Un appel sans paix : 153 signataires entre moraline et aveuglement. Par Daniel Horowitz

Intitulée « Israël-Palestine : l’appel de 153 personnalités à un congrès mondial pour la paix », cette tribune publiée par le Nouvel Obs se présente comme une initiative de sagesse. Mais derrière l’apparente modération, elle déploie une logique d’accusation où l’obsession morale tient lieu de pensée stratégique, et où la paix n’est qu’un slogan destiné à dissimuler un procès politique. Il s’agit d’un appel sans paix — un document qui, sous couvert d’humanisme, reconduit les aveuglements idéologiques les plus tenaces, et dont la moraline nietzschéenne, c’est-à-dire une morale de surface fondée sur le ressentiment, sert de couverture à une délégitimation en règle d’Israël.

Cet appel valide une lecture partielle et partiale du conflit. Il enferme le débat dans une grille de lecture faussement équilibrée, où les responsabilités seraient également partagées, où les violences seraient symétriques, et où Israël se verrait imposer des injonctions démocratiques, humanitaires et géopolitiques que nul ne songe à adresser à ses adversaires.

Or, en examinant les formulations et les propositions, on constate une série de biais structurels : criminalisation de la légitime défense israélienne, mystification du droit international, négation de la complexité historique et juridique de la Cisjordanie, occultation des échecs de la solution à deux États, déni des causes du terrorisme, et mise en perspective des discours antisémites.

Il ne s’agit pas de contester les intentions affichées de cet appel, mais d’en démonter la mécanique idéologique : ses glissements , ses présupposés et ses postulats. Ce n’est pas l’invocation de la paix qui est en cause, mais l’usage qu’on en fait pour déployer une stratégie de délégitimation d’Israël, fondée sur une lecture unilatérale et instrumentalisée.

Le texte évoque la nécessité que « cesse enfin le massacre de Gaza », formulation lourde d’implications éthiques et juridiques. Utiliser le terme de « massacre » suppose une volonté délibérée d’extermination de civils sans justification militaire. Or, aucune instance internationale n’a jusqu’ici qualifié les opérations israéliennes de la sorte. Ce terme efface la réalité d’une guerre déclenchée par l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui a vu l’assassinat de plus de 1 200 civils israéliens et l’enlèvement de plus de 250 personnes[1]. Dans une guerre asymétrique contre une organisation terroriste logée dans les infrastructures civiles, les pertes humaines ne relèvent pas, par nature, d’un massacre. Israël agit en vertu de son droit à la légitime défense, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies[2].

Dans le même esprit, le texte affirme que la réponse israélienne « aurait dû être proportionnée, ce qu’elle n’est plus ». Mais la proportionnalité en droit international n’implique pas une symétrie de pertes. Elle exige une adéquation entre l’objectif militaire et les dommages collatéraux. Le Hamas, en intégrant ses installations militaires dans des hôpitaux, des écoles et des quartiers résidentiels[3], maximise intentionnellement les pertes civiles et s’en glorifie. Par ailleurs, Tsahal prévient la population par des appels, des tracts ou des couloirs humanitaires[4].

L’appel des 153 dénonce « la conquête toujours plus meurtrière de Gaza et l’expulsion de masse de ses populations ». Une telle lecture inverse les responsabilités. Israël ne cherche ni à conquérir ni à annexer Gaza, d’où il s’est retiré en 2005[5]. Il ne s’agit pas d’une entreprise de colonisation, mais d’une opération ciblée visant à mettre le Hamas hors d’état de nuire. Les évacuations de population sont motivées par la protection des civils et accompagnées de consignes d’alerte. Aucun plan d’expulsion n’a été mis en œuvre.

Autre affirmation problématique : « Israël occupe la Cisjordanie en contradiction avec le droit international ». Cette lecture méconnaît l’histoire juridique de la région. La Cisjordanie n’a jamais été le territoire d’un État souverain palestinien. Elle fait partie du territoire hérité du mandat britannique, entériné par la SDN puis l’ONU[6], et contrôlé par Israël depuis 1967 à la suite d’une tentative de la Jordanie de jeter les Juifs à la mer et de s’emparer du territoire israélien[7]. Parler d’« occupation illégale » relève d’un jugement idéologique, et non d’un concept juridique. Tout ce que l’on peut dire à ce stade est qu’Israël contrôle un territoire disputé.

