À Marseille, l’extrême droite drague la communauté juive… et ça marche. Par Coline Renault

Le nouveau président de l’antenne marseillaise du Crif s’est dit début octobre « prêt à échanger avec le RN ». Une première dans l’histoire des institutions juives qui témoigne d’un virage politique de la deuxième communauté juive de France. Cette dernière a pourtant longtemps été un bastion de résistance face à l’extrême droite.

Est-ce que tout a commencé au dîner de l’antenne marseillaise du Crif, mi-septembre, quand un député RN s’est invité aux festivités ? Ou était-ce deux ans plus tôt, au tournant du 7 octobre, quand l’antisémitisme a explosé partout en France, y compris dans la cité phocéenne ? D’autres évoquent l’affaire Ilan Halimi, et les abandons successifs de la gauche au cours de la dernière décennie. Une chose est sûre : les digues tombent, et les Juifs de Marseille, troisième communauté d’Europe qui ne compte pas moins de 70 000 personnes, cèdent petit à petit aux avances de l’extrême droite, elles qui ont pourtant si longtemps résisté à ses sirènes. Le nouveau président du Crif Marseille Provence, Bruno Benjamin, s’est dit début octobre « prêt à échanger avec le RN », « à partir du moment où ce parti est dans l’arc républicain et où il ne stigmatise pas les Juifs et Israël ». Loin de la position du Crif national, dont le président Yonathan Arfi tient la ligne en refusant toute relation avec l’extrême droite. Et résiste aux pressions, notamment quand Marine Le Pen appelait, en mars, à « dégauchiser le Crif ».

Le centre culturel Fleg se trouve en plein coeur du centre-ville marseillais, entre le Vieux-Port et la place de la Castellane, là où le noyau dur des institutions juives s’est installé après avoir quitté les quartiers nords, il y a des années. Sa présidente, Évelyne Sitruk, également membre du comité directeur du Crif, tempête : « On a ouvert la boîte de Pandore. Le RN s’est invité au dîner et demain, ils seront invités. Beaucoup de Juifs se sont extrêmement radicalisés. La position officielle du Crif, c’est ni extrême droite, ni extrême gauche. La corde est tendue entre les Juifs et ses représentants et la question est de savoir quand la corde va craquer. » La présence à cet évènement de Franck Allisio, député d’extrême droite et candidat à la mairie de Marseille, a été au coeur d’une grande confusion : a-t-il été ou non convié ? Reste qu’il a posé, ce soir-là, tout sourire aux côtés de son directeur de campagne Olivier Rioult, avant de se féliciter, dans un communiqué, d’avoir été « le premier parlementaire du Rassemblement national invité à un dîner du Crif ». La présidente de la section, Fabienne Bendayan, a expliqué que le RN n’avait jamais été officiellement sollicité et s’était incrusté grâce à un membre de la communauté, à savoir un certain Mickaël Salfati, chef d’entreprise et depuis peu membre de l’équipe de campagne de Franck Allisio. La présidente a répété tenir la ligne, celle prônée par le Crif national : pas de relation avec le RN. Les mots du nouveau président, investi fin septembre, marquent donc un tournant.

Un des derniers bastions de résistance face au RN

Pourtant, en ce qui concerne les Juifs, Marseille a toujours constitué un bastion de résistance face à l’extrême droite. Une figure d’exception par rapport à ce qui se jouait ailleurs, dans les autres villes du Sud mais aussi au niveau national. « Marseille a toujours été un lieu de forte opposition, de résistance face aux mains tendues par l’extrême droite à la communauté juive. Contrairement à d’autres villes comme Béziers ou Fréjus, où les institutions composent depuis longtemps avec les mairies RN. À Marseille, c’était niet. Les Juifs étaient très chevillés à leur histoire et à leur volonté de faire front commun pour refuser tout dialogue avec le RN, analyse l’essayiste Jonathan Ayoun, auteur de La Main du Diable, comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de FranceIls étaient très imprégnés par une certaine culture du vivre ensemble propre à Marseille. La mixité était une fierté des institutions juives, si bien que l’opposition semblait naturelle. » Hagay Sobol, un médecin marseillais, regrette également que la progression du Rassemblement national touche aussi sa ville : « L’identité marseillaise rassemble les différentes communautés qui la constituent : elle s’est construite au fil du temps par tous ces apports de migrants, de personnes chassées ailleurs, qui avaient tout perdu et n’avaient rien en commun sinon cette volonté d’être ensemble et de se reconstruire. À Marseille, il y avait moins d’agressivité qu’ailleurs. Mais ça commence à changer. Ce modèle qui a longtemps marché est en train de tomber, tant la société française est clivée. LFI et le RN capitalisent là-dessus. »

