette de casseurs. Ils souhaitent, disent-ils, « venir en aide aux enfants de Gaza », dénoncer « la barbarie que subissent ces enfants ». Ils prétendent, d’autre part, assurer la sécurité des manisfestants parisiens.
Faux. Gaza Firm est totalement partie prenante de « la sphère soralienne du Net » qui revendique sa posture très antijuive comme un certain Joe le Corbeau alias Gérard Noël. Ce dessinateur de 32 ans, proche de Dieudonné et Cardet, a été mis en examen par le parquet de Toulouse en janvier 2014 pour avoir pris une photo d’un quenellier devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Il dénonce un « monde occidental infiltré par le sionisme », un « monde chrétien perverti par l’idéologie marchande d’usuriers sans scrupules » et reproche aux médias d’être « aux ordres d’Israël. » On l’a vu avec Cardet au bal des quenelles donné par Dieudonné le 21 juin dernier. Ses liens avec Gaza Firm sont évidents.
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Pendant la manifestation ‘’Jour de colère’’, le 26 janvier 2014, quatre-vingt ultras du PSG ont bastonné violemment de jeunes juifs et ont diffusé leurs exploits sur internet. Cardet faisait partie de ces émeutiers dont la véhémence très sélective s’époumonait contre le CRIF et les Juifs, poing levé et foulard sur le nez. Il est probable que le groupe Gaza Firm se soit constitué dans le sillage immédiat de cette manifestation.
«La violence, chez les ultras, est à la fois marginale et centrale. Elle est marginale car elle n’intervient pas souvent et ne concerne pas tout le monde. Mais elle est centrale car elle ne peut pas être rejetée complètement » (rapport sur le phénomène ultra remis à Rama Yade, secrétaire d’Etat aux sports en 2010). Parfois, l’affrontement prend le dessus et devient l’essence même du « supportérisme [qui] est un lieu du politique » (Ludovic Lestrelin, sociologue du sport, EHESS).
La ferveur fanatique et la juvénilisation de ces groupes pose problème. Leur comportement est peu prévisible, leur autorégulation peu efficace. L’émulation collective créé un sentiment de supériorité et de puissance qui peut dégénérer (Le Point 25 octobre 2010).

phima7894Supporters de foot dans un stade

Dans ces nébuleuses hétérogènes et aux influences multiples, les rares éléments d’unité sont le sport (foot) et la musique (rap).

Les supporters de la haine

Le foot n’est pas toujours un vecteur de tolérance et de fraternité, loin s’en faut. On ne compte plus les dérives et les manifestations de haine antisémite sur les terrains, en France comme à l’étranger.
Pendant un match du Maccabi Brussels contre le FC Anderlecht-Milan (au parc du Bempt à Forest près de Bruxelles), on a crié « sale juif » sur le terrain a rapporté en direct l’animateur d’une radio belge (Gilbert Dupont, DH.be, 2 octobre 2014). Déjà en 2004, la même équipe du Maccabi avait été insultée (par des joueurs du KFC Haren) jusque dans les vestiaires aux cris de « Heil Hitler ». Des drapeaux du Hamas et du Hezbollah avaient flotté dans les tribunes.
Des incidents violents ont éclaté au cours du match amical dans le stade de Bischofshofen (Autriche), entre le LOSC-Lille et le club israélien Maccabi Haïfa (24 juillet 2014). Les supporters turcs très agressifs ont réclamé dans les gradins la libération de la Palestine en criant « Mort à Israël (…) Vous êtes des meurtriers. » Puis des dizaines d’individus excités s’en sont pris directement aux joueurs israéliens après envahissement de la pelouse. La rencontre sportive a dû être interrompue à la 86ème minute.
Détourné de sa fonction première, le sport deviendrait un nouveau prétexte de boycott anti-israélien et d’agression antijuive. « Il faut réagir à l’agitation en provenance d’Ankara » a rapporté le quotidien libéral-conservateur Die Presse. « La Turquie considère l’Europe comme une simple arrière-garde de sa politique de haine (…) qui fait allègrement l’amalgame entre les habitants d’Israël et les juifs » (Die Presse, 25 juillet 2014).

