De la haine culturelle : Vers un monde sans Juifs ? Par Patrick Banon

Patrick Banon

Les terribles violences infligées à des civils sur le territoire d’Israël par le mouvement terroriste Hamas dès le sept octobre 2023, rappellent les terribles heures de la Shoah. Cette déshumanisation de personnes désarmées et inoffensives dont le seul tort était d’être juives contraint chacun de poser la question de sa propre humanité et de chercher à comprendre pourquoi et comment cette perpétuelle haine des Juifs a putraverser les siècles et frapper de honte nos sociétés.

La haine des Juifs ne concerne pas uniquement les acteurs du conflit israélo- palestinien, mais contamine des populations qui vivent loin du Proche-Orient. L’immense majorité ne connaît rien de l’histoire de cette région et n’a probablement jamais rencontré de Juifs. Alors pourquoi tant de haine ? Nous croyions que les exécutions sommaires de femmes, d’enfants et d’hommes faisaient partie du passé bestial de l’humanité. Il n’en est rien… “Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire”, nous alertait Albert Einstein. Nous voilà donc complices d’une irrésistible dérive, celle d’un despotisme politico-religieux qui depuis des siècles attise la haine envers un peuple devenu le bouc émissaire de peurs primordiales.

De l’Égypte pharaonique à Babylone, de l’empire d’Alexandre le Grand à l’empire romain, au Christianisme primitif et à l’Islam, de l’empire arabo-musulman à l’Occident romain et à l’empire ottoman, les nations changent, la haine des juifs perdure, nous rappelant la capacité de sauvagerie des hommes et la fragilité des démocraties. Notre idéal universaliste survivra-t-il à la démonstration de barbarie orchestrée par le mouvement terroriste Hamas ? Alors que sa Charte revendique clairement la haine des juifs comme un élément central de sa doctrine, appelant à la création d’un état islamique à la place d’Israël, à l’anéantissement de l’état hébreu et à l’expulsion ou le meurtre de juifs, les principes fondateurs des démocraties repoussés dans leurs retranchements résisteront-ils au confort moral d’une société ambiguë ?

Pour déceler la logique de cette pensée apocalyptique, il faut aller aux sources de la haine des Juifs, mère de toutes les haines, origine aussi des racismes et autres formes de déshumanisation de “l’autre”.

Il s’agit d’identifier ses inventeurs, d’en déceler les circonstances, les sources et les motivations. Espérer l’avènement d’un monde sans juifs relève d’une croyance mystérieuse, dont il faut découvrir l’inspirationpour mieux la combattre. Déconstruisons alors les accusations fallacieuses qui accompagnent le destin des juifs depuis trois millénaires pour mieux dévoiler la barbarie de cette pensée. Des calomnies indélébiles qui marquent le chemin du calvaire juif, telle au Moyen Âge cette communauté accusée de cannibalisme pour s’être nourrie du corps du Christ à travers des hosties ensanglantes supposées volées dans une église. Incroyable ! N’est-ce pas ? Des affabulations véhiculent les pires calomnies, comme celle prétendant que les juifs de New York ont averti leurs coreligionnaires de l’imminence des attentats du 11 septembre, la plupart échappant ainsi à la mort sans avertir leurs collègues de bureaux. Faux bien sûr ! D’autres ne croient-ils pas qu’un sous-marin plongé dans la Loire transportait vers les pays du Golfe des jeunes femmes enlevées dans les cabines d’essayages par des commerçants Juifs d’Orléans. Impossible évidemment !

