
Oser la colère contre les Chrétiens et leurs descendants.
Par Yves Lusson, chrétien, intervenant en thérapie sociale formé par Charles Rojzman
Bien sûr qu’Israël est l’État du peuple juif. Le peuple du Livre.
Bien sûr qu’il était là avant les autres, lui dont les deux autres « religions du livre » sont issues de la sienne.
Bien sûr que les Israéliens sont légitimes à posséder cette terre, à y vivre en paix et en sécurité, terre qui rappelons-le ne représente que 0,3% de la surface du Moyen-Orient.
Bien sûr qu’ils sont légitimes à la défendre, même avec la colère et la violence militaire (encadrée) nécessaires à leur survie.
Bien sûr que les Arabes ont de quoi (99,7%) où aller et s’établir en paix. Et qu’il faut arrêter de leur chercher tout le temps des excuses à leur haine, à leur jalousie, à leur ferme intention de détruire Israël par des massacres, des lancers de missiles par tous les côtés, des harcèlements et des mensonges quotidiens, au nom d’une idéologie totalitaire et barbare – l’Islamisme – dont les Juifs sont une fois de plus la cible dans l’Histoire.
Bien sûr qu’il n’y a pas de « colonisation » en Judée-Samarie, c’est un non-sens historique, et qu’il faut arrêter le délire.
Bien sûr que les Arabes qui sont restés là et qui sont devenus Israéliens sont certainement les plus heureux du monde.
Bien sûr que les Chrétiens ont aussi de quoi faire partout dans le monde, en se souvenant que Jésus était juif, et même rabbin, et qu’il est normal que la terre où il est né, où il a vécu et où il est mort soit et demeure Israël, la terre des Juifs.
Tout ça, c’est LA réalité. Ce sont des évidences.
Mais que pèse la réalité dans des esprits rendus malades par des siècles d’illusion et de soumission religieuse.
J’ai reçu une éducation chrétienne. Très chrétienne. Catholique. Mon père était le neveu du curé du village de ma mère. Je suis né d’un calice autant que du sein maternel.
Je connais bien le plaisir masochiste que j’avais de tendre la joue gauche quand on me frappait la droite. Dans les toilettes d’un de mes oncles, il y avait, écrits en lettres dorées dans un petit cadre de verre accroché au mur, les Sept péchés capitaux. Très tôt j’ai intégré que c’était mal de se mettre en colère.
Tout ou presque m’enjoignait à me conformer à l’image du « fils unique de Dieu », Dieu lui-même, forcément parfait puisque divin.
Moi, secrètement, je préférais l’histoire de « Jésus le juif », cet homme authentique raconté dans quelques rares livres, écrits par quelques honnêtes réfractaires à la fable, ou entre les lignes de certains évangiles, souvent mal commentés à l’homélie qui suivait leur lecture à la messe. L’Évangile de Marc raconte bien des colères de Jésus, pas qu’envers les marchands du temple, aussi à la synagogue de Capernaüm, quand les pharisiens refusèrent de répondre à ses questions, « il promena sur eux un regard de colère, peiné de l’endurcissement de leur cœur ».
Je me dis qu’un jour viendra où l’on étudiera même les violences de Jésus, parce qu’il était un être humain, donc imparfait. Et parce que, comme l’écrivait Carl Gustav Jung, « la vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression ni ascension ».
Dès 1977, François Dolto s’y essaye dans son remarquable ouvrage L’évangile au risque de la psychanalyse.Elle commente par exemple l’épisode des Noces de Cana (où Jésus change par miracle l’eau en vin) raconté ainsi par l’évangéliste Jean :
Le vin vint à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont plus de vin. » Jésus lui répond: « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas venue. »
Sa mère dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ».