Evelyne Sitruk se rappelle cet homme qui a hurlé il y a peu « Mort aux Juifs, Vive la Palestine » en pleine nuit, devant chez elle, qui habite pourtant « un quartier plutôt bourgeois. » Ces manifestations pour la Palestine « qui déraillent de plus en plus, du moins verbalement ». Et cette communauté juive qui se radicalise elle aussi. « On a été piégés par le 7 octobre et l’antisémitisme qui s’est ensuivi. On est tombés dans tous les pièges. Chez les Juifs de Marseille, le débat est difficile. Le discours va d’un discours un peu moins radical à un discours ultra-radical. Le dialogue avec les musulmans est interrompu », se désole Évelyne Sitruk

Mais comment passe-t-on d’une tradition de gauche à un vote pour l’extrême droite ? Hagay Sobol lui-même a rendu sa carte au PS aux dernières élections municipales quand un militant de LFI l’a violemment apostrophé : « Retourne en Pologne », lui a-t-il craché au visage. « J’étais dans une ville où je ne m’attendais pas à recevoir ça, car ici, on est tous issus de l’immigration », regrette-t-il. Face au 7 octobre « qui a fait des Juifs des cibles légitimes », le professeur explique que beaucoup se sont sentis abandonnés, notamment par Emmanuel Macron qui n’a pas participé aux marches contre l’antisémitisme, contrairement au RN. « Après, on n’a fait que compter les points. Les gens sont persuadés que le moindre mal, c’est l’extrême droite. » Une logique de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », selon Jonas Prado, originaire de Marseille et formateur contre l’antisémitisme. « Une partie de la communauté juive organisée, celle du premier cercle qui fréquente assidûment les institutions, surdétermine son soutien à l’extrême droite de Netanyahou et la lutte contre l’antisémitisme en France. Comme LFI a multiplié les sorties antisémites, ils en concluent que le RN pourrait être un allié. C’est un échec de la pensée et un renoncement à faire société », constate-t-il, dépité. Hagay Sobol, lui, s’interroge sur les raisons de ce virage à droite des Juifs marseillais : la responsabilité des politiques, mais aussi de la société. « Reprocher aux Juifs une radicalisation à l’image de celle de la société française, c’est s’exonérer d’une responsabilité collective. Car se poser la question de la perméabilité de la communauté juive au RN, c’est se poser la question de l’avenir de la France. » Le prochain point de bascule pourrait bien avoir lieu le 9 novembre prochain, à la cérémonie commémorative de la Verdière, événement en mémoire des 30 enfants juifs déportés le 20 octobre 1943, cérémonie à laquelle le RN aurait souvent bien aimé participer sans n’avoir jamais été jusqu’ici le bienvenu. Reste à savoir s’ils seront cette année conviés.

© Coline Renault

Source: Charlie Hebdo

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25 Comments

    • Joseph1,
      Quand il s’agit d’instrumentaliser l’histoire les grands rendez-vous sont les plus appropriés mais longtemps après les évènements quand c’est beaucoup moins risqué.

      • @Hagay Sobol Vous me semblez très mal placé, vous qui incarnez le déni « bienpensant », pour donner des leçons à @T+Amouyal, un des plus lucides commentateurs de Tribune juive.

        @Marc L Qui sont vos « amis » ? Les Insoumis et les pro-palestiniens, certainement.

