Quand le viol d’une enfant juive compte moins qu’un voile contesté. Ou la déconstruction de la décence commune. Par David Duquesne

Il y a des ironies de l’histoire qui donnent le vertige. Les idées de déconstruction — portées par Foucault, Derrida, Deleuze ou Lyotard — sont nées en France dans les années 1960-70. Exportées vers les campus américains, elles y ont trouvé un terrain fertile. Aux États-Unis, elles ont été traduites dans un langage beaucoup plus militant : culte des minorités, dénonciation des dominations, obsession identitaire. Ce que les Français appelaient « French Theories » est devenu le logiciel culturel du progressisme américain. Et voici que ce logiciel, après avoir conquis les universités, les médias et les entreprises de la Silicon Valley, est revenu en boomerang en Europe et sévit en France depuis plus d’une décennie. Terra Nova préfigurait de ce qui allait advenir de la société française.

Résultat : une convergence idéologique. Les rédactions françaises et les plateformes technologiques américaines parlent désormais la même langue. Celle de la victimisation hiérarchisée, de la sacralisation de certaines identités, et de la surveillance du langage. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est rien d’autre que le retour de nos propres fantômes : les serpents de la déconstruction, revenus mordre ceux qui les ont engendrés.

Et pendant que les grands principes se pavanaient, la réalité, elle, s’assombrissait. L’antisémitisme en France ne cesse de progresser. Dernier exemple : une femme juive de 75 ans, battue et insultée de « sale juive » par son voisin, sur le palier de son immeuble. Elle aurait pu mourir. Dans un pays normal, ce drame ferait l’ouverture des journaux télévisés. Ici, silence ou presque. Les grandes chaînes publiques se sont tues, les JT de référence n’ont rien dit. Seules deux voix ont relayé l’affaire : une chaîne communautaire et une chaîne privée honnie par l’establishment. Voilà l’état des lieux.

Ce n’est pas un accident. À Courbevoie, une fillette juive de 12 ans a été violée et humiliée. La justice a reconnu le caractère antisémite du crime. Mais médiatiquement ? Quelques brèves, puis plus rien. Pas d’indignation nationale, pas de marche blanche, pas de figures publiques en larmes.

En revanche, souvenons-nous de 2019. Un élu régional interpelle une femme voilée dans un hémicycle. Pas de crime, pas de blessure, une simple altercation verbale. Et pourtant, branle-bas de combat : ouverture des JT, éditoriaux enflammés, comparaisons avec les années 1930, indignations ministérielles. Pour un voile contesté, la République, nous disait-on, vacillait.

La comparaison est glaçante. D’un côté, une enfant violée à cause de son identité, réduite à un fait divers gênant. De l’autre, un symbole contesté, transformé en drame national. La gravité des faits n’est plus le critère. C’est l’utilité idéologique qui décide de l’intensité du traitement.

Voilà la hiérarchie des victimes telle qu’elle s’impose en France. Certaines souffrances sont amplifiées, sacralisées, montées en épingle, parce qu’elles cadrent avec le récit dominant. D’autres sont minimisées, étouffées, invisibilisées, parce qu’elles le contredisent. Et dans cette hiérarchie indigne, les Juifs se retrouvent en bas de l’échelle. Non pas parce que leurs blessures seraient moindres, mais parce que leurs agresseurs appartiennent trop souvent à des profils que l’idéologie progressiste a érigés en victimes ontologiques, donc intouchables.

Le résultat est obscène. Un voile contesté compte plus qu’une enfant violée. La dignité d’un symbole pèse davantage que la chair brisée d’une gamine. Ce n’est pas seulement une faute morale, c’est une trahison du pacte républicain. La République, si elle veut être crédible, doit protéger toutes ses filles de la même manière.

Sinon, elle ne protège plus personne. Elle fabrique de la défiance, de la colère, et nourrit l’idée qu’il y aurait, dans ce pays, des victimes de première classe et des victimes de seconde zone.

Heureusement, il existe un contre-pouvoir : les réseaux sociaux. Ce sont ces citoyens qui filment, témoignent, relaient. C’est grâce à eux que certaines affaires surgissent malgré tout. Sans ces vidéos partagées, sans cette indignation virale, combien de crimes passeraient sous silence ? Combien de réalités seraient effacées par convenance idéologique ?

Il faut le dire clairement : si la République veut survivre, elle doit briser cette hiérarchie des victimes. Elle doit refuser de distribuer la compassion au gré de ses calculs. Et si les grands médias ne le font pas, alors ce sera aux citoyens eux-mêmes, par leurs caméras et leurs réseaux, d’imposer le réel car au pays de la préférence diversitaire, le négationnisme du réel est un puissant aphrodisiaque idéologique.

© David Duquesne

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