
Il y a dans l’exil une grandeur que seuls les peuples dignes savent endosser : celle d’un silence tissé de deuil, d’une acceptation tragique du réel, d’un renoncement viril à ce qui fut, non pour oublier mais pour ne pas sombrer. Les Grecs d’Asie Mineure, les Allemands de Prusse orientale, les Juifs des pays arabes – tous ont connu l’arrachement. Ils ont vu leur monde s’effondrer, leurs morts profanés, leurs maisons habitées par d’autres. Mais jamais ils n’ont transformé leur blessure en une arme, jamais ils n’ont élevé leur nostalgie au rang d’idéologie exterminatrice. Ils ont souffert, oui, mais ils n’ont pas haï. Ou du moins, ils ont haï en silence, sans exiger que l’histoire entière se plie à leur douleur.

Pourquoi alors cette obsession du retour, cette fixité morbide qui transforme des réfugiés en fantômes hurlants, répétant depuis trois générations la même litanie de malédictions ? Pourquoi brandir les clés rouillées de maisons détruites, comme si le passé devait dévorer le présent ? Pourquoi refuser obstinément de vivre là où l’on est, préférant nourrir un rêve de revanche plutôt qu’un avenir partageable ?
En 1948, les Arabes restés en Israël sont devenus citoyens d’un État qui ne les a pas effacés. Et pourtant, une partie d’entre eux, travaillée par la haine, préfère encore s’identifier à ceux qui veulent la disparition de ce même État. Que leur faut-il donc ? Le triomphe du néant ? Le retour à une illusion prénationale, une Palestine mythologique qui n’a jamais existé comme nation et qui ne peut exister qu’en effaçant l’autre ?
À la différence des Juifs chassés des pays musulmans – et qui, eux, ne revendiquent rien, ne rêvent pas de réinstaller leurs familles à Bagdad, à Constantine ou à Damas – les Palestiniens ont été dressés à haïr. Nourris au lait du ressentiment, élevés dans l’ivresse d’un martyre sans fin, réduits à l’état de masses sacrificielles par des régimes arabes cyniques et des intellectuels européens décadents, ils ne connaissent que l’attente, la rancœur et la promesse de sang.
« From the river to the sea » : cela ne signifie pas une paix négociée, une frontière reconnue, un vivre-ensemble. Cela signifie : plus de Juifs. Plus d’Israël. Le retour au désert, au règne tribal, à l’effacement d’un monde moderne par une pulsion archaïque et religieuse. Ce slogan est l’avatar postmoderne de la haine pure. Il n’est pas dit en arabe, ce qui serait plus sincère, mais en anglais : langue globale, langue de la scène médiatique occidentale – preuve que ce cri de mort vise moins Israël que nos sociétés exténuées, désarmées, complices.
Car la vraie obscénité est là : dans la complaisance. Une gauche occidentale moribonde, qui voit en Israël un miroir de sa propre culpabilité coloniale, applaudit à ce cri génocidaire comme elle a, jadis, salué les chars de Staline. Des universités en ruine morale, où la haine de soi se mue en adoration d’un peuple « sacré » parce qu’il souffre – non parce qu’il construit. Une élite politique lâche, anesthésiée par le relativisme, qui ne sait plus distinguer la cause juste de l’appel au massacre.
Et pendant ce temps, l’on enseigne aux enfants palestiniens que la terre se reprend dans le sang, que l’avenir n’est possible que sur le cadavre de l’autre, que l’histoire est une boucle où l’on gagne par l’anéantissement. À cette jeunesse, on ne donne ni avenir, ni vérité, ni travail : on leur donne des drapeaux, des pierres, des slogans. Une religion du ressentiment. Une esthétique de la mort.
C’est ainsi que meurt une civilisation : non par la force des armes, mais par le refus de regarder en face le visage grimaçant de la haine, quand elle se drape dans le langage des droits. Le monde arabe, incapable de modernité sans violence, sacralise sa défaite et transforme son propre peuple en outil sacrificiel. L’Occident, de son côté, a renoncé à défendre le monde qu’il a bâti, préférant flatter ses ennemis dans l’espoir d’un pardon qui ne viendra jamais.
Il n’y aura pas de paix là où l’on refuse la réalité. Il n’y aura pas d’avenir pour un peuple qui ne sait que rêver à l’effacement de l’autre. Et ceux qui se disent « solidaires », tout en fermant les yeux sur ce que cache vraiment le cri « From the river to the sea », ne sont pas des amis du peuple palestinien, mais les fossoyeurs de toute chance de coexistence.
© Charles Rojzman
Dernier ouvrage: « Les Masques tombent. Illusions collectives, vérités interdites. Le réel, arme secrète de la démocratie ». FYP Éditions. Mai 2025

Une analyse brillante ! Tous les refugiés des dernières guerres et conflits ne sont pas pétris de haine. Il y avait des exemples dans ma propre famille. Il faut dire aussi, que les pays arabes n’ont pas fait le moindre effort pour intégrer les réfugiés, contrairement à la Grèce, l’Allemagne ou la France pour les pieds noirs et les Juifs de Tunisie et d’Algérie. Sans oublier l’énorme « échange » de populations entre l’Inde et le Pakistan dont plus personne ne parle. Le drame des Palestiniens, vous l’avez démontré, est de refuser la réalité. Golda Meir avait dit qu’il y aura la paix « quand les Arabes aimeront plus leurs enfants qu’ils ne nous haïssent ». Il faut croire que les Palestiniens n’aiment pas vraiment leurs enfants.