Le thriller de l’été. “Liquidation à Pôle Emploi -25- Judith Bat-Or

« Comme quoi, il n’est pas inutile de chipoter, comme tu dis », se rengorge Dominique.

Il n’ajoute pas un mot. Laisse le silence s’étirer. La tension s’installer. Pour savourer son heure de gloire. Ou plutôt la demi-minute que Laurence lui accorde avant de s’impatienter.

« C’est bon, on a compris ! déborde-t-elle finalement. T’es un génie. Maintenant, accouche.

– Eh bien, regarde. Lis ça.

– Je le connais par cœur, ce message, Do, crois-moi, je l’ai lu dix mille fois. Tu veux que je te le récite ?

– Non, au contraire, que tu le lises. 

– Tu ne peux pas simplement me dire ce qu’il y a ?

– C’est plus drôle si tu trouves toi-même.

– Plus drôle pour qui, d’abord ? Et trouver quoi, putain de dieu ?

– La preuve que ce n’est pas Zaza qui a écrit ce message. 

– Vraiment ?

– Puisque je te le dis. Vas-y. Regarde bien…

– Toi, t’as raté ta vocation. Avec tes penchants sadiques, tu aurais fait un super prof !

– Parfois, je me demande pourquoi tu t’ingénies à être aussi désagréable, alors que je ne… 

– “Désolé, ma Laulau”, crie Laurence pour couvrir sa voix, et poursuit, théâtrale, sa lecture, yeux plissés, portable à bout de bras, en détachant les mots. « “Je n’ai pas le temps de parler. J’ai encore changé d’avis. Sauf que cette fois je suis sûr que c’est définitif”… 

– Stop, là, tu n’as rien vu ?

– Ben, ça va, oh ! du calme. On n’en est qu’au début. Je suis pas une machine non plus.

– Recommence en te concentrant. Parce que tu as passé quelque chose d’important. En fait – et attention, je te donne un indice  –, ce sont même, si j’ose dire, deux quelque chose qui auraient dû tirer ta sonnette d’alarme. Parce que… enfin, tu verras, une fois que tu sauras…

– Toi, si tu continues à me jouer le coup du suspense, j’te jure que je t’étrangle, rugit Laurence à bout de nerfs.

– Ok, c’est toi qui décides. Mais dommage, parce que je t’assure que c’est beaucoup plus gratifiant de découvrir par soi-même. »

Laurence n’objecte rien, se contente de grogner.

« Eh bien, puisque tu insistes, se résigne Dominique. Tu es d’accord avec moi que Zaza n’aurait jamais fait une faute d’orthographe ? À en juger par l’analyse de ses messages précédents… part-il pour un monologue. 

– Jamais, je suis d’accord, le coupe Laurence en plein élan.

– Très bien, on est d’accord. Et pourtant, dans ce SMS, elle a fait plusieurs fautes. À moins que… » laisse-t-il planer. 

Laurence grogne à nouveau. Plus fort.

« Bon…  Je te la fais courte. “Désolé”, est écrit sans le “e” de la fin, le “e” du féminin. Et “sûr”, pareil, sans e. Tout ça dans un seul SMS. Ça ne peut pas coller avec la Zaza qu’on connaît. 

– Parce que tu la connais !

– À travers ses messages, un peu. Et arrête de tout contester, c’est fatigant à la fin, et ça n’avance à rien. Du coup, j’ai épluché tous ses autres messages. Ceux d’avant sont au féminin. Après au masculin. Comme tu dis, c’est ici que tout a basculé.

– Non, c’est pas vrai !

– Je te promets. Tu n’as qu’à vérifier.

– Pas la peine, je te crois. Oh, putain, Do, t’es le meilleur ! 

– Et il y a autre chose, attends. Dans ce message-là, tu vois rien ?

– Tu ne vas pas recommencer !

– Non, mais, regarde ! Après “croissants” !

– Bordel de merde, un smiley ! Zaza a fait un smiley !

