Mayeul Aldebert. À Gaza, le fléau du tir fratricide que redoutent les soldats israéliens

Les tirs fratricides sont un phénomène inévitable de la guerre moderne. JACK GUEZ / AFP

DÉCRYPTAGE – L’armée israélienne aurait perdu depuis trois mois 35 de ses soldats – soit 17% de ses pertes – dans des tirs amis, phénomène que les armées tentent par tous les moyens de minimiser sur les champs de bataille.

Engagée dans des combats extrêmement compliqués dans le dédale d’immeubles et de tunnels de Gaza, l’armée israélienne a perdu 175 soldats depuis le début de l’offensive. Mais sur ce total, 29 soldats, soit 17%, ont été tués par des tirs fratricides, c’est-à-dire, à la suite d’erreurs de sa propre armée. Des soldats israéliens tués en somme par des soldats israéliens.

Les tirs fratricides sont un phénomène inévitable de la guerre moderne de par la massification des combats, la démultiplication de la puissance de feu, et le brouillard de guerre entretenu par les belligérants sur les champs de bataille. Les différentes recherches sur la question s’accordent à dire que les pertes au combat liées à des tirs amis seraient de l’ordre de 10 à 15% dans certains conflits comme la Première et la Seconde guerre mondiale. À Gaza en particulier, l’armée israélienne a déjà souffert lors des précédentes guerres de ce fléau. Pendant l’opération Plomb durci de 2008, Israël a perdu 10 soldats dont quatre par un tir fratricide.

«En milieu urbain, le tir ami est beaucoup plus fréquent car les combats sont rapprochés, les unités sont plus resserrées, plus imbriquées, et la visibilité est beaucoup plus faible», explique l’historien militaire et ancien colonel des troupes de marine Michel Goya, ce qui en fait «un contexte très tendu» où l’ennemi peut surgir de nulle part. En décembre, trois otages qui étaient parvenus à s’échapper ont ainsi été abattus par un jeune soldat israélien qui les a pris pour des «terroristes».

«Plus il y a de conscrits dans l’armée, y compris parmi les officiers, plus il y a d’erreurs à l’inverse des troupes professionnelles expérimentées», ajoute Michel Goya. L’armée israélienne se distingue en la matière par la majorité de réservistes qui la composent (450.000 contre 170.000 soldats d’active).

Outils numériques

Tsahal s’organise depuis. «Il y a une unité responsable de la synchronisation de l’ensemble des unités sur place», explique un militaire de la brigade Givati, entrée à Gaza dans les premiers jours de la nouvelle guerre. «Et dans chaque unité, des soldats sont responsables de cette synchronisation pour éviter les tirs fratricides». Plusieurs outils numériques sont ainsi fournis pour localiser et coordonner en permanence les unités sur le terrain. «La généralisation de la communication radio, qui permet de vérifier les cibles, a aussi permis d’améliorer la situation», rapporte Michel Goya.

Dans les armées occidentales, d’autres moyens sont mis en œuvre pour combattre cette hantise des soldats. Pendant la guerre du Golfe, 35 des 148 soldats américains tués au combat l’ont été par des tirs amis sous le feu des chars d’assaut principalement, soit près de 25% des pertes, ce qui avait amené l’armée américaine à généraliser les balises infrarouges sur ses véhicules blindés et à réfléchir à d’autres solutions pour mieux se reconnaître, notamment dans la nuit et le mauvais temps.

La France, de son côté, dote ses véhicules d’un système de géolocalisation GPS. Les forces françaises, notamment en Afghanistan, ont été impliquées à plusieurs reprises dans des tirs fratricides. Trois soldats français du 21e régiment d’infanterie de marine avaient ainsi été blessés le 23 août 2010 par les tirs au canon de leurs camarades d’une section d’appui qui pensaient ouvrir le feu sur des insurgés. Quelques minutes après l’ouverture du feu, une compagnie qui se trouvait dans la direction des tirs, à environ un kilomètre de distance, avait signalé des blessés dans ses rangs, soulevant des interrogations. Aujourd’hui, et au-delà du réseau radio, les militaires français sont dotés de fumigènes, de bâtons lumineux seulement détectables par les infrarouges, et de lampes clignotantes.

Signalement visuel

Car mis à part les moyens très modernes d’identification, le signalement visuel reste largement privilégié sur certains terrains de guerre, solution historique dans les combats utilisant l’artillerie, à l’image de l’amiral Nelson qui avait donné pour instruction de peindre tous les bâtiments de sa flotte en damier noir et jaune.

En Ukraine, les forces russes ont envahi le pays le 24 février arborant le symbole Z sur tous leurs véhicules quand les Ukrainiens ont petit à petit porté le brassard bleu, la différenciation étant d’autant plus indispensable que les combattants russes et ukrainiens, à la même tenue, aux mêmes armes, se ressemblent fatalement sur le front. «Il y a malgré tout une proportion très importante de pertes suite à des tirs fratricides», observe Michel Goya.

«Dès les premiers jours de la guerre, on a perdu des membres de notre bataillon dans le ciblage d’une ambulance», témoigne entre autres exemples Arsène Sabanieev, médecin franco-ukrainien qui a servi à Bakhmout. «Notre premier réflexe a été de dire: “ce sont les Russes, les salauds!”. En fait c’est une de nos unités à qui on n’avait pas dit que quelqu’un devait passer et qui a tiré».

Formation et procédures

Côté russe, l’avancement des troupes très en profondeur en territoire ukrainien dans les premiers jours de la guerre a aussi parfois été fatal. Tout comme le moral des soldats peut affecter la capacité de discernement. Pendant la première guerre de Tchétchénie, dans les années 1990, les tirs fratricides entre compagnies russes étaient extrêmement fréquents, encouragés par la consommation de vodka et par la peur. Un jour, des généraux ont même été tués dans la capitale, Grozny, par des soldats d’une autre compagnie qui patrouillaient pourtant dans le même quartier.

Dans ce cadre, les formations sont donc indispensables, tout comme les procédures. Les règles d’engagement, au combat, permettent de minimiser les erreurs. «Il faut noter qu’il y a beaucoup d’incidents en dehors des séquences de combats, d’où les opérations de sécurité de désarmement qui doivent être systématiques», conclut Michel Goya.

https://www.lefigaro.fr/international/a-gaza-le-fleau-du-tir-fratricide-que-redoutent-les-soldats-israeliens-20240110

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