Interdiction de l’abattage rituel : une décision inédite de la Cour européenne des droits de l’homme, au nom du bien-être animal

La CEDH valide l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement en Belgique
© Frédérick Florin | AFP

La CEDH a jugé mardi 13 février que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable en Belgique ne constituait pas une violation des libertés religieuses. Mais cet arrêt redouté par les autorités juives et musulmanes ne devrait pas avoir de répercussions immédiate en France. 

C’est mardi 13 février que la CEDH a statué sur l’interdiction par la Flandre et la Wallonie de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une violation des libertés religieuses.

La CEDH répondait à une requête introduite par des citoyens et des membres des autorités cultuelles belges musulmans, auxquels s’étaient joints des citoyens de confession juive: tous tentaient de lutter contre des décrets adoptés en 2017 et 2018 par les deux régions et interdisant l’abattage rituel sans étourdissement préalable. Cette interdiction allait à l’encontre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme sur “la liberté de pensée, de conscience et de religions” qui garantit à chacun la possibilité de pratiquer et d’accomplir les rites, les cultes musulman set juifs disant que les animaux devaient être saignés afin que leur viande soit jugée apte à la consommation et conforme aux principes religieux.

La CEDH en a jugé autrement: pour elle, “les décrets litigieux ont été adoptés à la suite d’une vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux, […] et les autorités “ont pris une mesure justifiée dans son principe et qui peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la protection du bien-être animal en tant qu’élément de la morale publique”.

La CEDH introduit un point inédit: celui du respect du bien-être animal comme restriction à la liberté religieuse.

Selon le paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, “la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires”.

Ces “mesures nécessaires” sont précisément listées et le bien-être animal n’en fait pas partie.

La Cour a considéré que ce dernier, compte tenu de l’évolution de la société, relève de la question de la “morale publique” qui, elle, fait bien partie des raisons justifiant une éventuelle restriction de l’article 9.

“L’avancée a consisté dans le fait de rattacher le bien-être des animaux à un des motifs légitimes de restriction des libertés religieuses, en l’occurrence la morale publique”, a précisé Jean-Pierre Marguenaud, professeur émérite de droit et spécialiste de la Cour européenne des droits de l’homme, poursuivant : “Les Etats qui, comme une partie de la Belgique, veulent interdire l’abattage rituel sans étourdissement préalable pourront le faire sans violer l’article 9. […] Ce qui ne veut pas pour autant dire que les Etats sont obligés de le faire et encore moins qu’ils le feront nécessairement”.

Jean-Pierre Marguenaud a rappelé que la décision n’était pas définitive. 

Patrice Spinosi, avocat de certains des requérants, a précisé pour sa part dans une déclaration transmise aux médias : “Nous allons analyser attentivement, avec l’ensemble des organes représentatifs de la communauté juive [en Belgique], la motivation de cette décision, dont il faut rappeler qu’elle n’est pas définitive à ce stade”. 

L’avocat envisage “le renvoi de cette affaire en grande chambre de la CEDH, afin que cette formation ait l’occasion de se prononcer sur une question aussi importante qu’inédite”.

Si l’arrêt est confirmé en grande chambre, soit la dernière juridiction de la CEDH, il ouvrirait, selon les juristes, des portes nouvelles: pourraient en effet se poser la question de la chasse et de la pêche récréatives, contre lesquelles pourrait être opposé le droit des animaux. 

Alors que le président de l’association belge du Groupe d’action dans l’intérêt des animaux, Michel Vandenbosch, dit “vivre l’un des plus beaux jours depuis qu’il milite pour les animaux”, des religieux, tels Mendel Samama, rabbin de Strasbourg, très au fait des questions européennes, s’interrogent, s’étonnant d’une “situation inédite où les juges accepteraient que les droits des animaux fassent balance avec le droit des hommes” et demandent “un vrai débat”.

À noter: Mendel Samama, sans inquiétude, rappelle qu’il est toujours permis d’importer la viande d’animaux abattus selon les rites des religions musulmane et juive et qu’il n’y a aujourd’hui qu’une poignée de pays qui l’interdisent: l’Autriche, la Suisse ou le Danemark.

À noter encore: en France, il existe des dérogations pour les cultes, autorisant l’abattage rituel sans étourdissement dans un cadre légal strict.

Le grand rabbin de France s’est pour sa part emmêlé les pédales: s’interrogeant sur le fait qu’un jour “un pouvoir hostile aux musulmans et aux juifs se retrouvât au pouvoir”, il a élargi l’affaire au Président du Rassemblement national, Jordan Bardella, lequel s’est déjà dit contre l’abattage religieux. Déclaration que notre rabbin a traduite en “obsession contre les musulmans”, “les juifs étant des dommages collatéraux”.

On notera qu’àBruxelles, où l’abattage rituel est toujours autorisé, une question politique, centrée sur le “phénomène communautaire” a à raison agité le Parlement: le Parti socialiste, qui dirige la région, s’est notamment divisé entre partisans de la laïcité et ceux favorables à des “accommodements” avec l’islam, relançant les débats sur la relation entre l’Etat et les religions et rappelant les polémiques antérieures sur les cours de religion et le port du voile.

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4 Comments

  1. J’ ai du mal suivre cette affaire surtout après la déclaration du grand rabbin de France.
    Pour moi il faut en déduire que l’ Homme, et ses croyances, passe après les animaux. On retrouve les théories ” antispécisme ” qui prônent que les Hommes sont des animaux parmi les autres et qu’ il faut donc créer en plus des droits de l’ Homme le droits des Animaux et par là amoindrir la spécificité des droits de l’ Homme puis les faire disparaître.

  2. @Joseph1 Pour une fois (c’est rare) je ne suis pas d’accord avec vous. Il me semble qu’on ne peut pas combattre la barbarie infligée aux êtres humains sans combattre celle infligée aux animaux. Pour moi, cela fait partie
    d’un tout.
    Les animaux sont souvent beaucoup plus humains qu’un grand nombre d’êtres humains. Qu’y a-t-il d’humain chez Jean-Luc Melenchon ou Ersilia Soudais ? Plus la barbarie devient omniprésente autour de moi, plus je
    considère que l’humanité devrait voir dans le monde animal (certaines espèces animales) un modèle, une source d’inspiration.

  3. “on peut mesurer le degré d’évolution et les progrès moraux d’une nation à la manière dont elle traite ses animaux” -Gandhi-

    La Shehita ok, Loubavitch et le chien impur, mille fois NON.

    Les plus grands esprits qui oeuvrent pour l’humanité sont aussi des protecteurs des animaux (Da Vinci, Zola, Schweitzer, Klarsfeld, Badinter…)

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