
C’est Jean Daniel qui m’avait présenté Pierre Nora. Plus que présenté : Il m’a initié à toute son œuvre. Et quelle œuvre ! Une œuvre époustouflante ! Passionnante. Quand je voulais en savoir davantage sur un sujet il m’expliquait tout. C’est comme ça que je suis devenu un passionné de Pierre Nora. Quand son livre Jeunesse (1) est sorti en 2021, je me suis précipité pour le lire. Et je viens de retrouver un passage que j’avais encadré dans le livre : « Je ne savais pas trop ce qui nous désignait à l’exil, ce que signifiait être juif, sinon appartenir à une catégorie d’exclus et de Français particulièrement menacés. Au lycée Champollion, en sixième, dans la cour de récréation, je me suis fait pour la première fois traiter de ‘sale juif’ par un petit gamin à noeud papillion, le fils de Gants Perrin, spécialité de Grenoble. Et comme beaucoup d’enfants dans ce cas-là, au lieu de me battre, je me suis effondré sur moi-même, comme rétréci d’un coup, humilié, déstabilisé. Mon frère aîné Simon, qui m’avait vu rentrer à la maison en pleurs, m’avait pris dans ses bras en disant : ‘La prochaine fois que ça arrive, tu fonces, et tu frappes!’ C’est le début de la vaste pédagogie que je lui dois ».
Pierre Nora, cet éminent historien français, vient de décéder le 2 juin 2025 à Paris à 93 ans. Membre de l’Académie française depuis 2001, il était reconnu pour ses travaux sur la mémoire collective et l’identité nationale, notamment à travers son œuvre monumentale « Les Lieux de mémoire ».
Né le 17 novembre 1931 à Paris, Pierre Nora a commencé sa carrière comme professeur au lycée Lamoricière à Oran, en Algérie, où il a publié Les Français d’Algérie en 1961. Il a ensuite occupé des postes à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où il est devenu directeur d’études en 1977.
Il a joué un rôle majeur dans l’édition en sciences humaines chez Gallimard, créant des collections influentes telles que la « Bibliothèque des sciences humaines » et la « Bibliothèque des histoires ».
En 1980, il a cofondé la revue « Le Débat » avec Marcel Gauchet, qui est devenue une référence intellectuelle jusqu’à sa cessation en 2020.
Pierre Nora fut un défenseur de la liberté de la recherche historique, s’opposant à des lois mémorielles qu’il jugeait contraignantes pour l’historiographie. Il a présidé l’association « Liberté pour l’histoire », plaidant pour l’indépendance des historiens face aux injonctions politiques.
Côté médaille , il a reçu le Grand prix national de l’histoire, le Prix Jean-Jacques Rousseau pour son autobiographie « Jeunesse » (Gallimard) et le prix Dan David pour ses contributions à l’histoire et à la mémoire.
Bref, Pierre Nora laisse derrière lui une œuvre intellectuelle majeure qui a profondément influencé la manière dont la France pense son histoire et sa mémoire.
« Une jeunesse qui m’a fait ce que je suis », disait-il.
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