Ne voyons pas ici l’expression d’une innocente crédulité, mais le besoin de conforter des justifications à une haine culturelle, le moyen inavouable de faire société autour du projet de destruction d’un peuple. Les démocraties sont responsables d’avoir laissé se développer en leur sein des philosophies autodestructrices et accepté l’inversion de leurs valeurs. Radicalisation religieuse et tentation woke, deux à trois générations ont ainsi été privées d’une liberté de pensée et de l’esprit critique qui leur manquent tant. Aujourd’hui certains manifestent encore leur soutien au mouvement terroriste Hamas se rendant complices par leurs opinions coupables. Mais ne nous méprenons pas, cette entreprise globale de déshumanisation d’un peuple n’est qu’une étape dans le projet plus large d’imposer une société totalitaire obéissant à des traditions archaïques. Les démocraties sont la cible finale de ces violences.Israël pour sa singularité politique et religieuse au Proche-Orient. La France pour son idéal de laïcité qui place les lois de la République au-dessus de toute autre. Partout attaquées sur leurs fondements, les démocraties doutent aujourd’hui de leur propre légitimité mise à mal par des idéologies puritaines. Débattant à l’infini du sexe des anges, elles ne voient pas leurs divisions les transformer en victimes sacrificielles. Les démocraties ne sont pas les mieux armées pour défendre leurs sociétés des loisirscontre cette menace eschatologique du remplacement d’un idéal de justice par un principe théocratique de pur et d’impur. Parviendrons-nous à défendre les principes de nos démocraties sans renoncer aux valeurs qui les fondent ?

La haine des Juifs apparaît comme une cosmogonie alternative, une théorie fantasmagorique qui associe la création du monde par une divinité à sa fin provoquée par la persistance des Juifs à exister. Pourtant, aucune croyance ne peut légitimer le racisme ou l’antisémitisme. En fait, cette aversion injustifiée envers les Juifs est un fossile culturel, le vestige d’une xénophobie née à l’ombre des pyramides, diffusée à travers l’empire romain par la plume d’auteurs hellénisés ou latins, popularisée par les écrits d’un christianisme primitif et reprise par les Hadiths des textes islamiques. La haine des Juifs contamine les peuples en quête de légitimité, jusqu’à prendre aujourd’hui la forme d’une croyance, une sorte de foi aveugle dont la répulsion d’un peuple fait office de rite. Une haine à visage découvert qui rompt avec les “tabous” primordiaux et unit ses fidèles autour du culte illégitime d’un monde sans Juifs.

Juden frei !” Le terme utilisé sous le Troisième Reich, pendant la Shoah, désigne un espace purifié, une population sans Juifs. Mais le concept d’une terre sans Juifs n’est pas une exclusivité du nazisme. L’antisémitisme du Hamas reprend l’idéologie islamiste que seule l’extermination des Juifs permettra à ses fidèles d’accéder à la rédemption promise par l’eschatologie islamique. La fin des temps est proche. Le réveil actuel de l’Islam en est le signe. N’est-ce pas Hadj Al-Hosseini, Grand Moufti de Jérusalem, qui inspira le premier grand pogrom de 1920 à Jérusalem ? Anéantissement, résurrection et imminence du Jugement dernier, l’antisémitisme d’aujourd’hui fait figure de bataille finale pour l’immortalité entre les Fils de la Lumière et les fils des Ténèbres. Un affrontement qui a tout d’un conflit œdipien entre un peuple fondateur et un héritier revendiquant la propriété de sa matrice. Selon les livres du Judaïsme, l’Apocalypse annoncée par ses prophètes aura lieu à Jérusalem dans les quartiers du jardin des Oliviers et du mont du Temple, géographie aussi du tombeau du Christ et de l’esplanade des mosquées. Ceux qui y seront présents seront les premiers à être soumis au Jugement dernier pour se relever à la vie éternelle dans le monde nouveau d’une Jérusalem céleste. Tous… Sauf les terroristes, puisque le Prophète Mahomet interdit de tuer des enfants, des femmes ou des vieillards1.

1 Hadith rapporté par Aboû Dawoûd, recueilli dans les 99 hadiths du Prophète Muhammad par Khâlid Abû Sâlih.

© Patrick Banon

Écrivain et essayiste, Patrick Banon est chercheur en sciences des religions et systèmes de pensée.

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