phima4587Supporters austro-turcs agressant les joueurs du Macchabi Haïfa

 Le 18 septembre dernier, les supporters du Partizan Belgrade brandissaient à domicile une banderole antisémite (pendant un match de la Ligue Europa) contre l’équipe de Tottenham réputée pour recevoir le soutien des Juifs de Londres. « Ce qui lui a déjà valu d’être la cible de provocations antisémites. » (Foot L’Equipe, 6 octobre 2014). Le club serbe a été condamné à 40 000 euros d’amende pour injures et a été sanctionné par l’UEFA.
Ces dérives ne sont pas nouvelles. Un rapport de la LICRA sur l’antisémitisme dans le football notait, il y a dix ans déjà, une recrudescence anormale et accélérée des propos, menaces et actes anti juifs dans les stades européens.
Entre janvier et août 2004, divers incidents ont été signalés : en Belgique (voir plus haut), Ecosse (chants antisémites), Grèce (l’entraîneur de l’Olympiakos se dit « prêt à combattre les Juifs dans une guerre religieuse »), Slovaquie (chants antisémites), Strasbourg (agressions contre l’AS Menorah dont le président Simon Dahan confesse : « à chaque match, slogans et jets de pierre nous accueillent à la sortie des vestiaires … »). Liste non exhaustive.

Les rappeurs d’Allah

Dans son livre « La face voilée du rap » (édition Tatamis) Mark Breddan, prof d’anglais et animateur d’un atelier de rap en banlieue, constate que cette musique très répandue parmi les jeunes « a été détournée de ce qu’elle était autrefois pour devenir de façon sournoise un instrument de propagande et d’islamisation sans complexe. »
A partir des chansons, et des interventions dans les médias, Breddan démontre la propagande derrière les accents pseudo-poétiques et faussement sociétaux. Double-langage et complainte pathétique sont allègrement utilisés. « Ce qui faisait la richesse du rap à ses débuts, y compris l’humour, la légèreté, s’est mué en surenchère dans le misérabilisme social et la revendication victimaire. »
La cause palestinienne, et implicitement la haine d’Israël et des Juifs, est l’essence même de cette revendication qui prône le rejet du modèle occidental et l’admiration pour le monde arabo-musulman.
Le rappeur Ousman par exemple chante ‘’Suceurs de Sioniste’’, son dernier titre paru en avril 2014 sur la plateforme musicale ‘’Bras d’honneur’’ créée par Mathias Cardet himself, le patron de Gaza Firm.
Pour l’occasion, les fans se sont arraché tee-shirts et sweats avec les lettres SS en rouge sang sur fond noir. « La banlieue n’est pas capitaliste … J’aime pas me mélanger … à la Sacem pas référencé … Y a trop de suceurs de sionistes … » clame la chanson.
Ousman revendique une ‘’culture banlieue’’ qui se développe dans les circuits parallèles du Net : « Bras d’honneur comme Soral Dieudo, dans les médias j’suis grillé » avertit le refrain, clamé dans un roulement grave et vengeur.
Le message est clair : « vendus à Israël et aux Juifs, sachez que vous êtes des SS, amis des nazis de notre époque. » L’inversion immonde et injurieuse sonne comme une provocation et une menace.
Il y a peu, le rappeur posait pour une campagne de promotion à côté du négationniste Faurisson (85 ans), tout sourire et bras d’honneur. Un markéting de la haine qui fait frissonner.
De nouveaux labels de disques portent des noms arabes, tels que Din records ou Qibla, ce qui illustre « une convergence idéologique entre islam et rap » (Marc Breddan). Le mot Din désigne en arabe la nature politique de la religion, ainsi que l’emprise de celle-ci sur la société justifiant la soumission de l’individu à Dieu et à son prophète. Qibla désigne au croyant la direction de la Mecque, mais aussi celle de Jérusalem (capitale de l’Etat d’Israël), ce qui sous-entend une signification politico-religieuse : « l’Islam vaincra l’occupation de la ville et le judaïsme. »

phima54687Ousman (avec son t-shirt SS) et Robert Faurisson.

