
Cet article explore les stratégies de maintien au pouvoir de la République islamique d’Iran à la lumière des théories du totalitarisme. En s’appuyant sur les travaux de penseurs comme Hannah Arendt, Michel Foucault et Juan Linz, il met en lumière les mécanismes par lesquels le régime affaiblit la volonté collective : répression directe, fabrication de crises sociales, et manipulation psychologique. Les promotions de la pauvreté et de la toxicomanie ne sont que les manifestations visibles d’un objectif plus profond : paralyser la capacité des individus à agir collectivement.
Ce mode de gouvernance ne se limite pas à la répression physique des opposants. Il vise, de manière plus insidieuse, à saper de l’intérieur la volonté populaire. Cette stratégie passe par la diffusion des drogues, la misère économique, la corruption, l’isolement social, la fracture intergénérationnelle, le désespoir et l’érosion culturelle. Le système de la Velayat-e-Faqih (gouvernement du juriste-théologien) en est une illustration marquante. Rappelons que la moitié de la société – les femmes – vit sous la menace constante d’arrestation et de harcèlement dans l’espace public, tandis que les
Dans un régime totalitaire, il n’y a ni réelle séparation des pouvoirs, ni Constitution appliquée. Tout est subordonné à la survie de la caste dirigeante. Juan Linz, dans sa typologie des régimes autoritaires, insiste sur l’importance du contrôle institutionnel et de la fabrication d’une crise permanente pour maintenir le pouvoir. En Iran, aux côtés des services de sécurité et des agences de renseignement, le régime mobilise également des instruments informels de domination : générer des crises durables, favoriser la désintégration sociale, et exercer une répression « douce » sous des formes apparemment apolitiques. Le régime ne se contente pas d’enfermer ou d’exécuter : il fabrique délibérément des dysfonctionnements pour neutraliser la société civile.
Trois stratégies fondamentales de contrôle social
A. Submerger la population dans les besoins essentiels
– Inflation chronique : depuis plus de quarante ans, l’inflation dépasse les deux chiffres. L’émission incontrôlée de monnaie appauvrit la population au profit de programmes militaires et de groupes armés affiliés au régime.
– Salaires inférieurs au seuil de pauvreté, maintenant la population dans une précarité constante.
– Travail instable : généralisation des contrats temporaires, même dans les secteurs médicaux et sociaux, sans sécurité d’emploi.
– Dépendance économique à travers des aides sociales irrégulières et des subventions conditionnelles.
Selon Rouhani Zanjani, ancien directeur de l’Organisation du Plan et du Budget, Ali Khamenei aurait déclaré (cité par Rafsandjani) : « Plus le peuple est dans le besoin, plus il se tourne vers la religion » — entendre ici : vers le régime.
B. Encourager la corruption et la déviance sociale
– Biopolitique et contrôle des corps : selon Michel Foucault, les États modernes exercent leur pouvoir en gérant les corps et les vies. En Iran, cela se traduit par une tolérance — voire une facilitation — du trafic de drogue. Le pays compte entre trois et quatre millions de toxicomanes. Après la chute de Bachar el-Assad, plusieurs laboratoires de production de drogues, destinées à l’exportation, ont été découverts en Syrie. Le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) est régulièrement accusé de contrôler les routes du trafic.
– Institutionnalisation de la corruption : pots-de-vin, clientélisme et favoritisme minent l’administration.
– Dégradation morale organisée : marginalisation des élites compétentes, valorisation des comportements opportunistes.
– Fracture générationnelle croissante, alimentant une perte de confiance entre les groupes sociaux.
C. Démolition psychologique et culturelle
– Propagation du désespoir, en particulier chez les jeunes et les femmes, avec une augmentation alarmante des suicides.
– Affaiblissement des universités : ces lieux de pensée critique sont devenus apathiques. Des millions de diplômés qualifiés quittent le pays, aggravant la pénurie de compétences.
– Contrôle total des médias : aucune plateforme indépendante n’est tolérée sans affiliation à une faction du pouvoir.
– Diabolisation systématique de l’opposition, notamment en exil, par des campagnes massives de désinformation destinées à discréditer toute résistance.
Conclusion
Le régime de la République islamique ne repose pas uniquement sur la répression visible — arrestations, exécutions, emprisonnements — mais aussi sur la gestion stratégique de crises systémiques : hyperinflation, pénuries d’eau et d’électricité, dégradation des infrastructures, ralentissement d’Internet. L’objectif est de détourner l’énergie collective vers la survie individuelle, rendant impossible toute revendication sociale ou politique.
Du travailleur au retraité, toutes les catégories sociales sont poussées à la résignation. Dans le même temps, les laboratoires idéologiques du régime perfectionnent en continu les instruments de répression.
Face à un régime dont la seule ligne rouge est la préservation du pouvoir à tout prix, la société iranienne mène un combat profondément inégal. Dans ce contexte, les politiques d’apaisement des puissances occidentales ont souvent, volontairement ou non, contribué à prolonger la survie d’un État qui, aujourd’hui, exporte non seulement l’islamisme radical et le terrorisme, mais aussi l’instabilité jusqu’au cœur de l’Europe.
© Hamid Enayat
Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI).

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