La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -20-

Judith Bat-Or

Le Livre est de retour

Vendredi, la pluie m’a tirée aux aurores de mes rêves. Quel tapage ! Rien à voir avec les claquettes sur le trottoir de Nougaro. Elle mitraillait sans pitié ma pergola de ses gouttes. Elle sonnait impatiente. Impossible de lui résister. Je me suis levée décidée à tirer le meilleur parti du temps gagné sur le sommeil. Direction la salle de sport. What else ? Le devoir avant tout.

En sortant de chez moi, j’ai été saisie par l’odeur dense, nourricière, de terre mouillée, odeur de la nature qui se rappelle à nous même au cœur de la ville. La nature, plus forte que nous, plus forte que tout. Plus forte que mes efforts, que ma discipline de fer, et mon devoir avant tout. J’ai donc fait un détour. Pour changer. Le plaisir d’abord. 

J’ai souri aux chats alignés devant la porte d’une mémé. Ils attendaient gentiment qu’elle leur ouvre et serve à manger. Ils n’ont pas souri en retour, ni détalé non plus, quand je suis passée près d’eux. Ils se sont contentés de m’ignorer, félinement. J’ai grimpé les escaliers. J’adore les escaliers en ville, ils lui donnent un air cozy. En haut, le fidèle d’une synagogue cherchait quelqu’un pour le minyan. Appelant l’un, puis l’autre. Lui aussi m’a ignorée. Mâlement ignorée. J’ai encaissé. Ne l’ai pas pris personnellement. Pour certains, c’est toute mon engeance qui compte pour du beurre – sauf leur maman, qui est une sainte ; surtout qu’elle cuisine bien. Je le sais, ne l’accepte pas, mais il faut choisir ses combats.

J’ai poursuivi mon chemin et me suis arrêtée dans un café du quartier. “Une pause, avant de démarrer, bravo !” Ça, c’était mon esprit flingueur dont le seul but dans la vie est de me la pourrir à coups de mauvaise conscience. Je l’ai ignoré à mon tour, petite revanche sur le destin, en buvant mon capuccino, à la mode israélienne, avec peu de café et beaucoup de crème, comme je l’aime.

À mesure que la terrasse se peuplait de ses habitués, l’air s’est rempli de cette question, lancée immédiatement après les salutations : “Non, mais c’est quoi cette pluie !”, sur un ton amusé, inquiet, ou revendicatif selon. J’avoue. À Jérusalem, en juin, il n’est pas censé pleuvoir. 

Cette soudaine prise de conscience a déclenché l’alarme, le bouton rouge qui clignote, la sirène assourdissante, une salve de pensées délétères dans ma tête. Fusant. Tourbillonnant. Se croisant. Se chevauchant. Bondissant. Du réchauffement climatique à l’exode vers d’autres planètes – sans se retourner surtout, pour ne pas être changé aussitôt en statue de sel comme la pauvre femme de Lot, qui s’appelle… inutile de chercher, “la femme de Lot” ne s’appelle pas. Femme sans nom pour l’éternité. Je vous ai dit que, pour certains, nous comptons pour du beurre –, via la maltraitance animale, l’arrogance de la race humaine, les manipulations, génétiques, électorales, la tendance végane, le wokisme, les dangers de l’intolérance… 

Devant la gravité de la situation, je n’avais qu’un recours : mon tapis de course préféré. Quand j’ai enfoncé, sans douceur, les écouteurs dans mes oreilles, Galei Tsahal était à l’heure de la culture. Et à l’honneur, le livre, à l’occasion de la semaine qui lui serait dédiée, à partir de mercredi, avec débats, rencontres, signatures, à Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa… Mes antennes se sont dressées. La pente que je montais à près de sept kilomètres/heure m’a semblé tellement douce quand j’ai entendu que le livre, promis par les spécialistes à une mort rapide, connaît un formidable essor. Qu’on vend plus de livres aujourd’hui qu’avant la Covid 19. Et pas qu’un peu : 15 % de plus. Et pas seulement en Israël. Et pas seulement les best-sellers. Voilà ! Le livre est de retour. Rien n’est encore perdu. Tout est encore possible. Pareil pour la planète. Les sinistres prédictions resteront de la science-fiction si, au lieu de rédiger des oraisons funèbres, nous œuvrons à relever les défis qui se présentent.

© Judith Bat-Or

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