
Six heures à déambuler, avec une amie Parisienne, dans les rues de Tel-Aviv. « 66 familles ont fondé Tel-Aviv », « Les gens, fuyant les pogroms, descendaient des bateaux, retroussaient leurs manches, prenaient une brouette, nivelaient le sable ». « Laïques, visionnaires, courageux, ces pionniers ont créé la première ville Juive ».
Comment transmettre mon enthousiasme pour la ville où la culture, la presse, l’art, l’architecture, l’économie israélienne sont nés et continuent de vibrer ? La ville où chacun est libre. « Regarde, c’est là que Ben Gourion a fait la déclaration de l’Etat ». La ville où chaque samedi soir, des milliers de gens descendent dans la rue pour protéger la démocratie en danger, pour exiger la libération de tous les otages.
Le soir, retour en train vers mon village sur la colline. Mon amie ne parle plus (c’est trop 19 kilomètres ? On ne peut pas résumer 116 ans d’Histoire en 900 mètres !) Je discerne des gens avec des drapeaux, des tee-shirts : des manifestants. Nous ne sommes pourtant pas samedi soir ! Je les interroge.
– Tu n’as pas vu les infos ? La déclaration sous serment du chef du Shin Beit ? Les tentatives de Bibi (« notre Souverain au pouvoir depuis presque deux décennies ») ?
– Non, on n’a pas ouvert nos portables de la journée. On était connecté à l’Histoire, pas à l’actualité…
– Alors va lire, c’est trop long à t’expliquer. C’est explosif.
Tout va si vite dans ce pays ! Chaque jour apporte un autre scandale. Le lendemain, on a visité Haïfa ( « Rassure-moi, c’est une ville moins ancienne que Tel-Aviv ? On ne va pas se taper 20 kilomètres ? » ) A quelques kilomètres de là, les habitants se terraient dans les abris pour se protéger des missiles lancés par les Houthistes. Nous n’avons rien entendu. Quelques jours plus tard, c’est le jour du souvenir de la Shoah. Mon père, né en 1933, seul survivant de sa famille – a témoigné (de Paris) devant l’unité de Tsahal de mon fils, soldat de 19 ans. (Merci la technologie. Merci Papa de savoir l’hébreu. De savoir utiliser Zoom. D’accepter de témoigner). Un jour suspendu.
Puis il y aura le Jour du Souvenir. Et le Jour de l’Indépendance. Pendant que les gros titres continueront d’afficher les derniers méfaits d’un gouvernement de politiciens obsédés par leur pouvoir, mentant, piétinant la démocratie et fuyant leurs responsabilités. A 570 jours du 7 octobre 2023.
Parfois, c’est trop pour moi. Je rêve de tranquillité. Comme dans le poème de Yona Wallach : « Envoie-moi du calme dans une boite, d’un pays lointain. […] Envoie-moi du silence pour que j’oublie ».
Dans la nature, entourée de mes copines les roses trémières – malgré les avions qui grondent au-dessus de nos têtes – je parviens presque à ressentir ce calme. La paix.
Pour quelques heures seulement.
© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».

Poster un Commentaire