Francis Moritz. Russes, Ukrainiens, l’Alyah en temps de guerre

Francis Moritz

Subie ou choisie

S’agit-il d’une chance ou d’un nouveau défi? Pour certains c’est l’exode choisi, pour d’autres la découverte d’une terre promise, pour d’autres encore, un exil subi.

Le gouvernement actuel se propose de revoir le contenu de la Loi du retour d’origine. Les dispositions très libérales quant à leur interprétation seraient désormais très restrictives, la Halakha et rien que la Halakha. Mais le prix à payer c’est l’exclusion d’un grand nombre d’émigrants fuyant la guerre.

Le statut de l’Alyah dans la société israélienne

Il a largement évolué à la mesure des changements intervenus depuis 1948. En Occident, Israël est le seul état à accueillir des Russes Juifs et à accorder la résidence permanente et la citoyenneté à tous ceux qui répondent aux critères existants, sauf quelques rares exceptions. Entre février 2022 et juin 2023 cette nouvelle aliyah atteindra 47.000 arrivées, soit le triple de celles en provenance d’Ukraine, de l’ordre de 15.000.

Pour cette seule période, cette Aliyah représente les deux tiers de la totalité des nouveaux immigrants. Ensuite intervient un changement de cap vers l’Allemagne. Les autorités et les communautés juives locales ont organisé des programmes à grande échelle pour accueillir les réfugiés, y compris d’origine russe. Ce que les autres pays européens n’ont que très peu initié. Il y a à peine 100.000 Juifs en Allemagne contre cinq fois plus en France.   

Concrètement, en raison du large pourcentage de sécularisation en Occident et de la modestie des communautés ailleurs dans le monde, Israël ne peut pas compter sur une forte immigration.

Donc seule la Russie représente le groupe le plus important susceptible d’émigrer. Le ministre de l’Alya a déclaré “qu’auparavant (comprendre avant notre arrivée au gouvernement) toutes les ressources du ministère étaient consacrées uniquement à l’intégration des émigrants russes” et de souligner que sa mission “était d’abord” de développer l’immigration de France et des pays anglophones occidentaux, principalement. On comprend d’autant mieux cette remarque quand on découvre qu’en majorité les olims de ces pays ont plutôt tendance à voter pour le Likoud ou les partis religieux, lui-même étant du parti Otzma Yehudit.

Pour autant, faute de pouvoir accomplir ce vœu pieux, on conserve le flux d’Olims russes et ukrainiens. Il convient de rappeler que les Russes sont dispensés de visas pour entrer en Israël.

Ce sujet, comme celui du service militaire pour tous, fracture la société. Les premiers émigrants du Foyer national Juif et ceux de post-1948 ne sont plus en nombre suffisant pour rappeler à leurs enfants et petits-enfants qu’en grande majorité, ils étaient tous des olims eux-mêmes. A l’époque on disait “des réfugiés”.  Maintenant on dit “israéliens de souche”.

Un sondage financé en 2022 par ce ministère montre que les plus favorable à cette émigration sont des citoyens d’origine ashkénaze, plutôt laïcs dans leur pratique religieuse et modérés dans leurs opinions politiques, européens ou américains d’origine, avec un revenu supérieur à la moyenne nationale.

À l’inverse c’est un groupe hétérogène composé d’immigrants de pays hors d’Europe, plutôt séfarades, voire d’israéliens de souche, qui sont “contre” ( qui ont sans doute oublié leurs origines), d’un niveau social et économique plus modeste, qui attendent beaucoup des aides de l’État, notamment certaines communautés religieuses, qui pensent qu’on pourrait s’en passer et que leur arrivée représente un fardeau, qui considèrent que les aides sont réduites d’autant.

Un autre groupe sans être “contre”, marque sa réserve du fait des dépenses. Finalement 80% des interrogés restent plus ou moins favorables à cette émigration de Kiev à Moscou, selon la charge financière.

Malgré cet éventail d’opinions, la majorité des citoyens reste au fond favorable à la poursuite de l’accueil de l’émigration russo-ukrainienne avec maintien des critères existants. 

L’opinion publique est friande de sondages. L’organisation religieuse HOTAM a commandé un sondage sur la question : “Êtes-vous favorable aux changements proposés sur la LOI DU RETOUR et en particulier l’exclusion des ‘non Juifs’ en précisant son objectif -la préservation et le développement du caractère juif de l’état d’Israël-” 

Le site Arutz 7 en a publié quelques éléments, sans précisions. Il ressort que 59% des Israéliens seraient favorables à ces changements.

Premier constat

Ce résultat contredit l’enquête de 2022 commandée par le ministère de l’Aliyah. D’après HOTAM les Israéliens souhaitent réduire le nombre de non juifs selon la Halakha. 41% seraient contre ce changement. Dans le secteur religieux 88% sont favorables au changement. Tandis que 43% des israéliens dits “laïcs” y seraient également favorables. 