– Pas elle, non, justement. Mais son fils, certainement. »

D’avoir entendu ces mots de la bouche de Dominique, Laurence a brusquement la sensation de perdre pied. L’impression que le monde autour d’elle s’obscurcit. Au lieu de la réjouir, la confirmation implacable de ses soupçons l’abasourdit. Car derrière, apparaît, encore floue, une crainte qu’elle n’ose pas mettre en mots. Qu’elle a pu étouffer tant que personne ne la croyait. Une crainte stupide et sans fondements !, qu’elle repousse des quatre fers, et chasse de son esprit, comme une chimère, un démon. Là, tu débloques complètement ! Va falloir consulter, ma vieille, ferme-t-elle vite cette parenthèse, avant de donner le change : 

« Alors, on le tient, s’exclame-t-elle.

– Disons du moins qu’on est certains qu’il y a anguille sous roche.

– Anguille sous roche ? Vraiment ?

– C’est tout ce que tu trouves à dire ? s’emporte Dominique, vexé. Je te démontre par A + B que ce n’est pas Zaza qui a écrit ces messages. Je t’offre sur un plateau d’argent la preuve qui te manquait…

– C’est toi qui voulais une preuve. Moi, rien ne me manquait. Je me fie à mon intuition. À cent pour cent, tu vois. Et maintenant, ça suffit. C’est pas en palabrant qu’on sauvera Zaza. Alors, tu proposes quoi ? Au niveau plan de libération. Moi, voilà ce que je propose, enchaîne-t-elle sans attendre. On abandonne le scénario de l’intrusion par effraction. On n’en a plus besoin. Dommage pour toi mais t’as raté une chance unique d’être un héros. Pas besoin de ruser non plus. On a de quoi le faire plier. Donc, on va l’attaquer de front. Lui mettre le nez dans sa merde. Il ne va pas comprendre d’où ça lui tombe dessus. Il est tellement arrogant ! Ben, désolée, petit, fallait pas croire au père Noël. Il n’y a pas de crime parfait. »

Elle s’arrête, le souffle coupé. Ce « crime parfait » spontané a dépassé sa pensée. Son intuition l’a rattrapée. Sauf qu’il ne faudrait pas confondre angoisse et intuition, rame-t-elle pour chasser son malaise. 

« Je crève d’envie de voir sa tête quand je lui montrerai son erreur. Pauvre Hugo, ça va pas ? Mon dieu, vous sentez mal ?! Vous voulez peut-être un verre d’eau ?! » mielle-t-elle pour commencer, et continue en crescendo. « Monsieur joue au plus fin. Monsieur s’imaginait passer entre les gouttes ! Eh bien, mauvaise nouvelle, espèce de petit morveux ! » Puis revenant à Dominique : « Face à ces évidences, son ego surdimensionné va lui exploser à la gueule. Il ne pourra que la fermer. Il n’aura plus qu’à rentrer sa queue de rat entre ses jambes. D’ailleurs, en y réfléchissant, ce n’est pas la peine que tu viennes. Avec cette pièce à conviction, je pourrai le moucher toute seule.

– Non, Laulau, ça, je ne crois pas. Comment veux-tu prévoir la réaction de ce mec-là ? Imagine qu’il s’énerve. Il est peut-être violent. S’il a été capable de séquestrer sa propre mère, qu’est-ce qui l’empêche, je ne sais pas, de te frapper, par exemple ?

– Pas dans la rue, quand même ! 

– Sauf que tu seras bien obligée de rentrer avec lui, pour libérer Zaza. Et derrière les portes fermées, à l’abri des regards, dans le bunker, imagine ! »

Parle pas de malheur ! tressaille Laurence. L’idée de ce tête-à-tête lui donne la chair de poule. Car Hugo lui fait peur. Avec son air supérieur et frustré à la fois. Un mélange dangereux. En plus, sans vouloir sombrer dans le film d’horreur, elle a aperçu dans ses yeux un éclat diabolique. Le diable, c’est des conneries ! Et pas question de s’abaisser à se faire escorter.

« Franchement, qu’est-ce que ça te coûte de me laisser t’accompagner ? la supplie presque Dominique. Pour moi. Pour me rassurer.

