Nostra Ætate a 50 ans. Israël et l’Eglise : futur vers le retour. Par Jean Taranto

L’Eglise a fêté ce 28 Octobre le 50è Anniversaire du Concile œcuménique Vatican II commencé par le pape Jean XXIII et achevé par le pape Paul VI et de la Déclaration conciliaire Nostra Ætate consacrée aux religions non-chrétiennes et à la réconciliation avec les juifs. Ce n’est pas une porte ouverte, c’est une porte déverrouillée où l’on peut voir enfin qu’il y a de la lumière dans la pièce et qu’elle est habitée. Qu’y vit une famille. C’est un regard en avant. nostra-aetate 2Ce sera aussi bientôt (2018) le Jubilé de l’Amitié judéo-chrétienne fondée par Jules Isaac (Paix sur lui), et dont le RP Dupuy (op) a été un animateur inoubliable. Que l’Eternel le garde lui aussi en sa Paix. J’espère qu’un jour un bel hommage leur sera rendu et leur mémoire et celle de leurs pairs  honorée comme il se doit.
Les quelques centaines de milliers de chrétiens sémites qui frappent à la porte européenne, pour leur deuxième génocide en 100 ans, sans parler des juifs qui ont presque tous disparu du Moyen-Orient, et des musulmans à la recherche d’eau, de liberté, de diversité et de qualification technologique, qui pour la plupart viennent au contact d’un monde de religiosités nouvelles et de civilisations ouvertes, en disent long sur la nécessité de “marcher ensemble” et de publier les avancées de cette démarche.
Être “frère” ne suffit pas, il faut le devenir. Et les freins sont aussi nombreux que les raisons de s’y mettre.
Il y a encore des malentendus fondamentaux qui contredisent les bonnes volontés en Israël et au Moyen-Orient. Et il y a aussi assez de bonnes volontés pour que ces malentendus deviennent des différences qui enrichissent.
Il n’y aura pas de paix sans cela, sans qu’elle soit une recherche commune et évidente pour tout le monde et qu’abandon soit fait de ses propres jugements. Avant tout. On n’en n’est pas encore là. Il y a encore des chrétiens persuadés que certains ont plus de comptes à  rendre que d’autres. Voire qu’eux-mêmes sont “victimes” d’une Histoire qui ne les aurait pas reconnus.
Ils manquent visiblement de fond. Et une information qui peine à établir la vérité, dans un contexte d’ethnies et de clans, y compris dans l’Eglise,  très excitées les uns contre les autres et en constante rivalité.
Mais il est vrai que plus de la moitié de l’Eglise a longtemps vécu sous de sombres dictatures, a failli mourir quand elle n’a pas aussi été presque totalement ignorée par l’Eglise occidentale et abandonnée par l’industrialisation qui a fait autant de dégâts théologiques et culturels que généré, aussi, de grandeurs humaines et de saints.
Il ne s’agit pas de “faire la paix” dans un universalisme ou tout le monde se vaut main dans la main. Ni de coller les morceaux des “parcelles de vérité” que chacun détient pour en constituer un ensemble. Il ne s’agit pas non plus d’une écologie spirituelle” de l’unité. Nostra Ætate n’est pas un ordre de mission syncrétiste ni une déclaration d’armistice inter-religieux. C’est le constat de deux guerres mondiales, 3 génocides européens dont 2 “Shoah”, un basculement des ex empires dans des frontières étanches et la division entre soviétisme communiste et bloc atlantique libéral.
On notera qu’il existait aussi au temps du Præsidium soviétique une « Fraternité entre les peuples » qui avait pour parents la faucille du prolétaire et la marteau du Parti des prolétaires, de l’Etat, et qui s’affichait à grand renfort de banderoles, sur les places désertées et les avenues élargies aux dimensions des parades militaires et des manifestations de travailleurs enthousiastes. Ce souvenir-là, lui aussi, s’efface au point de devenir presque doucereux et nostalgique, surtout chez ceux qui ne l’ont pas connu et rêvent encore d’une révolution prolétarienne définitive. Prolet-aryenne ?
Nostra Ætate consiste tout simplement à reconnaitre les parents qui nous ont reconnu et de distinguer les enjeux et les conditions de la fraternité vécue ensemble. Entre Joseph patriarche d’Israël et Joseph patriarche de l’Eglise, qui n’étaient ni l’un ni l’autre des « prolétaires » il y a tout de même une certaine parenté. Un lien. Quant à savoir qui est « l’aîné »  comme le disait Saint Jean-Paul II au sujet des juifs par rapport aux chrétiens, et qui est le « benjamin », il n’y a pas là de hiérarchie. C’est un fait chronologique. Ce qui a été annoncé à Israël d’abord a été annoncé aux nations.
L’appel d’Israël à l’unité dans la diversité est universel, et celui de l’Eglise à la diversité dans l’unité, Eglise qui signifie « assemblée » et qui est un corps aussi sûrement et aussi réel qu’Israël est un peuple, est lui aussi destiné à « remplir » tous les temps et tous les espaces, c’est-à-dire la conscience, l’âme et l’intelligence de l’Homme. Son éternel présent et sa mémoire « liturgique ».
