Georges-Elia Sarfati. Le cartel de Palestine

Depuis 1947, ceux qui ont refusé la décision du partage de la Palestine, votée à la majorité par l’Organisation des Nations Unies, ont cependant joui depuis lors d’un statut dérogatoire positif au plan des institutions internationales aussi bien que de l’évaluation idéologique de l’opinion commune à leur endroit.

Un peuple juridiquement élevé à la dignité de nation, et qui refuse d’assumer sa dignité, malgré tout acquise de haute lutte, constitue un fait proprement extraordinaire. De haute lutte, dis-je, parce qu’à bien considérer les choses, les Arabes de Palestine, à l’instar des Juifs de Palestine, ont eu un adversaire commun : l’Empire britannique, exécuteur doublement parjure du mandat que lui avait confié la SDN.

Non contents de réitérer leur refus d’une coexistence nationale sincère avec leurs voisins Israéliens (dont un tiers à ce jour appartient au même groupe ethnique et culturel), les Arabes de Palestine, n’assumant pas une vocation nationale, pourtant constamment revendiquée depuis qu’ils ont dit “non” en choisissant la guerre, ont convaincu le monde de leur bon droit, un bon droit affirmé en dépit de leur déni de droit. Un déni fondateur, au nom duquel ils ont contribué à façonner les conditions d’un ordre institutionnel, idéologique, économique et symbolique international dont les principaux aspects valent en effet d’être resitués dans leur actualité.

Le statut positivement dérogatoire des opposants au partage de la Palestine mandataire s’est d’abord affirmé sous le rapport de la fabrication d’une diaspora artificielle, pour l’essentiel prise en charge par une Agence de réfugiés, bâtie à leur main – l’UNRWA- , à côté du Haut Commissariat aux Réfugiés, destiné à tous les autres déplacés.

L’UNRWA a simultanément fait entériner par la voie juridique que le statut de réfugié palestinien était non seulement singulier et irréductible, mais encore permanent et héréditaire, c’est-à-dire transmissible d’une génération à l’autre.

De quoi semer les graines d’un problème insoluble. Cela dure depuis 1948.

L’invention de la contre-Shoa qu’est la Nakba

Pratiquement, cette exception institutionnelle a permis de mettre en forme l’invention de la contre-Shoa qu’est la Nakba, devenue depuis peu un motif de commémoration également international. Au plan humain, notamment sociologique et économique, ladite diaspora palestinienne, qui aurait pu s’affirmer avec tous les attributs d’un peuple-nation endogène, a également eu pour particularité d’inventer un couplage inédit entre le nomadisme précaire que constitue le faisceau des camps de réfugiés répartis dans tout le Proche Orient (de la Cisjordanie, à la Syrie et au Liban, en passant par la Jordanie) et le terrorisme, comme forme privilégiée de revendication identitaire. Imagine-t-on le million de Juifs sépharades et orientaux, expulsés des pays arabo-musulmans, entre 1948 et 1967 imposer au monde, sous l’égide de l’Agence Juive ou de l’Organisation Sioniste Mondiale, le même régime végétatif et violent, sur toutes les terres d’accueil de leurs communautés déracinées ?

Le statut positivement dérogatoire des opposants au partage de la Palestine mandataire s’est ensuite affirmé sous le rapport de la mise en circulation d’un narratif victimaire dont le schéma princeps coïncide à merveille avec le schéma canonique du récit mythique : “Il était une fois un peuple qui vivait paisiblement en Palestine. Un jour les représentants racistes d’un groupe de colons impérialistes débarqua sur sa terre, s’en empara par la force, les en chassa et les spolia à la face du monde. Ils durent se résigner à vivre depuis lors dans la misère, le sous-développement économique et culturel, toujours en but à l’oppression croissante que leurs imposèrent les colons sionistes. Malgré l’exil et les épreuves ils ne perdirent pas foi en leur bonne étoile. Leur histoire de larmes, de deuil et de sang ne se compare à aucune autre. Leur sort malheureux en fait les derniers damnés d’une histoire cruelle. La détermination exemplaire de leur grands héros : le Mufti Al-Husseini, et son successeur Yasser Arafat sont une source d’inspiration constante pour leur jeunesse. La force de leur revendication, la justesse de leur réaction, leur persévérance, longtemps célébrée par LE poète Mahmoud Darwish, leur ont permis d’inspirer l’esprit de paix à leurs ennemis sionistes, quand ceux-ci ont finalement compris que l’on ne faisait la paix qu’avec ses ennemis. Et ce furent les Accords d’Oslo. Mais les vilains sionistes assoiffés du sang des petits enfants palestiniens, firent encore preuve de ruse pour provoquer l’échec par leur iniquité les belles perspectives de paix. Pourtant Yasser s’était présenté à la tribune de l’ONU en brandissant un rameau d’olivier. Mais c’est il y a longtemps, et depuis l’espoir du peuple martyr s’était abîmé dans une attente sans horizon. C’est alors, que vint le Hamas, qui donna un nouveau souffle à la résistance des opprimés, etc”. 

