Jean-Pierre Allali. ISLAM ET POGROMS

En avril 1949, leur situation devenant intenable, les Juifs du Yémen sont acheminés vers Israël. C’est l’opération ” Tapis magique “. Collection JPA

Les tragiques événements du 7 octobre 2023 ont conduit certains commentateurs à considérer l’effroyable tuerie perpétrée par le Hamas comme une nouvelle Shoah. On aurait pu aussi évoquer les innombrables pogroms qui, à travers les siècles, ont endeuillé les communautés juives du monde arabo-musulman. En effet, contrairement à une opinion largement répandue, y compris dans le monde juif, la vie des Juifs dans le monde arabo-musulman n’a pas toujours été un long fleuve tranquille et si la Shoah, par le nombre terrifiant de victimes juives qu’elle a engendré, est un drame incommensurable, on ne saurait oublier que de nombreux pogroms à travers l’Histoire, ont été commis au nom de l’islam.

Raymond Attali, rescapé du pogrom de Constantine dans lequel il a perdu un frère et une sœur. Collection JPA

Le premier de ces pogroms remonte à l’époque où Mahomet entreprend sa croisade pour faire adopter par le plus grand nombre la foi nouvelle qu’il vient de mettre sur pied. Nous sommes à Yathrib, dénommée aussi Médine, en 622. Mahomet, qui est né à La Mecque, en Arabie, est amené, avec quelques fidèles, à émigrer à Médine, une oasis située à 350 kilomètres de sa ville natale. Ce transfert prendra plus tard le nom de Hijra, l’Hégire.

À Médine sont implantées cinq tribus : deux tribus arabes pratiquant une forme de paganisme et trois tribus juives : les Banû Qaynukâ, les Banû Nadir et les Banû Quraydha. Pour des raisons essentiellement économiques, les cinq tribus vivent dans une tension permanente. La réputation d’homme sage de Mahomet les conduit à le choisir comme médiateur et une charte est signée, la Sahifa. En 624, les choses vont se compliquer lorsque Mahomet, qui a longtemps fréquenté des érudits juifs et s’est inspiré de leurs connaissances pour bâtir une nouvelle croyance, l’islam, va se lancer dans une croisade prosélyte. Une fois le nombre de ses adeptes conséquent, il met sur pied une véritable armée avant de sommer la tribu des Quraydha de se convertir à la nouvelle religion, leur affirmant qu’il en est le prophète. Le refus des Quraydha est net. La réaction de Mahomet et de ses troupes est immédiate : une attaque en règle oblige la tribu à s’exiler, les vainqueurs n’hésitant pas à se partager les biens et les maisons des Juifs. Un an plus tard, c’est au tour des Banû Nadir de faire les frais de la hargne prosélyte de Mahomet. Leurs palmeraies sont incendiées et rasées et leurs biens confisqués au profit des partisans du prophète de l’islam. A leur tour, les Banû Nadir sont forcés de quitter Médine en catastrophe. En 627, c’est au tour des Banû Quraydhâ d’être sommés de se convertir à la nouvelle foi. A l’exception d’un renégat qui accepte d’embrasser l’islam, toute la tribu refuse la conversion. Elle va être exterminée par une armée forme de 3000 combattants. Plusieurs centaines d’hommes sont passés par le fil de l’épée et leurs têtes sont arrachées et exposées au marché de Médine. Là encore, les biens des Juifs sont distribués entre les vainqueurs. Ce premier pogrom sera suivi, en terre d’islam, au cours des siècles, par des dizaines d’autres exactions. En 628, c’est au tour des tribus juives de l’oasis de Khaibar de subir les foudres des conquérants. Après un mois de siège, ils acceptent le statut infamant de la dhimma, doivent désormais payer, pour rester en vie, un impôt de capitation, la djazia et cèdent aux vainqueurs une partie importante de leur patrimoine et de leurs lieux de culte.

Au fil des années et à travers les siècles, la vie des Juifs en terre d’islam oscillera, en fonction des dirigeants, entre une tranquillité relative et des périodes de massacres impitoyables. Voici une liste non exhaustive de ces catastrophes :

1010-1013. En Espagne, occupée par les Arabes, des centaines de Juifs sont massacrés.

1011. Pogrom de Fostat, en Égypte.

1033. Pogrom de Fez. 6000 Juifs assassinés.

30 décembre 1066. Pogrom de Grenade en Espagne musulmane. 4000 Juifs tués.

1147. Au Maroc, les communautés juives de Fez, Marrakech et Sijilmassa sont exterminées.

1165 et 1171. Pogroms au Yémen. De nombreux Juifs sont convertis de force à l’islam.

1232. Pogrom de Marrakech.

1264. De nombreux Juifs sont brûlés vifs sur des bûchers dressés au Caire.

1291. Massacres et pillages des Juifs d’Irak et de Perse.

1465. Le 7 juin, la quasi-totalité des Juifs de Fez est assassinée le 7 juin. De nombreuses localités du Maroc connaissent des exactions semblables. Les conversions forcées deviennent la règle.

1790. Massacre des Juifs de Tétouan, de Marrakech et de Mogador.

1799. Après le départ des troupes de Napoléon Bonaparte, le quartier juif de Safed subit pillages, rançons et massacres. (1)

1804 et 1805. Alger. Des centaines de Juifs sont massacrés.

