Nathalie Ohana. Dan, ce gosse devenu grand, cet enfant aux racines belges devenu colonel de l’armée israélienne

Difficile de travailler ce matin. Même le café a un gout plus amer que d’habitude. Ce matin, rien ne marche. Mon regard ne va pas vers l’avant, il est resté tourné vers hier, vers cette marche funèbre qui a traversé ma ville et mon cœur, vers ces gens venus de partout, ceux qui sont restés prostrés dans leurs voitures, ceux qui étaient debout, enveloppés dans des drapeaux, nous avions si froid, ceux qui ont marché derrière le cercueil, qui n’ont pas trop voulu s’approcher ou au contraire, ceux qui ont marché sans répit, qui auraient voulu marcher encore et encore, pour maintenir un semblant de rythme, de vie.

Mon regard est tourné vers les jeunes que j’ai vus hier, à qui j’ai parlés et qui m’ont parlé de Dan. Ce gosse devenu grand. Cet enfant aux racines belges devenu colonel de l’armée israélienne. Cet enfant qui ressemble à tous les autres et à aucun autre, tant la profondeur de son regard raconte une histoire que les mots ne sauraient dire.

Mon regard est tourné vers les enfants que je croise, partout, et à qui j’ai envie de demander pardon. Pardon de vous avoir projetés dans un monde d’adultes si vite. Pardon de ne pas savoir vous protéger de la mocheté du monde. Pardon de ne pas être capable de vous parler du monde avec un filtre rose. Car ce filtre, il a sauté depuis longtemps, trop longtemps.

Mon regard est tourné en réalité vers elle. Rien que vers elle. Sur elle, j’écrirai. Mais pas maintenant. Plus tard. Il faudra que vienne un autre temps. Un temps d’une autre nature. Un temps dont on ne parle jamais. Car seuls ceux qui l’ont traversé peuvent en témoigner. De ce temps, on ne revient jamais indemne. Le temps de l’acceptation est le plus long que je connaisse. C’est un temps qui ne ressemble à aucun autre. Qui doit discuter à chaque seconde avec l’absurde. Un temps qui ne comprend pas. Qui hurle. Qui dit “Dis-moi que je rêve”. Qui répète “Ce n’est pas possible. Hier il était vivant, je lui parlais. Aujourd’hui, il n’est plus”. Un temps qui questionne sur le sens de tout ça. Qui convoque des pensées inavouables. Mais que tout le monde entend résonner dans la pièce.

Ce temps-là, il n’a pas vingt quatre ans, il est infini, il a l’âge de l’éternité.

© Nathalie Ohana

Nathalie

Nathalie Ohana

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