Car, n’en déplaise à certains spécialistes auto-désignés, Israël, qui était ado en 1965, existe bel et bien aujourd’hui.
Le monde musulman, perse et arabe est en ébullition et les frontières bougent, s’effacent et se transforment, à coup de “printemps” ici et d’hiver là.
Quant au “monde chrétien”, sa source issue de Jérusalem si longtemps tenue à l’écart par un effort de drainage vers le désert des villes et de la pensée urbanisée, revient à sa face. Etrange, tout de même, toutes ces familles inconnues qui marchent, dépouillées, jusqu’à frapper aux portes des nôtres. Internet, les réseaux sociaux aident et n’y font cependant rien ; elles marchent entre déserts, fleuves et montagnes, le long et à travers des routes, et nous demandent ce qu’elles ont perdu chez elles.
Constantinople semble se rapprocher de Rome (et réciproquement). Rome qui regarde Moscou, avec un pape nouveau, pour la première fois venu de l’extrême Ouest, par-delà un océan, et à l’extrême Est, en Chine qui se réveille, et en Asie centrale, l’Eglise trouve une parole qu’elle croyait perdue, oubliée et enterrée et dont  le vent brûlant du désert ne peut contraindre le souffle.
L’autoritarisme religieux, d’ailleurs ne touche pas que l’Islam. Il est aussi aux manettes de tous les clergés et de toutes les confessions qui ont retrouvé à la faveur de l’écroulement momentané des frontières morales et géographiques un souffle jubilatoire de domination. Aucune religion aujourd’hui, même laïques ou athées n’échappe au vent mauvais du pouvoir terrestre de l’Homme sur l’Homme.
C’est un défi pour le Religieux, celui qui maintient tendue l’Echelle entre le dessous terrestre et les hauteurs célestes. Si était interrompu le trafic angélique et humain entre les deux, c’en serait fini de la Création qui est à la fois une rencontre en cours et un mariage consommé.
Mais, on le voit ici, il y a de l’espoir. Si tant est qu’on veuille y croire et le semer.
Mais cet anniversaire, qui est un Jubilé, n’est pas aujourd’hui la fête qu’il devrait être en France et c’est dommage. C’est dommage au regard des personnalités françaises, chrétiennes, juives principalement, qui y ont contribué. Je veux parler des membres français de la Conférence de Seelisberg. Je veux parler de Jules Isaac qui a publié en francais. Je veux parler des éminents prélats et laïcs, rabbins, pasteurs et philosophes qui ont élaboré le projet pour la réconciliation d’Israël et de l’Eglise et participé au Concile, à ses préparatifs et à ses discussions.
Et l’on sait que cette Déclaration, qui est universelle, et dont on voit une trace profonde dans la pensée sans que jamais elle ne soit évoquée telle qu’elle est, est loin d’être “passée” haut la main. C’est une déclaration conciliaire, c’est-à-dire qu’elle a été publiée par accord commun, non unanime, à l’issue d’un long parcours de consultations, et d’un long “synode” de consciences, de délibérations âpres, franches et approfondies. Il faut tout de même saluer ces deux faits : le travail demandé par la rédaction de l’Acte d’Indépendance d’Israël, et celui demandé par la rédaction du §4 de l’Encyclique pontificale ont subi tous les deux 4 ébauches, quatre revus/corrigés, et ont été par quatre fois amendés pour acquérir leur forme définitive.
Il est temps, si les catholiques veulent être cohérent avec leurs déclarations, leurs engagements et leurs intentions, d’ouvrir le tiroir de mémoire, et de dire que s’ils veulent que l’Eglise soit vivante, actuelle, en mouvement et signe sacramentel du Christ vivant, parlant et présent dans le monde, ils doivent boire à sa source, marcher sur ses pas, manger à sa table et ne pas oublier que toute leur foi et toute la foi de l’Eglise est un pont entre deux petits mots, l’un ouvrant la Création (qui est un achèvement en transformation), et l’autre la parachevant en un commencement : “Bereshit” (“Commencement”/Genèse), et “Amen” (Apocalypse/Révélation).
C’est de l’un a l’autre, de ces deux Révélations, l’une qui ouvre le temps, l’autre qui en garantit et en révèle l’unité, l’un avec l’autre, l’un par l’autre, nous démontrerons ensemble que la vie divine n’est pas une inexorable descente du matin au soir jusqu’à la nuit, mais une persévérante ascension du soir au Matin de Pâques.   « Repos » et « repas » sont dans la même Eternité. Ils se prennent ensemble.
Jean Taranto
A la mémoire de RINA GEFTMAN (1914-2001) – Membre du Vicariat St Jacques et de l’Œuvre St Jacques de Jerusalem, fille de Sion. – Membre de Neve Shalom (Latroun – Israël)

Nostra Ætate
Conférence de Seelisberg

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