1828. Massacre des Juifs de Bagdad.

1834. Nouveau pogrom antijuif à Safed.

1860. Tétouan au Maroc connaît à nouveau un pogrom.

1860. Massacre des populations juives de Deir El Kamer et Hasbaya, en Syrie.

1867. À la suite de la disparition d’une jeune Musulmane, les Juifs de Barfurush, en Iran, sont massacrés. Les rescapés sont convertis de force à l’islam

1868. Assassinat de 17 Juifs à Tunis.

1881. Pogrom à Tlemcen au Maroc.

1882. Pogrom à Alger.

1884 et 1883. Pogroms à Alger, Sétif et Oran.

1889. Sangan en Iran. Le 10 août, lors d’un pèlerinage, les participants juifs sont accusés d’avoir je té des pierres sur un cadi et de l’avoir frappé. On leur reproche également d’avoir profané une mosquée en l’aspergeant d’eau-de-vie. C’est l’émeute. Les jambes et les mains d’une centaine de pèlerins sont brisés. Deux Juifs sont tués. Le lendemain, plusieurs femmes juives sont violées.

1892-1893. Toujours en Iran, massacres de Juifs et conversions forcées à Chiraz, Yezd et Hamadan.

1897. Pogroms à Alger, Oran et Mostaganem. 

1898. Nouveau pogrom à Alger.

1907. Massacres à Casablanca, Marrakech et Oujda au Maroc.

1910. Le 21 mai, pogrome à Chiraz. On compte 10 Juifs tués, 50 blessés et 6000 sans-abris

1912. 18 et 19 avril. À Fez, les Juifs sont livrés à la populace. 100 morts. 

1917. Jérusalem. Le gouverneur turc, Jemal Pacha, ordonne la déportation de 300 Juifs. Leurs biens sont pillés et leurs demeures détruites. On compte de nombreux morts.

1920. Au Maroc, des guerriers du Tafilalet massacrent les Juifs des mellahs de Todra.

1929. Massacre de Juifs à Jérusalem. Des policiers arabes participent à la curée.

1929. Massacre des Juifs à Hébron. Soixante victimes. Les synagogues de la ville sont incendiées. La cité est littéralement vidée de ses Juifs. La même année, 45 Juifs sont tués à Safed. Dans toute la Palestine, on compte 133 Juifs assassinés et 339 blessés.

1934. Pogrom de Thrace, en Turquie.

5 août 1934. C’est le tristement célèbre pogrom de Constantine. 24 morts et plusieurs dizaines de blessés.

1941. Les 1,2 et 3 juin. À Bagdad, c’et le pogrom désigné sous le nom de Farhoud. 600 Juifs tués, 1000 blessés graves, 1000 maisons détruites, 600 magasins pillés.

1945. Troubles antijuifs au Caire à l’instigation du mouvement nationaliste « La jeune Égypte ». Plusieurs Juifs sont tués dans le quartier juif Haret El Yahud.

1945. 4 et 5 novembre. Massacres à Tripoli en Libye.

1945. 6 et 7 novembre. Les massacres en Libye s’étendent aux villes de Foussaba, Ziltaïn, Zanzour et Zaouia.

1947. 2 et 3 décembre. Pogrom d’Aden. 82 morts, 76 blessés. (2)

1947. 2 décembre. Pogrom à Alep, en Syrie

1948. Pogroms d’Oujda et de Djerada au Maroc. 43 morts.

1948. Massacres dans diverses villes d’Égypte. Des centaines de Juifs sont tués. Trois rabbins sont égorgés dans un abattoir.

1947-1948. Plusieurs dizaines de Juifs assassinés à Beyrouth et à Tripoli du Liban.

1948. 12 juin. Massacres en Libye. 12 Juifs tués, 280 blessés.

1950. Massacre au Kurdistan. 12 Juifs tués.

1952. Le 26 janvier. Émeutes antijuives en Égypte. Plusieurs dizaines de Juifs assassinés et plusieurs centaines de Juifs blessés.

1967. Pogrom en Libye. 100 Juifs tués.

1967. Pogrom à Kamishli en Syrie. 57 Juifs tués.

1967. En Égypte, 500 Juifs sont arrêtés, emprisonnés, torturés et violés. Parmi eux, les Grands rabbins Haïm Douck et Jacques Nafusi.

1969. C’est l’épisode tragique des « pendus de Bagdad ». Accusés injustement d’espionnage au profit d’Israël, 9 Juifs irakiens sont pendus et exhibés en place publique le 27 janvier.

2023. 7 octobre. Pogrom fomenté par le Hamas en Israël. 1200 morts et 5431 blessés. (2)

Ce sont là des faits avérés rapportés dans divers ouvrages et des vérités qui méritent d’être dites (1). Cela n’empêche en rien la volonté de nombreux Juifs et Musulmans de militer pour une amitié sincère et de nombreux Israéliens et Arabes de prôner la paix dans le respect des us et des convictions des uns et des autres. Il faut espérer, demain, un monde où l’antisémitisme aura disparu et où tous les racismes ne seront qu’un mauvais souvenir. L’espoir, dit-on, fait vivre.

© Jean-Pierre Allali


Notes

(1). A propos des pogroms en Palestine, on pourra consulter le nouveau livre de Georges Bensoussan : « Les pogroms en Palestine avant la création de l’Etat d’Israël (1830-1948) ». Editions de la Fondation pour l’Innovation Politique. Avril 2024.

(2). On trouvera une liste plus complète dans mon ouvrage « Séfarades-Palestiniens. Les réfugiés échangés. Éditions Safed, 2005.


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1 Comment

  1. Un rappel utile aux ignorants qui croient avoir perdu un ” paradis” de l autre coté de la mer , et l islamisation de la France promet la suite pour le samedi et aussi pour le dimanche .

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