– Si tu y tiens tellement, concède Laurence volontiers, en maugréant pour la forme. Donc, on y va ensemble. C’est vrai, tu as raison, ce sera plus marrant. Rien qu’avec l’effet de surprise, on marquera un sacré point. On arrive tous les deux et on l’encadre. Tu vois le tableau ? Tu te mets derrière lui. C’est tout. Et tu me laisses parler. Mais il te sent dans son dos. Et il fait dans son froc. Parce que physiquement, tu vois, c’est pas pour te flatter, mais t’es impressionnant. Et je lui dis : “Alors, Ducon, on se prend pour le plus malin, mais l’orthographe ne suit pas !?” Et je lui mets les fautes sous le nez. Il pâlit. Il bredouille. Et là, je lui envoie : “C’est simple, petit merdeux, tu nous emmènes à ta mère, et tu disparais de sa vie. On ne veut plus jamais te voir.”

– Ben non, ça, tu peux pas lui dire, l’interrompt Dominique. C’est à Zaza d’en décider. Ce salaud  est son fils quand même.

– Ça un fils, non, mais tu débloques ?!

– C’est pas à toi d’en juger. Imagine si c’était Luciole.

– Ça va pas ? T’es cinglé ! Luciole ! Comment tu peux !… Je t’interdis de traiter… Ne recommence jamais, compris ? Bref. Revenons au plan. On ne va pas écrire le scénario au mot près. On peut improviser. Mais l’important est de savoir qu’on y va, qu’on le coince et qu’on ne le lâche pas avant qu’il nous laisse entrer et libérer Zaza. Et voilà, le plan est bouclé.

– Bon, tu veux mon avis ?

– Non, pas vraiment, mais je sens que tu vas pas te gêner. 

– D’après moi, le plan est mauvais.

– Et pourquoi, s’il te plaît ? rogne Laurence, vexée.

– Parce que l’aborder frontalement risque de tout gâcher. Ou pire : de mettre Zaza en danger. On y va, on lui dit qu’on sait, qu’il est piégé, et après ? Il peut tout à fait refuser de nous laisser entrer. Et nous, qu’est-ce qu’on peut faire ? Je ne vais pas lui sauter dessus pour lui voler sa clé. N’oublie pas qu’on est en plein jour. Qu’il peut y avoir des témoins. Résultat, on reste dehors. Et notre pauvre Zaza subira seule les représailles.

– Oui, ben, c’est plus facile de saper les idées des autres que d’en trouver soi-même. J’aimerais bien t’y voir, toi.

– Tu as raison, désolé, ton plan n’est pas mauvais, juste pas abouti.

– Pas la peine de faire le lèche-cul. »

Diplomate, Dominique esquive la pique et continue. 

« Alors, voilà, ma suggestion est de choisir un prétexte complètement différent pour pénétrer dans le bunker. Genre une fuite de gaz, qui menace le quartier, ou de vieilles canalisations qu’il va falloir changer.

– Ou une invasion de rats. De rats comme lui ! s’enflamme Laurence. 

– Ben non, les rats, ça ne va pas. Une invasion, ça se voit.

– Pas forcément. Ça dépend. Tu veux toujours avoir raison !

– Mais non, c’est pas du tout ça.

– Bref, concrètement ? abrège Laurence.

– Concrètement, je me présente chez lui en bleu de travail, avec ma caisse à outils, je l’aborde poliment et je lui sers mon baratin. Il ne se méfiera pas et n’osera pas non plus me refuser l’accès. Et une fois à l’intérieur, je fonce chercher Zaza.

– Et moi, là-dedans, je fais quoi ?

– Tu nous attends à la boutique avec du thé et des gâteaux.

– Compte pas sur moi pour jouer les seconds rôles dans la cuisine. Je t’accompagne. Point barre.

– Mais il te reconnaîtra.

– Oh non, pour ça, ne t’inquiète pas, il ne me verra même pas. J’ai un truc infaillible.

– Une cape d’invisibilité ?

– Parce que tu te crois drôle. »

© Judith Bat-Or

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