Le statut positivement dérogatoire des opposants au partage de la Palestine mandataire s’est ensuite affirmé sous le rapport de l’ÉCONOMIQUE, mais dans ce domaine aussi au long cours et d’une manière inédite. La “cause palestinienne” s’est agrégée un capital de sympathie universel – détournant à son profit l’empathie momentanée qu’avait suscitée la “question juive” au sortir de la Seconde Guerre. Ce nouveau point de focalisation durable de l’opinion mondiale procède du tissage d’un système d’alliances, qui impliqua pour une part le bloc de l’Est, tout le temps que dura la Guerre Froide, mais focalisa aussi un système d’alliances indirectes, à la fois émanant de larges fractions de la société civile européenne, et pour l’autre d’un engagement résolu de l’Europe, mais aussi des USA, en faveur de l’Autorité palestinienne, à l’issue des accords d’Oslo, à partir de 1993.

Cette seconde implication, s’est traduite pendant trois décennies – entre 1993 et 2023- par l’octroi de sommes considérables versées aux fins de contribuer et d’encourager le “développement de la Palestine”, sans que jamais les donateurs et autres pourvoyeurs n’exigent jamais la moindre justification sur l’usage qui était fait de leurs prébendes.  Que serait aujourd’hui l’État arabe de Palestine, si ses représentants putatifs avaient répartis les dons et les fonds reçus selon les domaines de priorité fondamentaux de l’édification d’une société nouvelle ?

Le statut positivement dérogatoire des opposants au partage de la Palestine mandataire s’est aussi affirmé sous le rapport du POLITIQUE. En effet, malgré le déni de droit originaire qui fonde son entrée à reculons dans l’histoire des nations, le peuple palestinien, résolument emmené par des chefs rompus, partisans impénitents des stratégies de refus et de rupture –c’est-à-dire d’obstruction constante à une dynamique politique qui ne fut pas de crise entretenue ou tactiquement provoquée- ont convaincu le monde occidental de nouer d’abord des liens diplomatiques tacites, en suscitant partout l’ouverture de “délégations” au statut consulaire. C’est volontiers qu’entraînées par des logiques d’intérêt globaux (la peur du terrorisme, les nécessités énergétiques, etc.), les démocraties européennes, à de très rares exceptions (les Pays Bas, notamment), ont consenti à incorporer à leur récit national les éléments de langage du narratif palestinien, au fil du temps devenu partie intégrante du sens commun.

En-deçà des seules logiques étatiques, la défense, ou le plaidoyer pour la “cause palestinienne” est ainsi devenue une figure obligée non seulement du débat public, mais aussi du maniement univoque –parce que seulement dirigée contre Israël- de la fonction critique, d’abord investie dans la revendication prolétarienne en faveur d’une société sans classe.

Le statut positivement dérogatoire des opposants au partage de la Palestine mandataire s’est enfin affirmé sous le rapport du SYMBOLIQUE, ce qui a permis à ladite cause palestinienne, notamment tout au long de la seconde moitié du XXè siècle, de s’imposer comme le principal cheval de bataille des gauches européennes – extrêmes ou parlementaires, occultant ainsi la plupart des authentiques questions nationales demeurées irrésolues en dépit de deux conflits mondiaux (les Kurdes, les Arméniens, mais aussi les Tibétains, pour ne mentionner que ceux-là). Ce phénomène idéologique sans précédent a simultanément occasionné l’essor d’une dogmatique binaire, excluant par principe, du fait de son pouvoir accusateur, la conciliation nuancée des points de vue opposés.

La petite musique du palestinisme

La logique du terrorisme des armes appelait sans nul doute – les forgeries du KGB et de l’OLP aidant- l’instauration d’un terrorisme intellectuel abêtissant, dont la condition première a consisté dans la transmission de l’ignorance obligatoire de l’histoire. La tiers-mondisation – politique et idéologique- des institutions internationales aggravant cet état de chose (l’ONU, l’UNESCO, Amnesty International, la liste est longue), la petite musique du palestinisme a continué d’aller bon train, sans que nul ne juge bon d’exiger la moindre contrepartie, ni d’interroger à travers les signes toujours contradictoires de sa progression les échos au long cours du déni de droit originaire.

L’enchevêtrement efficient de ces différents facteurs – qui a permis d’articuler un système de solidarité quasi unanime, reposant sur la reconduction – à l’endroit d’Israël- de la figure du bouc émissaire-,  constitue certainement l’une des grandes énigmes de la psychologie sociale de notre époque, puisqu’il a facilité, sans jamais éveiller le soupçon, l’essor d’un suivisme sans précédent, mélange de pavlovisme psychique et de psittacisme verbal.