 « Les rappeurs d’Allah, comme Abd al Malik ou Kery James, mêlent la tchatche au Coran. (…) C’est un rap qui dresse en français des louanges à Allah et devient un moteur de “réislamisation” des jeunes dans les banlieues » (L’Express, 7 juin 2014).
Les chanteurs tels que Rohff ou La Fouine se montrent volontiers en djellaba sur les pochettes des albums où figurent des symboles tels que le croissant ou l’étoile. Le cas de Médine est spécialement intéressant.
Le rappeur havrais Médine (Zaouïche) est un auteur-interprète. Il est particulièrement connu et apprécié parmi les jeunes des quartiers populaires pour le morceau « I’m muslim, don’t panik », extrait de l’album Don’t Panik Tape.
En tant qu’artiste « solidaire avec Gaza », il était récemment l’« étrange invité de la Fête de l’Humanité » (Loïc Le Clerc dans Marianne, 27 septembre 2014). Les organisateurs de la grand-messe du PCF apprécient, dit-on, son engagement pro-palestinien, tout en feignant d’ignorer ses accointances avec Dieudonné et ses acolytes.
Le chanteur de rap, spécialiste du double-jeu et du « jamais coupable », joue de toutes les provocations pour afficher une posture très ambigüe. « Je suis musulman, n’ayez pas peur » ou bien « on se calme, ne tirez pas » dit-il dans ses chansons pour vendre l’idée d’un islam modéré et socio-compatible avec la démocratie. « Je ne suis pas méchant, soyez tolérant avec moi », dit-il encore, ce qui signifie : ‘’ne soyez pas vous-mêmes des terroristes de la République’’ ou bien ‘’je suis un citoyen comme vous, victime du regard intransigeant que vous me portez’’.
En réalité, l’analyse de ses textes montre qu’il considère sa foi comme un principe transcendant. Il affirme que son appartenance communautaire et religieuse est une sorte de ‘’muslim pride’’ clairement revendiquée et supérieure à tout autre valeur ou principe ‘’étranger’’ (Anne-Clémentine Larroque, Milkipress, 16 avril 2013). Car la société, écrit-il dans ses chansons, est « libertine, liberticide et laïque [qui] « viole les droits civiques [des musulmans] victimes des préjugés et des autres », de ceux qui ne leur donnent pas du travail, qui les prennent pour des « tueurs, dealeurs, casseurs, imams ou zonards. »
Donc, fait-il entendre, « je préfère rester un bon musulman même si je suis exclu ou marginalisé » car ma fierté, dit-il, c’est ma façon d’être moi, c’est-à-dire « muslim every day. »

« Prolétaire de ta classe, dis-leur Don’t Panik !!,

Africain de ta peau, dis-leur Don’t Panik !!,

Musulman de ta foi, dis-leur Don’t Panik !! »

Inciterait-il sciemment au jihadisme comme on le prétend sur les réseaux sociaux ? En intitulant un précédent album ‘’Jihad’’ (sorti en janvier 2005), que veut dire cet étrange messager qui dit « lutter contre la violence par la violence » ? Qui prétend « déconstruire les symboles pour lutter contre les amalgames » ? Qui désire « démasquer ceux qui pensent que la communauté musulmane n’a que des envies d’égorger » ?
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« Songe-t-il un seul instant à la façon dont sont reçus ses textes par les gamins qui l’écoutent ? (Marianne, 27 septembre) Ou bien navigue-t-il avec subtilité entre le premier degré destiné à son public impressionnable et admirateur, et la posture noble du chanteur engagé qui dénonce les injustices ?
Médine se vante d’être un quenelliste fidèle à Dieudonné. C’est ce qu’il a lui-même précisé dans l’émission ‘’Salut Les Terriens’’ de Thierry Ardisson (Canal+, 8 février 2014). Il est aussi l’ami de l’intello géopoliticien et antisioniste Pascal Boniface qui le défend bec et ongle (Nouvel observateur, 23 octobre 2012). Ils ont cosigné un livre sur leur « vision du vivre ensemble. »

A Barbès, à Bastille, à République,

s’est exprimé la face cachée

de la génération no-Yéhoud.

Dans les écoles de banlieue, il y a une insulte qui la cote : « fais pas ton judas » ou bien « espèce de sale yéhoud (juif en arabe). »
Difficile de ne pas frémir quand on les entend. Car depuis l’histoire de la quenelle, on réalise à quel point le chemin de la provocation est déjà long, que les limites du supportable ont été franchies : les gestes, les mots et la pensée antisémites semblent devenir l’expression d’une nouvelle culture populaire … proche des coutumes tribales d’une peuplade inconnue.
Jean-Paul Fhima
 
 
 
 

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