Hamid Enayat. Iran : coup dur pour le régime au pouvoir


La disparition dans un accident d’hélicoptère d’Ebrahim Raïssi, président du régime iranien depuis 2021, est un potentiel facteur de déstabilisation pour le système politique du pays. Comment peut réagir Ali Khamenei, le guide suprême ? L’analyse du politologue et militant des droits de l’homme Hamid Enayat.

Des Iraniennes voilées passent devant une affiche du défunt président iranien Ebrahim Raïssi dans une rue de Téhéran, le 21 mai 2024. La veille, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a annoncé un deuil public de cinq jours après la mort de Raïssi.
Des Iraniennes voilées passent devant une affiche du défunt président iranien Ebrahim Raïssi dans une rue de Téhéran, le 21 mai 2024. La veille, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a annoncé un deuil public de cinq jours après la mort de Raïssi. | EPA/ABEDIN TAHERKENAREH.

Le dimanche 19 mai 2024, Ebrahim Raïssi, le président du régime iranien, et le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian ont été tués dans un accident d’hélicoptère dans le nord-ouest de l’Iran.

Alors que le président iranien occupe un rôle fonctionnel et que le guide suprême Ali Khamenei conserve l’autorité ultime, la perte de Raïssi représente un coup dur pour Khamenei et un facteur de déstabilisation potentiel pour le régime. La mort de Raïssi intervient à un moment où le régime iranien est déjà aux prises avec de nombreuses crises internes et externes, exacerbant encore davantage ses vulnérabilités.
Ce coup rappelle la phase finale du Chah. À l’époque, le Chah déchu avait été contraint de se débarrasser de son Premier ministre Amir-Abbass Hoveyda, qui lui avait été entièrement fidèle pendant treize ans. Malgré ce geste, il n’avait plus pu maintenir son équilibre jusqu’à la chute de son régime.
Face aux vagues intenses de soulèvements régionaux et nationaux, frappant le régime de plus en plus fortement, Ali Khamenei, le Guide suprême du régime a trouvé la seule solution qu’ont trouvée tous les autres dictateurs : consolider davantage le régime et durcir le système. La nomination de Raïssi à la présidence en juillet 2021 équivalait à écarter complètement une faction du régime, les soi-disant réformistes, qui jusqu’alors servaient de décor pour la vitrine du Guide suprême.

Pour purifier son système, à l’aide de son Conseil des Gardiens de la Constitution, Khamenei a même exclu des élections Ali Larijani, qui avait présidé le Parlement pendant trois mandats, et Hassan Rohani, qui avait été président pendant deux mandats.
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La disparition d’Ebrahim Raïssi, connu comme le bourreau de l’année 1988 et membre de la commission de la mort de Téhéran qui a signé les ordres d’exécution de centaines, voire de milliers d’opposants prisonniers, dont 90 % étaient membres des Moudjahidines du Peuple, va sans aucun doute perturber l’équilibre du système.

Il y a déjà beaucoup de conflits et de disputes entre les bandes proches de Khamenei, connues sous le nom de faction ultra-conservatrice. Il est même dit que Khamenei rencontre des problèmes dans son propre système de répression, recrutant par exemple des agents en tenue civile pour contrôler les forces de police afin d’éviter leur rébellion. On ne sait pas si Ali Khamenei pourra à nouveau payer le prix qu’il a payé au printemps 2021 pour faire sortir Raïssi des urnes.

Élections boycottées

Selon les chiffres publiés par le régime lui-même, les récentes élections législatives ont été largement boycottées par la population. Un nouveau scrutin au sommet du régime attisera les « luttes entre les loups ». Avant la disparition de Raïssi, ces luttes entre les bandes proches de Khamenei existaient déjà pour la présidence du Parlement. Comme en 2008, la bataille entre Ahmadinejad et Moussavi, ancien Premier ministre de l’époque de Khomeini, sur la fraude électorale avait conduit à un soulèvement dans les rues. C’est ce que Khamenei n’admet absolument pas.
Donc Le guide suprême Ali Khamenei, n’a guère plus de deux options.

Soit renoncer à la politique de durcissement et de réduction du cercle de ses partisans pour permettre à des personnes comme Ali Larijani et Hassan Rouhani de respirer dans l’arène politique dans le but d’élargir les bases du régime, prolongeant ainsi la vie de la faction dite réformiste qui a été mutilée. Mais il sait qu’une fracture en haut entraînera une révolte en bas. C’est la voie que le régime a abandonnée au moins depuis l’élection d’Ebrahim Raïssi, et au cours des soulèvements populaires successifs.
La seconde voie est celle d’une contraction encore plus grande, d’une répression accrue, d’une politique plus belliqueuse et terroriste, et surtout, d’un effort plus sérieux pour acquérir l’arme nucléaire comme garantie de la survie du régime. C’est l’option choisie par Khamenei par défaut.
Compenser l’équilibre perdu dans l’une ou l’autre de ces voies est difficile, alors que des milliers d’unités de résistance liées au principal mouvement d’opposition, l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, sont prêtes à travers l’Iran pour transformer la moindre étincelle en un grand incendie pouvant mener à une chute totale du régime.
Ce n’était pas sans raison que le régime iranien a attendu plus de 18 heures pour pouvoir déployer diverses forces de sécurité à Téhéran et dans des points stratégiques de la ville et d’autres villes, et pour déclarer cinq jours de deuil national.

© Hamid Enayat.

Hamid Enayat est Politologue, spécialiste de l’Iran et militant pour les droits de l’homme

https://www.ouest-france.fr/monde/iran/point-de-vue-iran-coup-dur-pour-le-regime-au-pouvoir-385b1986-1774-11ef-89e1-9d0ea397ae43

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