La question hante désormais le débat public : nos dirigeants croient-ils réellement à la guerre ou s’agit-il de manœuvres politiques menées faute d’en avoir les moyens ? Entre discours alarmistes, évocations d’un « état d’urgence », rumeurs sur l’article 16 en France et multiplication de signaux pré-guerre, le climat continental s’électrise.
Au moment où la « coalition des volontaires » (France, Allemagne, Royaume-Uni) intensifie ses réunions avec le président ukrainien, où le chef d’État-major français parle de « sacrifier nos enfants », où l’on distribue des kits de survie et où le président français évoque une « situation de guerre », la Commission européenne adopte soudain le même registre. Porte-voix ou relais involontaire ? Le mouvement semble surtout s’aligner sur la ligne de la coalition : la poursuite de la guerre comme seule voie possible.
1. Contourner le cadre européen pour “sauver l’Ukraine”
À l’heure où l’Ukraine flirte avec la faillite, Ursula von der Leyen s’emploie à mobiliser les avoirs de la Banque centrale russe gelés en Belgique. Une initiative explosive sur les plans juridique, diplomatique et politique.
1.1 L’“état d’urgence” comme clé juridique
La Commission explore une idée inattendue : invoquer un état d’urgence européen — alors que ce statut n’existe que… pour l’Ukraine. L’UE n’est frappée d’aucune crise financière justifiant une telle suspension des règles, comme la BCE l’a rappelé.
Mais l’objectif est clair : ouvrir la porte à des mécanismes exceptionnels normalement inaccessibles.
1.2 Transformer l’Ukraine en enjeu existentiel
Deuxième mouvement : présenter la survie ukrainienne comme vitale pour l’UE. Kiev n’est pas membre de l’Union, Bruxelles n’est pas en guerre contre Moscou, mais le discours installe l’idée que l’avenir de l’Europe dépend directement de son effort militaire.
Cette rhétorique vise à préparer l’opinion à accepter des décisions en rupture avec le droit européen classique.
1.3 Sanctuariser les sanctions
Troisième étape : rendre permanentes les sanctions contre la Russie. Elles cesseraient d’être renouvelées tous les six mois, ce qui retirerait à la Hongrie — et à d’autres — la possibilité de bloquer leur reconduction.
1.4 Forcer Euroclear à transférer les fonds russes
La Commission souhaite créer une base légale obligeant Euroclear et d’autres institutions à transférer les revenus des avoirs gelés vers des fonds dédiés à l’Ukraine.
Cette contrainte s’appliquerait à tous les États membres, même aux plus réticents.
1.5 Recours à la majorité qualifiée : la fin du veto
Bruxelles envisage d’utiliser l’article 122 du traité, prévu pour les crises internes, afin d’adopter ces mesures à la majorité qualifiée. Un contournement perçu par beaucoup comme une rupture de l’équilibre institutionnel européen.
2. L’UE s’engage dans une stratégie assumée d’“affaiblissement” de la Russie
Un rapport de l’EUISS confirme que l’objectif n’est plus seulement de soutenir l’Ukraine : il s’agit d’affaiblir structurellement la Russie sur plusieurs théâtres géopolitiques. Depuis 2022, 19 paquets de sanctions ont déjà été adoptés.
2.1 Exploiter la dépendance russe à la Chine
Le rapport souligne la dépendance croissante de Moscou vis-à-vis de Pékin. L’UE pourrait, selon ce texte, profiter des tensions sino-russes pour limiter l’influence du Kremlin, partant du principe que la Chine répond aux pressions occidentales.
2.2 Méditerranée, Afrique, Balkans : les nouveaux terrains
L’UE veut renforcer sa présence en Méditerranée, où la Russie a perdu du terrain depuis l’effondrement du régime Assad, et en Afrique subsaharienne où Moscou avance via des sociétés militaires.
Des campagnes d’information et d’influence sont évoquées pour contrer le narratif russe.
Dans les Balkans, l’objectif est d’éviter que Moscou ne freine l’expansion de l’OTAN.
2.3 Les divergences avec le plan américain en 28 points
Alors que Washington négocie un cessez-le-feu avec la Russie, l’UE — surtout Berlin, Paris et Londres — tente d’amender ce plan.