        • Chere Judith R , merci de votre intervention.j avoue ne plus lire la prose vaguement rose de Mr Sobol depuis bien longtemps .je prefere me concentrer sur les membres de mon peuple qui ont fait le bon choix de rester groupés autour de notre pays plutot que de suivre les pregrinations steriles d un tel ou. Untel qui aurait rendu sa carte a un parti antisioniste dans l attente de rejoindre ……….
          en tout etat de cause , je ne desespere jamais de mes freres et j espere croiser Mr Sobol en bas de chez moi en Israel un jour prochain et de partager un cafė avec lui en echangeant des idees contradictoires bien sur 😉

        • T+amouyal,
          Ce que mes études et mon travail de chroniqueur m’ont appris, est qu’il vaut avoir lu une citation avant d’en faire usage ou de la critiquer. L’avez-vous fait ?

    • @T-amouyal
      Ah ah ! Vous affichez la couleur pour une fois ! Mes amis et moi, nous n’avons jamais douté que vous vous êtes en admiration devant le parti dont Papy Le Pen le fondateur a été maintes fois condamné pour ses saillies antisémites.
      Conclusion : c’est bien vous le « juif qui a la haine de soi ».

      • Mr Marc L , qui n affiche pas son nom , dans un accès contrariė de courage …… j affiche toujours mes convictions , et je vous propose de lire vraiment mes ecrits .
        Je suis de droite , nationaliste et sioniste . Et en France , meme si je suis desormais israelien, mon coeur penche tres a droite aussi .
        Au plaisir de vous croiser en Israel

        • T+amouyal,
          Attaquer n’est pas débattre. Usez d’arguments et non de punch line. Tribune Juive est un site d’information libre où les avis, les opinions et les analyses ont droit de cité

      • Marc L.,
        Malheureusement, c’est plus complexe. Le sentiment d’isolement, le silence de certains et la violence des autres fait naitre de faux espoir, un peu comme le fromage attire les souris tiraillées par la faim dans le piège…

  1. L’extrême-droite, c’est sont les Islamonazis et leurs alliés, macronistes et Union Européenne inclus. Charlie Hebdo (d’où vient Zineb El Rhazoui) a toujours fait campagne pour eux, et cet article de désinformation aurait tout à fait pu être écrit par Le Monde, Liberation et autres médias mélenchonistes. L’imposture Charlie Hebdo, qui n’est qu’un outil de propagande aux ordres du pouvoir collabo comme 99% des médias, doit être dénoncée.

  2. Judith R.,
    Le débat est le fondement du peuple juif. Il éclaire et fait avancer. La controverse, c’est le refus du débat, c’est l’exclusion.
    La Bible nous donne de nombreux exemple de ce qu’il advint quand on exclu son frère, à commencer par Joseph. Le salut, réside dans l’ensemble pas dans la division ni l’uniformité.
    Un des noms de Dieu est Shalem, la complétude et chaque être humain a pour but de donner son interprétation en complément et non en exclusion de tous les autres. Et finalement, malgré le rejet par ses frères, c’est Joseph qui les sauvera tous !

  3. Plus aucune personne saine d’esprit ne considère le RN comme un parti d’extrême droite. C’est un parti de droite classique, du reste sans grande envergure, sans intérêt mais là n’est pas la question. Utiliser ce vocabulaire propagandiste est fait dans un but précis : faire élire la véritable extrême-droite (ou l’extrême gauche, diront certains par commodité de langage) que sont les Islamistes et leurs complices. Et cela marche ! C’est cela, le pire ! Cette criminelle inversion du réel dure plus de 40 ans et elle fonctionne encore . Mais quelle honte ! Quelle honte que cette France et cette Europe. Nos aïeux morts pour combattre la barbarie nazie sont morts pour presque rien puisque les générations suivantes l’ont faite revenir. Et les plus lâches et les plus bêtes sont ceux qui prétendent incarner la raison. Fière et heureuse d’avoir quitté ce pays.

