Depuis Israël, Michel Jefroykin lit la presse pour nous. À Berlin, la “peur d’être ouvertement juif ou de parler hébreu”. Par Sharon Wrobel pour TOI

German-Israeli Sarah Cohen-Fantl. Courtesy

Une Germano-Israélienne et ses proches renoncent à vivre dans la capitale allemande pour s’installer en Israël : la guerre contre le Hamas attise la haine contre les Juifs et les Israéliens.

Le 6 octobre avait été une belle journée pour l’Allemande d’origine israélienne Sarah Cohen-Fantl. Avec son mari, un chef israélien originaire de Jérusalem, Sarah prenait des mesures dans leur nouvelle maison de Berlin. Le même jour, ils avaient visité des locaux avec le projet d’ouvrir un restaurant israélien casher.

Le lendemain, le 7 octobre, Sarah et ses proches recevaient un appel de sa belle-mère, depuis Jérusalem, à une heure anormalement matinale pour un jour de Shabbat, le jour de repos juif. Ils ont alors écouté les informations et se sont vite aperçus qu’il ne s’agissait pas d’un attentat terroriste « classique».

Quelque 3 000 terroristes du Hamas se sont brutalement introduits en Israël depuis Gaza par voie terrestre, aérienne et maritime, pour prendre d’assaut les communautés de la frontière sud, tuer avec une extrême brutalité pas moins de 1 200 personnes, essentiellement des civils – bébés, enfants et personnes âgées compris -. Nombre d’entre eux ont été assassinés chez eux, auxquels s’ajoutent les centaines de victimes massacrées lors d’un festival de musique en plein air et 240 otages, sans oublier les milliers de roquettes tirées sur des villes israéliennes.

Israël a réagi en se promettant d’éliminer le Hamas, au moyen d’une campagne qui a réduit à l’état de ruines des quartiers entiers de la bande de Gaza et fait des milliers de morts selon des affirmations palestiniennes non vérifiées. Ce bilan suscite de vives critiques internationales et des pressions sur Israël, ainsi qu’une augmentation des incidents antisémites dans le monde.

Sarah rappelle que dans les premiers jours qui ont suivi l’attaque du Hamas, une certaine solidarité avec Israël s’est exprimée dans les rues de Berlin. Mais dès que l’armée a commencé à riposter au moyen de frappes aériennes à grande échelle sur des cibles du Hamas, cela a changé – et leurs projets de faire leur vie en Allemagne. L’actuelle guerre contre le groupe terroriste du Hamas ne fait que renforcer des manifestations pro-palestiniennes toujours plus violentes dans les rues de Berlin.

Née et élevée en Allemagne, Sarah est revenue à Berlin l’an dernier en compagnie de son mari israélien et de leurs deux jeunes enfants, après avoir vécu en Israël pendant cinq ans. En 2021, pendant l’opération Gardien des murs, Sarah a, comme de nombreux Israéliens, couru se mettre à l’abri à chaque tir de roquettes du Hamas sur les villes et villages d’Israël. Aujourd’hui, c’est un refuge contre la montée de l’antisémitisme et de la haine contre les Israéliens en Allemagne qu’elle cherche pour elle et ses proches.

« Au bout de quelques jours, nous [mon mari et moi] nous sommes regardés. Nous n’avons pas eu besoin d’en parler longuement : nous avons pris la décision de ne pas nous installer dans la nouvelle maison, construite par un Juif, à la fin des années 1920, qui avait déjà dû fuir les nazis, et dont nous voulions faire un beau foyer juif. », explique Sarah. Nous nous en sommes expliqués et, fort heureusement, nos interlocuteurs ont été très gentils et compréhensifs et nous ont permis de nous dédire.

« Nous avons également annulé les projets de restaurant ».

Sarah et sa famille vivent à 700 mètres de la Sonnenallee, boulevard bordé de restaurants spécialisés dans les plats à base de poulet et de kebab à Neukölln, quartier du sud-est de Berlin qui abrite de nombreux immigrants du Moyen-Orient.

