La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une invisible -26-

Judith Bat-Or

Ce que je reproche à la vie, c’est qu’il y est impossible de revenir en arrière. Même pas un petit rewind. Il suffirait souvent d’une marge de dix à quinze secondes pour éviter tant d’accidents, crises, blessures, ruptures, tant de douleurs. Quelques secondes en arrière pour braquer ou piler avant de percuter le mur. Quelques secondes en arrière pour ne pas prononcer le mot qui anéantit. Quelques secondes en plus, en moins, ce n’est pourtant pas une affaire. Mais non. La vie ne négocie pas. Dans la vie, jouer c’est jouer. Après, quand il est trop tard, on peut au mieux corriger, réparer, s’excuser. Au pire, regretter et payer. Sauf que même quand il est possible de corriger, réparer, s’excuser, plus rien n’est après comme avant. Évidemment, jamais après n’est vraiment comme avant, mais vous m’avez comprise. Les dégâts sont là. Recollés les morceaux resteront des morceaux.

J’ai regretté tant de paroles à peine les avais-je lâchées, tant d’actions à peine engagées, que je me risque rarement à parler d’événements à chaud. L’actu, le vif du sujet, ce n’est pas ma tasse de thé. Et peu importe qu’on me croie un brin lente à l’allumage. Je préfère laisser mûrir dans le secret de mon cœur mes émotions, ma colère, ou mon indignation. Laisser à mon esprit le temps de débattre en silence. Seul à seul. De prendre, sinon de la hauteur, au moins du recul. Ça me paraît important, en cette ère où le monde déraille, où ceux qui l’observent et commentent, toujours plus nombreux et vocaux, se plaisent à développer les scénarios les plus fous, sordides, terrifiants, comme si la réalité ne nous suffisait pas.

Garder le contrôle de soi est sans doute à contre-courant, mais je ne crains pas les défis.

C’est pour cette simple raison que je n’ai rien écrit, et ça m’en a coûté, lorsque des petits… j’ai failli dire « morveux » mais je l’aurais regretté, lorsqu’il y a une semaine, des extrémistes juifs ont osé insulter un officier de Tsahal, le commandant de la région, le traitant d’assassin, de traître, qu’ils lui ont craché dessus et l’ont chassé d’une maison où il s’était rendu pour consoler la famille d’une victime du terrorisme. Alors, je me suis tue. Mais quand j’ai lu ce matin que deux cents extrémistes, juifs encore, avaient attaqué dans la nuit une prison de l’armée pour libérer une prisonnière et tagué sur les murs des slogans contre Tsahal, je n’ai pas cherché à comprendre. Mon sang a fait plus d’un tour. Il s’est mis à bouillir. Me poussant à me lancer. Et au diable la retenue.

La légende prête aux femmes une attirance pour l’uniforme. Moi, je l’ai toujours craint. Et les armes qui vont avec. Sauf…

Sauf ici. En Israël. Ici, quand je croise des hommes, des femmes, en arme et uniforme, je n’ai pas envie de courir me terrer dans une cave. Je passe mon chemin. Eux le leur. Et rien. Je ne ressens rien. Ou peut-être un peu de fierté. Un étrange goût de revanche. Sur le destin. L’adversité.

Ce peuple dont certains espéraient pouvoir venir à bout. Impunément. Ce peuple qui au cours des siècles a appris à se voûter pour ne pas trop sortir du rang, ne pas risquer de provoquer, et pour mieux encaisser les coups et les insultes. Ce peuple s’est redressé. Et sait désormais se défendre. Ces soldats, ces hommes et femmes, ne sont pas là pour me rafler, mais pour me protéger. Et je leur suis reconnaissante, chaque jour, à chaque instant, de m’avoir libérée du poids de la honte, de la peur.

Aussi, lorsque cette armée, ce roc, à qui les Juifs doivent leur survie ici et dans le monde, oui, partout et aujourd’hui, lorsque ce roc est attaqué, par nous-mêmes, de l’intérieur, par des porteurs d’une kipa qu’ils ne méritent pas, ou par des réservistes qui refusent de servir pour des raisons politiques, j’ai envie de hurler que Non, Tsahal, on n’y touche pas. Basta !

© Judith Bat-Or

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