  4. Mr Sobol , je crois que vous etes le prototype du donneur de leçon , imbu de sa veritė et de sa superioritė , c est la raison pour laquelle , je ne souhaite plus echanger avec vous .vous ne lisez meme pas ce que les autres daignent eçrire , et lorsque vous repondez ( toujours) c est , soit a coté , soit agressif et sans lien avec le sujet .
    Donc je vous salue de maniere definitive et je vous souhaite , apres votre passage au PS , de trouver bientot des partenaires de qualité , de toutes façons vous avez encore quelques partis de haut niveau a approcher chez vous , modem, ecologiste , PCF ou autres tartufes .

  5. Judith Roy,
    Emettre des critiques sur le RN n’est pas adouber LFI. Votre vision manichéenne d’où sont absentes les nuances et la complexité restreint le réel.
    Ces deux partis, sont des partis du seuil Républicain car il respecte pour l’heure les élections mais dans leurs programmes (qui se ressemblent quand on prend la peine de les lires) il y a beaucoup d’éléments propres aux mouvements séditieux. En somme, il sont comme l’Iran avec son programme nucléaire, au seuil de l’arme atomique.
    Pour finir deux points sur le RN :
    – C’est un parti d’extrême droite qui ne respecte pas les lois fondamentales avec son exigence de « préférence nationale ». Un éléments essentiel d’après le Conseil constitutionnel,
    – Ensuite, dans leur programme il est prévu de ne plus verser les pensions de retraite des expatriés (dont les français en Israël) et d’interdire l’abattage Kasher.

  6. Je n’ai jamais lu Charlie Hebdo et je suis étonné de la qualité journalistique de cet article qui semble faire, sérieusement, le tour de la question.
    Homme de gauche, sans parti depuis 1975, et sans engagement public – pour raisons professionnelles- j’apprécie les débats de TJ et sa légitimité historique. M. Sobol est un homme remarquable, par son dévouement à la cause de la santé publique, son loyalisme envers le sionisme, et son attachement à la raison et l’analyse – qui m’ont toujours semblé être un effet naturel du Judaïsme.
    Tout cela ne semble plus compter et le peuple Juif semble n’être plus que le serviteur aveugle de factions politiciennes Israëliennes, tandis que le. mouvement inverse devrait s’imposer: Israël au service du peuple Juif.
    Les injures, toujours plus extrêmes, remplacent l’argumentation. Israël perd son influence habituelle mais c’est la faute des islamo-gauchistes et divers amoureux des terroristes.
    Continuez et vos enfants découvriront la politique de l’antisémitisme de droite et la persécution, plus que la calomnie et la haine anti-Israélienne de gauche.

    • OLIVIER COMTE,
      Merci infiniment pour vos mots.
      La nuance et la modération semblent devenues des tares rédhibitoires. Quand on en arrive là on risque l’éclatement car on ne fait plus ni peuple ni nation.
      C’est extrêmement grave.
      il nous faut réapprendre le débat et à être d’accord de ne pas être d’accord.

  7. Certains confondent le déni et la modération et pour moi, le déni est effectivement rédhibitoire.
    @Hagay Sobol
    Emmanuel Macron est sorti du cadre républicain presque chaque jour entre sa première et sa deuxième élection, et chaque jour à partir de la seconde. La République n’est désormais plus qu’un lointain souvenir : il en a aboli toute trace. C’ est l’un des deux ou trois dirigeants les plus antisémites d’Europe, l’allié du Hamas et des Islamistes, le fossoyeur de l’économie française, la honte de la diplomatie internationale et plus largement ses actes relèvent de la haute trahison. Certainement l’un des dirigeants les plus extrémistes de la planète et le pire de toute l’histoire de feu la France. Pire encore que Pétain auquel il a d’ailleurs rendu hommage si l’on considère que celui-ci avait collaboré avec l’ennemi après une guerre coûteuse en vies humaines. Mais la guerre actuelle c’est Macron qui l’a provoquée ou du moins amplifiée. Je place définitivement ses partisans au même niveau que ceux de Jean-Luc Mélenchon.

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