Le cartel de Palestine, comme tous les autoritarismes qui ont été sanctifiés et sanctuarisés au XXè siècle, a représenté jusqu’au matin du 7 Octobre 2023 l’épicentre mondial d’une légende entrée dans l’histoire avec la force de contrainte d’une loi physique.

La question palestinienne ainsi articulée –stratégiquement articulée- à différents niveaux de complexité et de fausses évidences, aura constitué, jusqu’à nos jours, l’une des pierres de soutènement de l’ordre mondial, à commencer par les conditions de ses équilibres stratégiques, voire civilisationnels.

Son pouvoir de subversion surgit comme le prix à payer d’un mensonge originaire, source de toutes les violences.

© Georges-Elia Sarfati*

*Georges-Elia Sarfati est philosophe, linguiste, psychanalyste, co-fondateur du Réseau d’étude des discours institutionnels et politiques, directeur de l’Ecole française d’analyse et de thérapie existentielles (www.efrate.org), fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem, lauréat du prix de poésie Louise Labbé.

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9 Comments

  1. Les Arabes de Palestine étaient à peine plus nombreux que les Français d’Algérie. Une dizaine d’années plus tard ils s’étaient intégrés bon gré malgré. Mis à part la période de l’OAS ,ils n’ont pas emmerdé le reste du monde.
    Visiblement on ne peut que regretter que la guerre de l’été 82 ne soit pas allée jusqu’au bout.

  2. Texte important fustigeant la méconnaissance de l’histoire ( le refus des deux états en 1947 ) et la construction d’un « palestinisme » réducteur et s’appliquant partout.
    Bien vu l’analogie palestiniens et juifs expulsés des pays voisins.
    Reste quand même cette colonisation à outrance de la Cisjordanie depuis 1967 qui est une erreur : cf la situation d’Hebron aujourd’hui avec 800 colons dans la vieille ville et 250000 palestiniens autour.

    • La Cisjordanie n’est pas et n’a jamais été un État . C’est une dénomination géographique à partir du fleuve. Autrefois province turque puis attribuée par la Grande Bretagne à la Jordanie qui s’en est débarrassée ! Elle a été conquise par Israël après 3 guerres perdues par les armées arabes . À Oslo elle a été divisée en 3 zones et la zone A a été attribuée à l’ Autorité palestinienne . Les implantations israéliennes sont toutes en zone C et ne sont pas illégales. Il ne faut pas dire « colons « , c’est faux . Si un État palestinien est créé il n’ira pas « du fleuve à la mer «  et des solutions peuvent être envisagées pour les juifs de Samarie et de Judée , vrais noms de la région .

    • Ane Martin, avant de prétendre relever nos “erreurs”, relevez d’abord vos horreurs de langage. C’est la Judée-Samarie et non cette désignation infame cisjordanie du jargon ennemi pour faire du négationnisme sur l’histoire et la géographie de la terre d’Israel. C’est la Judée-Samarie depuis au moins 4000 ans, 2000 ans au moins avant que la France n’ait la langue française pour raconter l’histoire de France et avant que Mohamad n’ait un message musulman à propager par le glaive du Djihad. Juif en français étant une déformation du mot Judéen, revenir dans notre patrie en Judée n’est pas de la “colonisation”, terme ignoble assimilant le peuple juif à des étrangers sur sa terre où il y est en légitimité absolue. La seule et authentique colonisation en Judée Samarie, et dans la Bande de Gaza aussi, est la colonisation par les occupants arabes dits “palestiniens” qui n’ont aucun droit national sur notre terre. Ce n’est pas négociable!

    • 800 juifs religieux qui veillent sur les tombeaux des patriarches et matriarches : Abraham et Sara, Isaac et Rebecca, Jacob et Leah…et d’après le Midrach Adam et Ève !
      C’est si terrible pour les 250.000 musulmans d’être cernés par 800 juifs ?
      Dans le 93 près de Paris , la présence résiduelle d’une petite centaine de juifs va-t-elle provoquer la colère ?

  3. Merci à André M pour ses utiles précisions sur les accords d’Oslo et je me basais sur le douloureux documentaire de la 5 , consacré à Hébron et réalisé par deux journalistes israéliens ( I Avrahami et N Sheizaf ).
    Sinon Ok pour les mots pionniers/colons ou Judée-Samarie/Palestine ainsi que pour l’ancienneté de la présence juive sur ces terres mais ils n’étaient pas seuls ….
    Et il faudra forcément négocier même après les atrocités du 7 octobre.

    • Même après la Shoah il y a eu des rencontres et des discussions .
      Mais avec les arabes musulmans calmes ou islamistes bornés c’est impossible ! Du moins pour le moment !
      De 1948 à 2024 ils ont toujours dit non!
      Ils veulent un État de la rivière à la mer !
      Ils veulent donc que 6 millions d’israéliens s’en aillent là où on pourrait les accueillir.Ils n’auront rien ou alors ils devront accepter un État démilitarisé et pacifique à Gaza et en Samarie avec une bretelle routière ! La paix viendra dans quelques générations !

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