Deux points provoquent des tensions :
- l’usage des avoirs russes gelés : Washington les destine à la reconstruction ; l’UE veut financer des armes ;
- la taille de l’armée ukrainienne : les États-Unis souhaitent une armée réduite ; l’UE veut la maintenir élevée pour soutenir son industrie d’armement.
Derrière l’aide à l’Ukraine, se profile la défense des intérêts stratégiques et industriels européens. Un échec des négociations prolongerait le conflit : la coalition des volontaires semble s’y préparer.
3. Allemagne : normalisation d’un état de pré-guerre
Le débat allemand sur l’établissement d’un « état de tension » — un cran en dessous de l’“état de défense” — prend une tournure spectaculaire.
L’article 80a de la Loi fondamentale permettrait d’activer un ensemble de mesures de mobilisation nationale.
3.1 Une opinion travaillée depuis 2024
Des responsables comme Roderich Kiesewetter (CDU) appellent ouvertement à proclamer l’état de tension. Les médias publics relaient désormais l’idée que la guerre hybride russe justifierait une mutation du cadre juridique.
On habitue l’opinion à l’idée d’une Allemagne « entre paix et guerre ».
En France, déjà fragilisée politiquement et économiquement, l’idée d’un conflit direct avec la Russie rencontre une hostilité nette.
3.2 Les pouvoirs déclenchés par l’état de tension
S’il était activé, cet état entraînerait :
- le retour immédiat de la conscription pour tous les hommes de 18 ans et plus ;
- le déploiement intérieur de la Bundeswehr pour protéger des infrastructures ;
- les lois de réquisition (personnel civil, matériel, véhicules, bâtiments privés) ;
- la mobilisation obligatoire des secteurs stratégiques.
Un basculement majeur : l’armée entrerait pleinement dans la gestion de la société civile.
3.3 Une société déjà intégrée à la logique de guerre
La Bundeswehr a élaboré des plans coordonnés avec les hôpitaux de Berlin, incluant un protocole controversé : le triage inversé, qui donnerait priorité médicale aux militaires légèrement blessés sur les civils gravement atteints.
On discute même, en cas d’afflux massif, de la possibilité de « laisser mourir » les patients non récupérables : signe clair d’une médecine militarisée.
En France, on prépare un service militaire volontaire visant 3 000 jeunes la première année, 50 000 en 2035. Un chiffre dérisoire au regard des pertes sur les fronts actuels.
4. Une économie européenne glissant vers le modèle de guerre
L’Association allemande des hôpitaux a publié une étude listant les investissements nécessaires pour rendre les infrastructures médicales aptes à un conflit majeur :
- groupes électrogènes,
- réserves d’eau,
- équipements de décontamination,
- communications satellitaires,
- infrastructures souterraines,
- salles de soins d’urgence alternatives.
Coût total : 15 milliards d’euros, puisés dans le fonds spécial de réarmement.
Le contraste est frappant : alors que les hôpitaux civils manquent de moyens, les budgets “guerre” sont soudainement abondants.
La France, elle, n’est pas encore engagée sur cette voie — son endettement colossal impose d’abord une stabilisation économique et politique. Une économie de guerre masquerait ses difficultés sans les résoudre.
Conclusion : une Europe entrée dans l’exception permanente ?
Entre :
- le contournement du droit européen pour utiliser les fonds russes,
- la stratégie assumée d’affaiblissement de la Russie,
- les tentatives de remodeler un plan de paix pour servir l’industrie d’armement,
- la normalisation d’un état de pré-guerre en Allemagne,
l’Europe glisse vers une architecture politique fondée sur l’exception.
Le discours de crise perpétuelle justifie des mesures autrefois inimaginables. La question centrale demeure :
→ L’UE se prépare-t-elle simplement à une période instable, ou bascule-t-elle dans un modèle où la sécurité prime sur le droit, et où la militarisation diffuse devient la norme ?
En France, l’évocation possible de l’article 16 ajoute une inquiétude supplémentaire : la tentation que l’exception devienne la règle.
Ainsi va notre continent, avançant à pas mesurés vers une ère où la paix n’est plus l’état naturel, mais une parenthèse fragile.
© Francis Moritz

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