
Je souhaite conjuguer ma fidélité au peuple juif par respect pour mes parents, pour mes ancêtres, pour ce qu’ils ont traversé, pour ce qu’ils ont enduré — non comme des survivants passifs, mais comme des porteurs d’une mémoire, d’une dignité, d’une mobilisation absolue. Et en même temps, je suis français. Fier de l’être. Fier d’appartenir à ce peuple mêlé, brassé, pétri d’héritages contradictoires, ce peuple qui a donné au monde l’idéal, fragile et superbe, de la liberté, de l’égalité, de la tolérance.
Juif, oui — même si je n’ai pas de pratique religieuse. Même si je ne porte au front aucun signe distinctif, aucun rituel, aucune observance. Car on peut être juif sans temple, sans prière, sans liturgie : il suffit d’être inscrit, d’être marqué, dans la lignée. Et c’est là, peut-être, que réside la véritable fidélité : dans l’attachement intime, muet, mais indéfectible, à un peuple, à une mémoire, à un nom.
Que ce soit le peuple juif, Israël, cette borne, ce repère, ce point cardinal de l’histoire et du cœur auquel je reste sentimentalement attaché, ou que ce soit la France, cette terre, cette patrie, avec ses paysages, sa langue, sa littérature, son histoire douloureuse et glorieuse à la fois, ces deux pôles aujourd’hui sont menacés. Menacés d’effacement, de disparition lente sous les assauts conjugués de l’uniformisation, de l’oubli, de l’effritement des âmes.
Et pourtant, moi, j’aime la France. J’aime cette terre qui m’a accueilli, même si je suis, comme tant d’autres, un Français de greffe. J’aime ses villages, ses collines, ses rivières, ses monuments, ses livres. J’aime son histoire, ses éclats, ses ombres, ses révoltes, ses échecs. J’aime cette oscillation permanente entre grandeur et déclin, entre lumière et chute.
Mais au-delà des appartenances, je crois en la force spirituelle de ces deux pays. Je crois qu’ils incarnent, chacun à leur manière, quelque chose d’essentiel : une singularité, une tension intérieure, une mémoire qui ne doit pas mourir. Dans un monde qui veut gommer les différences, qui veut uniformiser, aplatir, rendre tout échangeable, substituable, ces deux nations portent encore en elles une flamme, une résistance.
Je suis donc français. Je suis donc juif. Il n’y a pas de contradiction pour moi. Il y a seulement une fidélité. Une fidélité à ceux qui m’ont précédé, à ceux qui m’ont fait naître, à ceux qui m’ont transmis, même sans mots, un poids, une force, une lumière. Une fidélité aussi à ce pays, la France, ce pays qui m’a tout donné, qui m’a appris à lire, à penser, à rêver, à aimer, et qui m’a appris, à sa manière rugueuse et belle, ce que c’est que vivre.
Car être fidèle, c’est refuser de disparaître. C’est porter en soi, contre vents et marées, la survivance de noms, d’histoires, de mémoires. C’est dire : je suis là. Je suis cela. Et je ne cèderai pas.
© Charles Rojzman
Dernier ouvrage paru: « Les Masques tombent. Illusions collectives, vérités interdites. Le réel, arme secrète de la démocratie ». FYP Éditions. Mai 2025

En utilisant l’imparfait j’ecrirais la même ode à la France, je suis en tant que Juif né en France, sous le charme eternel de cette France d’avant, celle de 1950 qui conservait encore certaines valeurs, aujourd’hui disparue.
Réalité oblige, face à la réalité tragique à laquelle nous devons assister, le point de non retour est largement dépassé.
Ainsi va la vie, tout à une fin.