Daniel Sarfati. Mon père était un sceptique qui tardivement avait fini par accepter le pari de Pascal

Je résidais dans un hôtel minable à Jérusalem.

Ma chambre était étroite, la cabine de douche n’offrait qu’une eau chiche. 

Pour un mois de mai, le temps était anormalement caniculaire. 

J’ai tout de suite accepté la proposition d’un ami d’aller au kibboutz Ramat Rahel pour profiter de leur piscine olympique. 

En passant par la colline de Talpiot, j’ai reconnu la maison de l’écrivain S.J. Agnon. 

« Je crois qu’elle se visite… »

Au retour, si tu veux, m’a répondu mon ami. 

Au kibboutz, j’ai nagé quelques longueurs puis je me suis allongé sur la pelouse. 

J’ai du m’endormir. 

Je passais de mauvaises nuits, ces derniers mois. 

C’est la fraîcheur du soir qui m’a réveillé. 

À Jérusalem, la température bascule brutalement dès que le ciel se met à rosir avant le crépuscule. 

Nous avons juste le temps d’aller à Bethlehem avant que la nuit ne tombe, m’a dit mon ami. 

Bethlehem ? Ça n’était pas prévu au programme.

Nous sommes juste à quelques kilomètres. Ça vaut le déplacement. Il y a le tombeau de la matriarche Rachel. 

Rachel, la femme de Jacob, la seule des patriarches et des matriarches à ne pas avoir été enterrée à Hebron. Selon la légende, Rachel serait la mère bienveillante de tout le peuple juif, consolatrice et protectrice. 

Ouais. Bof. 

Ça ne me dit rien. 

De la superstition surtout. 

Devant mon scepticisme, mon ami n’a pas cédé. 

Nous avons franchi deux ou trois checkpoints militaires où il a fallu montrer patte blanche, et nous sommes arrivés au mausolée de Rachel. 

Une grande ferveur régnait dans les petites pièces de la synagogue. L’air était irrespirable. 

Un homme m’a fourré un livre de prières entre les mains, en m’indiquant la bonne page. 

J’ai toujours été incapable de prier. 

Même le jour de Yom Kippour. 

Je préférais me balader avec mon père et saliver devant les plats servis en terrasse à des clients qui profitaient de la douceur d’un été indien. 

Mon père ricanait et me disait :

« Tu crois vraiment que nous avons raison de jeûner et que eux ont tort de manger ce magnifique steak-frites ! »

Mon père était un sceptique, qui tardivement, les dernières années de sa vie, avait fini par accepter le pari de Pascal. 

Il avait donc jeûné ce dernier Yom Kippour. 

Son dernier Yom Kippour. 

J’avais perdu mon ami dans la foule. 

Je l’ai retrouvé dehors, devant une sorte d’autel couvert de bougies à moitié fondues. 

Il m’a tendu une bougie. 

J’ai haussé les épaules. 

Ce culte à Rachel est ridicule. 

Tu te trompes, Dani. Cette bougie n’est pas pour Rachel, elle est pour quelqu’un qui te manque et qui continue de te hanter. 

J’ai allumé maladroitement la bougie. 

Nous sommes rentrés assez tard à Jérusalem, il faisait froid et je frissonnais. 

Je devais avoir de la fièvre, j’ai pris deux Doliprane avant de sombrer dans un sommeil épais. 

J’ai peu de souvenirs des rêves que j’ai pu faire. 

Juste une image. 

Mon père qui me disait, avec un léger sourire :

« Tu t’es fait avoir, fiston. »

© Daniel Sarfati

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