L’appel va plus loin en accusant le Premier ministre israélien d’avoir, « par un calcul cynique, choisi de se désintéresser du sort des otages ». Si la gestion de la question des otages est critiquée en Israël même, elle ne peut être assimilée à du cynisme. Des négociations ont eu lieu, et de nombreux otages ont été libérés au prix de libérations de centaines de criminels palestiniens impliqués dans des actes de violence meurtrière[8].

Sur la question de l’aide humanitaire, il est affirmé que le Premier ministre israélien aurait « choisi de suspendre » cette dernière. Là encore, les faits sont têtus. Israël autorise l’entrée de l’aide avec des interruptions liées à des impératifs sécuritaires. C’est le détournement systématique de l’aide par le Hamas qui aggrave la situation sur le terrain[9].

Le texte suggère que « Gaza doit être administrée par une autorité palestinienne ou arabe », comme si Israël ne devait pas avoir son mot à dire. Toute solution doit inclure les impératifs de sécurité d’Israël. L’Autorité palestinienne a montré son impuissance à contrôler Gaza. Une administration externe imposée sans la participation active d’Israël reviendrait à nier les réalités de terrain et les leçons du passé.

Les 153 signataires en appellent à une reprise des négociations « sur la base des paramètres Clinton », ou autres initiatives présentées comme issues possibles. Pourtant, ces tentatives ont toujours échoué faute d’interlocuteurs prêts à mettre fin au conflit[10]. La solution à deux États s’est heurtée à une hostilité persistante, et d’autres pistes — comme le rattachement de la partie arabe de la Cisjordanie à la Jordanie — devraient pouvoir être pensées.

Dans une tentative de neutralité, l’appel affirme que « être sioniste n’est pas un crime, être pro-palestinien non plus ». Mais cette symétrie est artificielle. Le sionisme est l’aspiration du peuple juif à la souveraineté en terre d’Israël[11]. À l’inverse, le discours palestiniste nie le droit d’Israël à l’existence. Les agressions antisémites, en forte hausse, n’ont aucun équivalent dans l’autre sens. Les Juifs n’exercent de violences nulle part contre des palestinistes[12].

Plus loin, les 153 parapheurs tiennent à préciser que « les Palestiniens ne sont pas des nazis ». Cette formule élude une réalité dérangeante. Le 7 octobre, ce ne sont pas des unités dissidentes ou des cellules marginales qui ont commis les massacres — mais des commandos agissant dans le cadre d’une opération préméditée de longue date, pensée dans ses détails : torture, enlèvements, exécutions de masse, viols collectifs, mutilations de cadavres. Cette violence méthodique, revendiquée et diffusée par les assaillants eux-mêmes, a été suivie d’un soutien euphorique de la population à Gaza : célébrations dans les rues, liesse sur les réseaux sociaux, glorification dans les écoles.

Un tel phénomène relève d’une dynamique collective, où la société ne se borne pas à subir ses dirigeants, mais épouse leur projet de destruction du peuple juif. L’un des traits caractéristiques du nazisme fut sa diffusion sociale : non pas seulement une idéologie d’État, mais un enthousiasme populaire pour l’extermination des Juifs. Il ne s’agit pas d’assimiler tous les Gazaouis à des nazis, mais de ne pas effacer le fait qu’une vague d’inhumanité consciente, ritualisée et festive, a traversé la population entière de Gaza. Refuser de le voir et de le dire revient à rendre impossible toute compréhension du véritable obstacle à la paix[15].

Autre exemple de fausse équivalence : « Les juifs et les musulmans ont droit à une existence normale. » Or, depuis le 7 octobre, les agressions visent essentiellement les Juifs, en France comme ailleurs. Énoncer ce droit commun comme une vérité abstraite gomme les faits tangibles des exactions antijuives.

Les signataires affirment que « les forces politiques qui instrumentalisent le conflit, exacerbent les tensions entre les juifs et les musulmans […] doivent être combattues et mises au ban du débat public ». Mais les auteurs de l’appel se gardent de nommer ceux qui, en France, cautionnent la logique du Hamas, refusent de qualifier le 7 octobre d’acte terroriste, et alimentent une rhétorique univoque contre Israël. Il ne fait aucun doute qu’une partie significative de la gauche menée par La France Insoumise a franchi la ligne rouge de la respectabilité républicaine. Ce sont ces négateurs hostiles à Israël  qui exacerbent les tensions intercommunautaires en entretenant un climat d’impunité autour de l’antisémitisme sous bannière antisioniste.

Que les signataires ne pointent pas nommément cette réalité, tout en appelant à mettre « au ban du débat public » des acteurs non identifiés, en dit long sur leur incohérence morale. En prétendant désigner les incendiaires, ils détournent le regard des pyromanes bien réels, installés dans l’espace politique occidental.

