Alexandre Melnik. J’ai aujourd’hui la troublante sensation de vivre en direct ma propre mort. En tout cas, la mort d’une grande partie de ma vie

Milan Kundera à Prague, en République tchèque, le 14 octobre 1973.
©AFP

L’Humanité pleure la mort de Milan Kundera qui était déjà immortel de son vivant.

Quant à moi, ancien diplomate soviétique, né à Moscou, en pleine guerre froide, j’ai aujourd’hui la troublante sensation de vivre en direct ma propre mort. En tout cas, la mort d’une grande partie de ma vie. Car Milan a d’abord changé, avec ses œuvres, le cours de mon existence, en me faisant prendre conscience, bien avant la chute du Mur de Berlin, que le communisme fut non seulement une erreur, mais un crime, et ensuite, il est devenu une partie inaliénable de mon quotidien et – oui, j’ose le dire ! – mon ami, avec qui j’ai eu l’honneur et le bonheur d’échanger, les yeux dans les yeux, dans ses appartements parisiens, au sujet des cimes et des abysses de l’Essentiel.

Le sens de la vie, cette courte parenthèse entre la naissance et la mort. L’amour et la haine. La raison et l’âme. Les animaux qui réapprennent aux humains l’intelligence et la sensibilité. Les berceaux et les évolutions des civilisations. L’Europe.

Justement, l’Europe.

Si la prose de Kundera a ceci d’unique que c’est une alchimie qui s’évapore et se retire, telle l’eau de l’océan à marée basse, sa perception de l’Europe balaie les siècles, à travers l’enchevêtrement d’histoires d’hommes et de femmes sur fond d’Histoire, et trace un nouvel horizon pour nos cœurs, nos esprits et nos actions.

C’est lui qui a réinscrit sur le paysage mental de la civilisation européenne la Mitteleuropa « kidnappée » par le communisme, le cœur d’une Europe unie par les idéaux, mais honteusement oublié, au XXe siècle, par l’Ouest de notre continent, qui, selon lui, « s’est fourvoyé dans l’insoutenable légèreté de l’être ».

C’est lui qui a anticipé la merveilleuse aspiration de l’Ukraine aux valeurs fondatrices de l’Europe comme perspective de la nouvelle Renaissance européenne dans le monde global du XXIe siècle .

Le destin de Kundera ne rentre dans aucune biographie, sa seule « géolocalisation » est l’univers des êtres civilisés, et sa seule temporalité est la postérité qui nous projettera toujours vers l’avenir ».

© Alexandre Melnik

13.07.2023

Ancien diplomate de Moscou, Alexandre Melnik, professeur à l’ICN Business School, expert et consultant en géopolitique, est auteur et rédacteur en chef de lettres d’informations sur la Russie.

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