Après l’adoption de la loi restreignant le critère de raisonnabilité : Une première victoire sur le chemin du second Ma’apah. Le Point de vue de Pierre Lurçat

Après l’adoption de la loi restreignant le critère de raisonnabilité :

Une première victoire sur le chemin du second Ma’apah

Dans une interview passionnante qui paraîtra dans la prochaine livraison d’Israël Magazine, Herzl Makov, qui dirige le centre Begin à Jérusalem et connaît de près tous les dirigeants actuels et passés de la droite israélienne – de Menahem Begin à Binyamin Nétanyahou – m’a raconté comment il menait depuis toujours le même combat, en tant que lycéen membre du Betar, puis en tant que pilote de l’armée de l’air, et aujourd’hui au centre Begin : le combat pour la « toda’a », c’est-à-dire pour la conscience et le récit des événements, ce qu’on appelle aujourd’hui le « narratif ».

Depuis 1948 et avant même, en effet, c’est la gauche qui a imposé son propre narratif, que ce soit concernant l’histoire d’Israël et du mouvement sioniste (« Le narratif sioniste dominant a mis en avant la Deuxième Alyah, en effaçant tout ce qui avait précédé… », explique Makov), ou concernant l’histoire politique du pays. Le centre Begin a ainsi exhumé récemment une photo de Pawel Frankel, dirigeant mythique de l’insurrection juive dans le ghetto de Varsovie[1]. Un article retraçant cette découverte historique a été refusé par toutes les revues d’histoire spécialisées en Israël ! Et jusqu’à récemment encore, Yad Vashem pratiquait également une vision sélective de l’histoire, en minimisant le rôle du mouvement sioniste révisionniste dans la résistance juive. Et les exemples sont légion…

Herzl Makov devant le portrait de Jabotinsky.
Photo P.Lurçat / Israël Magazine

Paradoxalement, malgré le « Ma’apah » – l’arrivée au pouvoir de Menahem Begin en 1977 – les choses n’ont pas fondamentalement changé. Il suffit d’écouter les médias israéliens « mainstream » (Galei Tsahal ou les chaînes de TV 11, 12 et 13) pour s’en rendre compte. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement Nétanyahou, ils imposent leur narratif et leur vocabulaire, en parlant de « changement de régime » ou de « révolution judiciaire » pour désigner l’actuelle réforme, dont certains éléments essentiels (comme la restriction du critère de raisonnabilité) ont pourtant été soutenus par des membres de l’actuelle opposition (qui s’en cachent bien aujourd’hui).

C’est pourquoi le vote hier, à une majorité écrasante, de l’amendement à la Loi fondamentale sur le système judiciaire, est une victoire importante. En restreignant l’usage abusif du critère de raisonnabilité, qui permettait aux juges et à la Cour suprême en particulier d’annuler n’importe quelle décision publique, aux motifs qu’elle ne serait pas « raisonnable », de manière arbitraire et sans aucun fondement légal, la Knesset va rendre au pouvoir élu un peu du pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, depuis la Révolution constitutionnelle du juge Aharon Barak en 1992.

L’enjeu de cette décision dépasse de loin le cadre strictement légal et judiciaire. Il s’agit en fait, comme je l’ai décrit dans mon livre Quelle démocratie pour Israël ?*, de permettre au gouvernement et aux élus du peuple d’appliquer la politique pour laquelle ils ont reçu mandat du peuple. Cet enjeu est d’autant plus crucial que le « gouvernement des juges », tel qu’il existe aujourd’hui en Israël s’exerce toujours dans un sens hostile au pouvoir de la droite, majoritaire dans l’opinion et dans les urnes, mais minoritaire au sein des élites non élues. Ces dernières, qui représentent grosso modo la minorité ashkénaze laïque de gauche[2], n’en finissent pas de s’accrocher à un pouvoir qu’elles ont perdu depuis longtemps dans les urnes.

Il s’agit ainsi en fait, aujourd’hui comme hier, de parachever le premier Ma’apah survenu en 1977, par lequel la droite est arrivée au pouvoir, pouvoir qui lui a été très vite confisqué par les vieilles élites de gauche (et ce n’est évidemment pas un hasard si la montée en puissance du « gouvernement des juges» a suivi de près l’accession au pouvoir de la droite israélienne, après 30 ans d’hégémonie du Mapaï). C’est ce second Ma’apah qui commence aujourd’hui. C’est une première victoire, mais la bataille ne fait que commencer.

© Pierre Lurçat

* Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? éditions l’éléphant 2023, est en vente sur AmazonB.o.D et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv.


Notes

[1] Voir l’article du regretté Jacques Benillouche, TEMPS et CONTRETEMPS: Pawel FRENKEL : l’oublié du Ghetto de Varsovie (benillouche.blogspot.com)

[2] Ceux que le sociologue Baruch Kimmerling avait qualifiés d’Ahousalim (אשכנזי, חילוני, ותיק, סוציאליסט, לאומי- ציוני), dans son livre The End of Ashkenazi Hegemony, paru en 2001.

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