Enfin, la demande d’organiser « de nouvelles élections » en Israël constitue une ingérence caractérisée et inacceptable, d’autant plus choquante qu’elle vise une démocratie fonctionnelle[13]. On imagine l’indignation que susciterait un appel du Premier ministre israélien à organiser des élections présidentielles en France pour écarter Emmanuel Macron. Qu’un collectif français s’arroge le droit de prescrire des élections en Israël relève d’une forme de délire politique. Cette dérive morale les disqualifie et trahit un fantasme de mise sous tutelle d’Israël.

Par ailleurs, l’appel 153 fois contresigné ne contient aucune mention explicite de l’Iran — acteur décisif du conflit, qui revendique ouvertement la destruction d’Israël[14], finance et arme le Hamas, le Hezbollah, les milices chiites en Syrie, en Irak, au Yémen, et poursuit un programme nucléaire à visée militaire. Que cet élément soit purement et simplement ignoré dit tout de la myopie stratégique ou du déséquilibre idéologique des signataires. On ne peut prétendre œuvrer à la paix en passant sous silence la principale puissance régionale qui alimente la guerre. Cet autisme invalide l’ensemble du texte. Il confirme que l’objectif n’est pas la paix, mais la reconduction d’une posture morale, performative, où la dénonciation publique vaut engagement et la moralineremplace l’analyse.

Par ses omissions, ses angles morts et ses partis pris, cet appel se révèle pour ce qu’il est : un exercice d’indignation sélective, privé de toute crédibilité politique, et imperméable aux conditions réelles d’une sortie du conflit.

Notes

  1. Voir les rapports des services israéliens et les comptes rendus d’Amnesty International sur les attaques du 7 octobre 2023.
  2. Charte des Nations unies, article 51 : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense […] ».
  3. Voir les enquêtes de l’ONU et de Human Rights Watch sur l’utilisation d’infrastructures civiles par le Hamas.
  4. Tsahal publie régulièrement des vidéos et données sur les avertissements adressés aux civils avant les frappes.
  5. Le retrait unilatéral de Gaza a eu lieu en août 2005, impliquant le démantèlement total des colonies et la fin de l’occupation militaire.
  6. Le mandat britannique (1922) incluait la Cisjordanie et visait à établir un « foyer national juif ».
  7. La guerre des Six Jours (1967) est généralement considérée comme une guerre préventive, déclenchée face à des menaces convergentes.
  8. Voir les déclarations officielles du gouvernement israélien et les médiations du Qatar et de l’Égypte.
  9. De nombreuses ONG ont documenté le détournement de l’aide humanitaire par le Hamas.
  10. Les propositions d’Ehud Barak (2000) et d’Ehud Olmert (2008) ont été refusées sans contre-offres.
  11. Résolution 181 de l’ONU (1947) reconnaissant le droit à un État juif.
  12. Données du SPCJ (France) et de l’ADL (États-Unis) sur l’augmentation des actes antisémites après le 7 octobre.
  13. Israël organise des élections parlementaires depuis 1949, selon un système représentatif multipartite.
  14. Voir les déclarations répétées du Guide suprême Ali Khamenei, ainsi que les résolutions du Parlement iranien appelant à la disparition d’Israël.
  15. Voir notamment les images de liesse dans Gaza diffusées les 7 et 8 octobre 2023, ainsi que les rapports d’IMPACT-se sur l’éducation antisémite dans les écoles gérées par le Hamas.

© Daniel Horowitz

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Chaque homme doit inventer son chemin (J.P. Sartre)

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1 Comment

  1. Bravo! Encore 153 qui veulent se donner une stature morale qu’ils sont incapables d’incarner ! Du bla-bla creux et perverti par l’idéologie « bien-pensante « hémiplégique qui piétine les vérités historiques ! Peut-être devraient ils demander des élections à l’Autorite Palestinienne dont Mahmoud Abbas qui a été élu depuis 20 ans pour un mandat de 4 ans!!! La Judée Samarie a été annexée le 24 avril 1950 par la « Transjordanie « devenue le Royaume de Jordanie dont les 3/4 de la population est de la même ethnie « palestinienne « Pourquoi n’ont-ils donc pas créé l’Etat de Palestine à cette époque plutôt que de l’annexer ? Les Arabes veulent détruire Israël depuis 1948 c’est une évidence sinon ils auraient accepté le Plan de partage. Et on ne les a jamais entendu protester contre les déclarations des Mollahs génocidaires qui promettent régulièrement de détruire Israël !

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