Deuxième constat

Le flou est total sur les conditions de réalisation, la méthodologie notamment. HOTAM a refusé d’en fournir les détails. Ce qui jette le plus grand discrédit sur le sondage. Commander des sondages très orientés est devenu un moyen déguisé de pratiquer de la propagande à grande échelle.  En revanche, selon l’enquête du ministère, le plus intéressant reste que 20% déclarent que le pays devrait rester ouvert à tous ceux qui se sentent Juifs. Ce qui correspond au principe inscrit dans la “Loi du Retour”, dans sa version originale. 

Ceux qui veulent changer la “Loi du Retour

Ceux-là mettent en avant la trop forte proportion des russo-ukrainien arrivés durant la dernière décennie, qui ne seraient pas Juifs Halachiques. 

On est passé des initiatives du passé à la discussion d’une décision gouvernementale qui modifierait la loi en introduisant des catégories éligibles et d’autres pas.  Les partis religieux ont orchestré une campagne destinée à caricaturer les émigrants Russo-Ukrainiens en les faisant apparaître comme non-Juifs pour ne pas dire athées et rejetant la religion afin de détruire leur base électorale de type “ethno-identitaire”, notamment représentée par le parti dirigé par Avigdor LIBERMAN “Israel Beteinou”, généralement classé comme nationaliste, laïc et anti-clérical. Finalement c’est toute la communauté Russophone qui est visée sans nuance. 

Ceux qui ne veulent rien changer

Lucides, ils en mesurent tous les aspects positifs. La contribution directe économique et sociale n’est pas discutable. Elle est aussi Indirecte par l’apport au tourisme. Les touristes russes ont fait d’Israël une destination favorite. Pas de visa, on arrive comme on veut. On trouve des interlocuteurs qui s’expriment en russe comme en ukrainien.  

Les russophones, peu pratiquants, ne votent pas traditionnellement pour les partis religieux. En revanche, les nouveaux arrivants jeunes effectuent leur service militaire au plus tard un an après leur arrivée comme le veut la loi, garçons comme filles. On ne peut pas en dire autant pour la population en place, puisqu’on veut exempter les étudiants des Yeshivot, les jeunes filles religieuses étant exemptées. 

Malgré les difficultés, les nouveaux arrivants s’intègrent et leurs enfants encore plus, civiquement et patriotiquement entre 5 à 7 ans après leur arrivée. Israël devient leur pays. 

Les peuples ont une mémoire à géométrie variable. L’Aliyah russe de la fin des années 1990 et début 2000 a été cruciale. Elle a permis le “miracle économique” grâce aux   plus de 1,25 million d’olims dont la triple participation à l’équilibre démographique, à la contribution économique et enfin dans son intégration au système de défense a permis à tout le pays d’en profiter. 

Les “Contre” avancent l’argument que ces nouveaux immigrés ne restent pas dans le pays. La réalité est autre.  Au cours des 30 dernières années, 14% des russophones de naissance ont quitté Israël, autrement dit 86% se sont intégrés. Pendant la même période, on considère que 300.000 personnes environ, soit un peu plus de 30% de cette vague 1990/2000, étaient classées comme non-Juifs par le ministère de l’Intérieur, alors que le Bureau central des statistiques continuait à les classer dans la catégorie “Juifs et autres”. Chacun appréciera.

Les risques

Un basculement semble s’opérer. La première préoccupation a toujours été la sécurité. La question clivante des deux états partage le peuple de gauche et celui de droite. Les Accords d’Abraham semblent avoir éloigné la solution à deux états sinon aux calendes grecques, au moins à celles de Jérusalem.  Les partis membres de la coalition veulent à tout prix faire passer la loi modifiant le fonctionnement de la Cour suprême, l’exemption du service militaire pour les étudiants des écoles religieuses et enfin la “Loi du retour”. Plusieurs faits devraient faire réfléchir les partis religieux :

La majorité des Juifs peu ou pas halachiques sont hors d’Israël.  Désormais 46% des Juifs (toutes catégories) vivent en Israël et 54% hors d’Israël. De facto seront-ils considérés comme bienvenus uniquement avec un certificat halachique ?  Le jour de la Mémoire, Yom Hazikaron, quand on égrène la liste douloureuse des soldat tombés au combat, ajoutera-t-on “halachique” ou non.

Bref, les sachants religieux devraient choisir leur source d’inspiration, eux qui se plaignent de l’augmentation de la population arabe qui est déjà de l’ordre de 18% –  mais qui obtiennent l’augmentation des subventions aux organisations religieuses, des allocations aux Yeshivot, des subsides pour restaurer les tombes rabbiniques  – devraient y réfléchir à deux fois avant de rejeter cette immigration qui en réalité fortifie le pays, alors que le flux de l’Alyah occidentale ou orientale se tarit.  

© Francis Moritz

Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme “Bazak”, en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.

       Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps

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