Dans entretien accordé au Nouvel Obs, le député de gauche François Ruffin pointe avec justesse la stratégie insurrectionnelle des Insoumis, mais devrait sortir d’une logique obtuse d’«union de la gauche» contre le RN, analyse la philosophe Renée Fregosi, ex-membre du PS.
Dans sa récente interview au Nouvel Obs , François Ruffin critique la stratégie électorale de La France insoumise, et en donne une excellente formule : «la stratégie de Terra nova avec le ton du NPA». Son analyse est fort juste : à travers des appels insurrectionnels, les Insoumis rassemblent à la fois des populations issues de l’immigration travaillées par l’islamisme, et des bourgeois aisés dans la haine de soi wokiste. Le résultat est spectaculaire : des scores de plus de 60% en Seine-Saint-Denis pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022, par exemple, et cinq élus LFI dès le premier tour à Paris intra-muros lors des législatives de juin 2024 (plus deux EELV sur la même ligne et un PS sous influence).
Au demeurant, que la gauche ait abandonné les couches populaires, on l’avait noté depuis longtemps. Dès les années 90, Marcel Gauchet analysait comment le Front national à l’époque, prospérait sur le renoncement de la gauche à lutte des classes faute de s’atteler à un véritable aggiornamento social-démocrate. Et plus récemment, le regretté Laurent Bouvet notamment, a théorisé ce détestable «enjambement» de la classe ouvrière et des ruraux pauvres, réduisant le PS à la «politique du castor» (qui n’a plus pour seule ligne que de «faire barrage» au RN) laissant l’hégémonie -islamo-gauchiste/islamo-wokiste- à LFI.
Si François Ruffin réussit donc pas mal dans le rôle de «boussole sociale» qu’il souhaite jouer, son «intuition du pays» reste hémiplégique. Certes, des mesures fiscales devraient être prises notamment en introduisant davantage de progressivité de l’impôt sur le revenu, mais non pas tant pour imposer davantage «les riches» et «les profits» que pour enrayer le déclassement des classes moyennes, par exemple en réduisant le taux d’imposition des petites successions (puisque l’on sait que l’ascenseur social fonctionne au moins sur trois générations). Certes, les ruraux pauvres et les populations des «zones périphériques» doivent avoir accès à des services publics et de santé de proximité, performants et en nombre suffisant. Qui ne le proclame pas aujourd’hui, après la crise ses Gilets Jaunes et les analyses si pertinentes de Christophe Guilluy et de Jérôme Fourquet ?
Mais ce qui inquiète, désespère et révolte un grand nombre de Français, bien au-delà de l’électoral du RN et qu’ils soient «petits blanc» ou descendants d’immigrés assimilés, c’est l’insécurité croissante à la fois physique et culturelle. Si François Ruffin se veut être «une voix morale», il ne peut passer sous silence comme il le fait dans cette interview, le wokisme anti-occidental, la complaisance à l’offensive islamiste et l’antisémitisme décomplexé de LFI, qui s’expriment et se manifestent à la basse comme au sommet du parti de Jean-Luc Mélenchon.
Les élus comme les militants LFI sont en effet animés par un propalestinisme de longue date dont la mise en avant de la figure emblématique très médiatique de Rima Hassan désormais élue au Parlement européen, n’est que la confirmation. Or cet engagement inconditionnel en faveur de la «cause palestinienne» est foncièrement une mobilisation anti-Juifs. Caractérisée à la fois par sa tonalité islamiste et sa dimension révolutionnaire, son but stratégique consistant dans la destruction de l’État d’Israël, et sa tactique étant la délégitimation de l’État d’Israël. Plus que jamais après le pogrom génocidaire du 7 octobre 2023 lancé par le Hamas dans le sud d’Israël, tout leader de gauche se devrait de fustiger et de combattre de toutes ses forces ce déferlement de haine antijuifs auquel on assiste également par chez nous. Or François Ruffin n’en dit pas un mot.
Plus globalement, il reste à la gauche française encore un long chemin à faire si elle veut (ce qui n’est pas certain) reconquérir le cœur et le vote du peuple. En premier lieu, elle doit renoncer à cette expression, que l’on retrouve d’ailleurs aussi chez François Ruffin, tout aussi fallacieuse que délétère de «peuple de gauche». Si l’on veut redevenir une véritable alternative politique, on ne peut pas faire le tri entre un «bon» peuple qui voterait à gauche et un «mauvais» peuple qui voterait RN. Il faut pouvoir prendre à bras-le-corps les problèmes, qu’ils servent ou non de fonds de commerce au RN, et notamment bien sûr les questions de l’immigration, de l’islamisme et de l’insécurité. Mais il faut aussi trouver la quadrature du cercle qui permettra notamment d’articuler justice sociale et rigueur budgétaire, qualité de vie en général et au travail en particulier, et éloignement de l’âge de la retraite. Car ce n’est pas en donnant dans la surenchère démagogique sur les questions sociales, tout en ignorant les questions démographiques et culturelles que l’on pourra concurrencer utilement le RN.
Dans l’immédiat, une gauche digne de ce nom devrait donc appeler à la formation d’un gouvernement d’unité nationale allant jusqu’au RN et on verrait au pied du mur quels compromis pourraient être trouvés ou non, dans l’intérêt général du pays. Mais obnubilés par la sacro-sainte «union de la gauche», par le «peuple de gauche» et par le «barrage au RN», les élus du PS, les suivistes comme les critiques de la direction calamiteuse d’Olivier Faure, sont bien incapables de sortir de leur déni collectif de la réalité et de faire face à leur responsabilité historique. Ce n’est que s’il se décide à répondre à ces enjeux cruciaux, que François Ruffin pourra peut-être à l’avenir, prétendre à un véritable leadership politique.
© Renée Fregosi
Renée Fregosi est philosophe et politologue. Dernier ouvrage paru : “Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs” (Éditions de l’Aube, 2023).
Le faut de qualifier d'”Union de gauche” ce qui est en réalité et sans ambiguïté une union de l’extrême-droite moderne, c’est-à-dire de la peste brune islamonazie, c’est déjà une manière de faire le jeu de ce qu’on prétend combattre. C’est pourquoi je ne vois même plus l’intérêt de lire ou d’écouter ce que nos supposés analystes officiels ont à dire. Les mots ont été complètement vidés de leur sens et aucune réelle prise de conscience n’a eu lieu. Je ne vois quasiment aucune personnalité publique ou auteur d’article capable de nommer les choses et d’analyser la situation de manière pertinente.