Depuis le début de la guerre, ce boulevard s’est transformé en un vrai champ de bataille où le conflit entre le Hamas et Israël se rejoue lors de manifestations pro-palestiniennes régulières, souvent violentes, et de rassemblements de solidarité avec Gaza, qui font venir des milliers de militants dans le quartier qui scandent « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », « Arrêtez le génocide » ou d’autres slogans anti-israéliens qui glorifient la violence ou le terrorisme.

« Nous ne sommes pas loin du quartier qui me rappelle Ramallah. Chaque fenêtre arbore un drapeau palestinien. Les Arabes y vivent en grand nombre », explique Sarah.

« L’autre jour, je parlais avec mon fils dans la rue, en hébreu : un Israélien s’est retourné, m’a regardée et dit : ‘Écoute, j’habite à Sonnenallee avec ma femme et notre petite fille, et nous avons vraiment peur. Pouvons-nous pourrions-nous échanger nos numéros de téléphone’, pour nous apporter de l’aide et nous soutenir en cas de coup dur », raconte Sarah. « Cela nous a immédiatement rapprochés de savoir que, même à l’étranger, les Israéliens s’entraident. »

« Mais d’un autre côté, c’est effrayant qu’un inconnu vous propose d’échanger les numéros de téléphone parce qu’il craint pour sa vie, c’est complètement fou ! », s’exclame-t-elle.

Fille d’un survivant de la Shoah, Sarah se souvient qu’avant même le conflit, on entendait des pro-Palestiniens lors de rassemblements à Berlin scander « Gazez les Juifs » ou appeler à la destruction d’Israël – des infractions pénales en vertu des lois strictes sur les discours de haine dans l’Allemagne de l’après Seconde Guerre mondiale.

Mais ces dernières semaines, les tensions à Berlin, et dans d’autres villes allemandes, se sont intensifiées. D’importantes manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu dans les grandes villes allemandes malgré l’interdiction généralisée de tels rassemblements susceptibles de donner lieu à des incitations à l’antisémitisme. Des militants pro-palestiniens se sont affrontés avec la police locale, en lançant des pierres et des engins pyrotechniques, ce qui a fait des blessés parmi les policiers.

Une synagogue berlinoise a été attaquée par des cocktails Molotov, en octobre, et plusieurs maisons ont été marquées d’une étoile de David dans des villes allemandes. La police locale a réagi en renforçant les mesures de sécurité concernant les institutions juives et les lieux de culte.

« Par le passé, la police ne faisait rien contre ces discours de haine. Aujourd’hui, il y a beaucoup de soutien de la part des dirigeants politiques allemands, mais cela reste des mots et au final, peu d’actions. Même si la police intervient, elle s’affronte à un problème qui préexistait, et je ne suis pas certaine qu’elle sache bien comment gérer la situation », confie Sarah. « Il n’y a pas assez de policiers, car rien qu’à Berlin, il y a une centaine d’institutions juives et des lieux tels que des restaurants, des cafés ou des écoles qui ont besoin de davantage de protection en ce moment. »

En Allemagne, les 34 premiers jours de guerre contre le Hamas ont été marqués par une augmentation de 320 % des incidents antisémites par rapport à la même période de 2022, affirme RIAS, une agence fédérale chargée de lutter contre l’antisémitisme en Allemagne. L’agence a par ailleurs enregistré 994 incidents antisémites entre le 7 octobre et le 9 novembre 2023, soit une moyenne de 29 cas par jour. Au cours de cette période, environ un incident sur cinq, soit 21 %, a été attribué à l’activisme anti-israélien.

Ces chiffres représentent trois cas de violences extrêmes, 29 agressions, 72 cas d’atteintes à la propriété d’autrui, 32 menaces, quatre envois massifs et 854 cas de comportement offensant, selon l’organisme de surveillance de l’antisémitisme.

