La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -46- “Pour Tamar, 9 ans, morte de peur. Pour nos 9 soldats tombés”

Judith Bat-Or

“Un jour, nous pourrons pardonner aux Arabes le meurtre de nos enfants, mais pas de nous avoir contraints à tuer les leurs”. 

Cette phrase, prêtée à Golda Meir, a toujours résonné en moi, comme un exemple de grandeur, grandeur d’âme, d’humanité. Le Nord de ma boussole morale. Bien qu’ayant subi des revers, traversé mon compte d’épreuves – comme toute personne de mon âge, assez avancé mais pas trop –, je considère avoir été épargnée par la vie. Jusqu’ici. Et jusqu’ici, j’ai toujours oublié. Toujours pardonné. Avancé. Aucun mérite à cela, je suis faite comme ça.

Aussi ne me suis-je jamais imaginée capable de vouloir la mort d’un homme. Mais on se découvre à tout âge. La preuve. Depuis l’attaque du 7 octobre, le début de la guerre, je n’ai qu’un seul souhait : éliminer les terroristes du Hamas, du Hezbollah, tous et chacun, jusqu’au dernier. “Éliminer”. Je n’aimais pas avant l’utilisation de ce mot au sujet de personnes. Cela aussi a changé. 

Depuis les massacres de Sderot, Nir Oz, Beeri, Ofakim… comme un animal aux aguets, je ne dors plus qu’à moitié. Chaque fois que je me réveille, je lis d’un œil les nouvelles sur mon portable, puis le repose, dans l’espoir de me rendormir. À l’aube, je m’informe encore avant de me lever. Je me promets alors de ne plus écouter les actualités, de me déconnecter. Résolution saine et logique. Je n’ai aucun impact sur la réalité. Il sera temps de la connaître quand elle me rattrapera. Et d’ici là, mieux vaut penser à ce que je peux changer. Me concentrer sur l’action. Sur l’aide que je peux apporter à ceux qui ont souffert le pire, qui souffrent encore, autour de moi, ces dizaines de milliers de réfugiés des zones de guerre, du Sud et du Nord du pays, installés à Jérusalem. Ceux dont je croise les regards hébétés dans la rue, dans les hôtels qui les hébergent, dans le magasin gratuit où ils viennent chercher des habits pour eux, pour leurs enfants. Leur préparer des repas chauds, essayer de les divertir, ou juste les accompagner. C’est ce que je veux faire. Ce que je me promets.

Mais comment y parvenir ?

Comment ignorer les alarmes qui se déclenchent dans le pays ? Précipitant enfants, adultes et vieillards dans les abris, les chambres fortes, ou les jetant sur les routes, allongés les mains sur la tête. Comment ne pas entendre les explosions dans le ciel, les explosions sur terre, le sol qui tremble ? Comment ne pas sentir le sursaut de terreur, le cœur qui dans la poitrine manque un battement, ou plusieurs, comme la petite Tamar d’Ashdod, littéralement morte de peur, d’un arrêt cardiaque à neuf ans, en courant vers l’abri ? Comment ignorer ces missiles tirés par rafales sur nos villes, visant notre population, civile, expressément ? D’accord. C’est bon, je cède. J’allume la radio. Et peu importe l’heure. Il n’y a plus d’heure pour les infos. Seulement quelques minutes. Pour savoir. Et j’éteins après. 

“La publication des noms de neuf soldats tombés dans la bande de Gaza vient d’être autorisée”. 

Neuf soldats, neuf univers disparus, neuf familles détruites, des centaines de vies… Des sacrifices indispensables. Des sacrifices inévitables. Je sais. Je sais. Je me refuse à l’accepter. Et soudain, je comprends que jamais je ne pardonnerai. Jamais. 

“Oh la chochotte”, se moquent les “amis d’Israël” dans le confort de leurs salons de révolutionnaires repus. “Neuf morts ?! Et les enfants palestiniens ?!”, ajoutent-ils scandalisés en avalant du Chardonnay pour faire passer l’indignation.

© Judith Bat-Or

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