Françoise Dolto : « Marie a compris qu’en s’exprimant ainsi (de manière culpabilisante, NDLR), Jésus résiste parce qu’il est angoissé à naître à sa vie publique. En effet, Jésus est un homme et l’homme connaît l’angoisse devant des actes importants qui engagent son destin et sa responsabilité. Plus tard, au Jardin des Oliviers, il pleurera, il suera du sang, il dira qu’il est triste à en mourir.
A Cana, Jésus ressent l’angoisse. Marie est moins angoissée que lui, c’est pourquoi elle pressent juste. Jésus va quitter une vie de silence, une vie cachée pour une vie publique. C’est angoissant ce changement de vie.
Marie, quant à elle, sait que c’est son heure, tout à fait comme une mère sait que c’est l’heure, tout à fait comme une mère sent qu’elle va accoucher. »
Il ne faut pas négliger cette réalité selon laquelle réside dans la culture chrétienne – et donc occidentale – un substrat de soumission à la perfection. Une soumission à une prétendue perfection christique qui nous a rendus, nous les chrétiens – et leurs descendants –, malades dans nos relations aux autres, à nous-mêmes et à la réalité : qui nous empêche d’être pleinement soi.
Moi, quelque part, je suis resté un peu juif quand même. D’abord parce que, dans ma jeune vie d’adulte, j’ai vécu pendant sept ans une intense passion amoureuse avec une Française d’origine séfarade.
Ensuite parce que je suis devenu, il y a douze ans, l’élève de Charles Rojzman, qui m’enseigne l’art des combats pour la réalité et la liberté avec la thérapie sociale qu’il a inventée.
Un combat à toujours remettre sur le métier, d’abord contre soi-même. Lors d’une supervision récente avec lui, il n’a pas hésité à m’exprimer sa colère pour m’aider à surmonter ma difficulté à reconnaître et faire reconnaître la réalité de mes propres médiocrités – difficulté qui s’était traduite par l’expression violente de ma jalousie face à une collègue qui, elle, prenait le temps de se dévoiler et de se montrer telle qu’elle était : imparfaite pour pouvoir s’améliorer dans sa pratique.
Tant que les chrétiens (et leurs descendants) n’apprendront pas à aller regarder leur part d’ombre, et qu’ils chercheront encore et toujours à ressembler à un Christ trop doux, trop zen et trop parfait pour être vrai, dans un faux-self inconscient et contrôlé, alors ils continueront à projeter exagérément sur les juifs – plus aptes culturellement à se montrer plus spontanément dans leurs colères et leurs imperfections* -, la médiocrité qu’ils ne veulent/peuvent pas voir en eux.
Et LA réalité rappelée plus haut sur Israël n’aura jamais raison d’eux.
Il est temps que les chrétiens commencent par changer leur regard sur Jésus, et reconnaissent qu’il était avant tout un homme, juif, imparfait, libre, parfois en colère, et même violent pour la bonne cause.
Il est temps aussi que les juifs prennent conscience de la chance qu’ils ont eus d’avoir grandi dans une culture qui chérit la réalité et la liberté – quitte à devoir les défendre coûte que coûte -, et ne diabolise ni l’imperfection ni la colère.
Il est temps qu’ils osent davantage se mettre en colère contre leurs frères chrétiens qui n’ont pas eu cette chance.
Qui aime bien châtie bien**.
© Yves Lusson
*Je pense par exemple à Cyril Hanouna, d’origine séfarade tunisienne, qui ne cherche pas à cacher ses colères, mais aussi parfois sa « bêtise » et sa « méchanceté », à l’intérieur d’une rafraichissante auto-dérision, ce que n’a manifestement pas supporté la bien-pensance parisienne – et finalement très chrétienne quelque part – en coupant sa chaîne C8.
** « Car l’Éternel châtie celui qu’il aime, comme un père l’enfant qu’il chérit » (Salomon, roi d’Israël)
La chance n’existe pas mais je suis quelquefois en colère.c’est une émotion.La liberté et la réalité sont faites l’une pour l’autre,elles ne peuvent être séparées.