« Cela me fait mal de voir que le pays dans lequel j’ai grandi est en train d’échouer après tout ce temps», déplore Sarah.

Selon le rapport du RIAS, face à l’augmentation des incidents antisémites, nombreux sont les Juifs et Israéliens d’Allemagne qui cachent les signes visibles de leur identité dans les lieux publics, par exemple en couvrant leur kippa d’un bonnet, en cachant leur étoile de David ou en s’empêchant de parler hébreu dans la rue.

Dans les premiers jours qui ont suivi les atrocités du 7 octobre, certains restaurants israéliens ont préféré fermer et les enfants juifs ne sont allés ni à la garderie ni à l’école par mesure de précaution.

« Nous craignons de montrer ouvertement que nous sommes juifs, nous craignons de parler hébreu – ce n’est pas la vie que je nous souhaite », explique Sarah. « A quoi bon vivre dans un pays où les gens font honte à vos enfants ou leur inculquent la peur de dire qui ils sont, ce en quoi ils croient ou d’où ils viennent ? »

« Je refuse d’élever mes enfants dans ce genre d’environnement. En Israël, je sais qu’ils pourront être fiers de ce qu’ils sont, ouverts et libres », ajoute-t-elle.

Bien sûr, tous les Israéliens expatriés n’ont pas l’intention de quitter l’Allemagne.

Gal Cohen, Israélien installé à Berlin depuis sept ans, ne semble pas perturbé par la recrudescence des incidents antisémites dans la capitale. Son épouse israélienne et lui vivent dans le quartier de Steglitz, au sud-ouest de Berlin, avec leurs trois enfants, âgés de deux, quatre et sept ans.

« Comme beaucoup d’Israéliens ici, nous avons des amis allemands et turcs : nous n’avons pas connu d’agitation antisémite depuis le début de la guerre », assure Cohen. Nos enfants vont à l’école ici et parlent hébreu et allemand. Si nous estimions qu’il y avait un problème à parler hébreu, cela voudrait dire que nous ne sommes pas au bon endroit. »

« L’essentiel de ce qui se passe a lieu dans le quartier de Neukölln car il y a beaucoup d’immigrants syriens là-bas, mais c’est loin d’être le courant dominant », explique-t-il.

S’adressant à des Israéliens de la communauté juive de Berlin, Sarah dit que de nombreuses mères se posent la même question : « Où vivre en toute sécurité ? Où vivre en sécurité ? »

« Certaines familles israéliennes, qui ont aussi des enfants à la maternelle, comme nous, disent qu’elles vont retourner en Israël car c’est finalement le seul endroit qu’elles aient – c’est leur foyer – et qu’il faut y retourner pour renforcer le pays et faire front commun », ajoute Sarah. « Mais il y a aussi des Juifs qui ne sont pas Israéliens, qui disent qu’ils aiment Israël, mais ils sont allemands, ou viennent d’autres pays d’Europe. Ils ont construit leur vie ici et ils ne partiront pas, ils n’ont pas peur – et c’est très bien ainsi. »

Plus tôt ce mois-ci, Israël a publié de sévères avertissements aux voyageurs pour les inviter à différer les déplacements non essentiels dans des dizaines de pays, parmi lesquels l’Allemagne et la France, et éviter d’afficher leur identité juive et israélienne lors de leur voyage, face à la montée de l’antisémitisme dans le monde liée à la guerre.

« Je ne vois plus d’avenir ici. Je souhaite à tous ceux qui souhaitent rester ici d’être heureux », conclut Sarah. « Mais je crois bien qu’à la fin, nous nous retrouverons tous en Israël. »

© Michel Jefroykin © Sharon Wrobel

https://www.timesofisrael.com/not-the-life-i-wish-for-us-in-berlin-afraid-to-be-visibly-jewish-or-talk-hebrew/

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