“Graver la Torah”. Une exposition d’Annette Bursztein

Genèse Nuage bleu. Photo © Yosef Eyal

L’Institut français de Tel Aviv accueille sa deuxième exposition de l’année 2023 avec “Graver la Torah” présentée par l’artiste française Annette Bursztein. Cette exposition propose huit œuvres originales.

Avec Georges Diener, Conseiller de coopération et d’action culturelle,
Directeur de l’Institut français d’Israël.
© Instagram de l’Institut français

Genèse. Photo © Yosef Eyal

Rencontre avec Annette Bursztein

Lors du vernissage de sa nouvelle exposition qui s’est tenu le vendredi 21 avril 2023, je lui ai confié mon émotion de voir ces gravures des textes sacrés accrochées aux murs immaculés de l’Espace d’accueil de l’Institut français de Tel Aviv. Après avoir été exposés à Montreuil c’est un peu comme “s’ils revenaient à la source”…

Nous convenons de nous revoir et en dépit de la pluie de roquettes qui s’est abattue sur Israël, nous décidons de maintenir cet entretien que nous avons choisi d’avoir au cœur même de Tel Aviv, Boulevard Rothschild.  On se “pose”  dans une salle de classe de l’Institut Français. Cette ancienne psychologue qui s’initie depuis plus de 10 ans à la gravure dans l’atelier d’Annie Savin me confie qu’elle est familière des salles de classes : elle a été institutrice! 

Annette Bursztein est comme ses gravures, profonde et délicate, une pudeur (“tsniout”) mêlée d’émotions, secrète et lumineuse, une personnalité tout en transparence qui reste parfois indéchiffrable. Elle a la grâce des belles âmes: “le Texte” est entre de bonnes mains…

Lisa Mamou : Pourquoi “Graver la Torah” ? Est-ce un clin d’œil aux “Tables de la loi “?

Annette Bursztein: En fait au départ cela s’est fait de façon très pragmatique, j’ai commencé à écrire le texte sur du papier mais c’était très compliqué sur le plan technique car je voulais qu’on puisse lire le texte à l’envers comme dans un miroir ;  j’ai donc pensé à utiliser des papiers fins que je lavais mais à chaque fois ils se déchiraient et il fallait tout réécrire, c’était un énorme travail. Une amie très chère, Sylvie B., m’a alors dit : “Viens à la gravure” ! C’est après, quand j’ai commencé à creuser et graver, que j’ai fait le lien avec  “la loi” qui fixe, qui limite : Ce qui n’était pas une intention au départ m’est devenu évident. 

L.M: Le texte est intégralement retranscrit dans sa langue d’origine en lettres latines mais comme nous l’avons évoqué, la lecture se fait  par retournement : là aussi peut-on faire le lien avec le fait que l’hébreu se lit de droite à gauche ?

A.B: Un peu avant l’adolescence je m’entraînais  à écrire de droite à gauche en miroir, c’est un entrainement assez facile. Je ne savais pas encore l’hébreu. Dans la gravure l’écriture se fait de gauche à droite et par retournement on le voit de droite à gauche. Donc ce n’était pas voulu mais c’est toujours dans l’après coup que je fais le lien; je me suis dit : Tiens ! Je suis dans le bon sens ! 

L.M : Vous avez commencé par des œuvres plus abstraites ; comment êtes-vous passée au Texte ? 

A.B: J’ai suivi un cours dans un centre communautaire parisien et la professeure, Ayelet Lilti, m’a fait découvrir des textes hébreux de la littérature contemporaine et là je suis tombée amoureuse des textes. J’ai commencé à écrire des textes, à peindre dessus, enlever, déchirer et puis je me suis demandé : finalement, après tout cela, où apparaît le texte?!  En fait, il y a toujours eu quelque chose autour du graphisme. L’écriture à la manière du copiste a toujours été importante, l’écriture dans le sens “former des lettres”; j’ai été un temps institutrice de C.P et je me suis attachée à ce que mes élèves arrivent tous à former parfaitement chaque lettre !

LM: Sachant que dans les Textes sacrés il suffit d’une lettre erronée pour devoir tout recommencer, vous étiez prédestinée à l’écriture de la Torah ! En reparlant de graphisme dans vos gravures, les lettres sont attachées, quand il s’agit de la Torah on peut y voir aussi la symbolique de la continuité, l’intemporalité du texte, le lien indéfectible du peuple juif et de sa loi. Est-ce qu’ici aussi on peut dire qu’on est dans “l’après coup”, ou était-ce intentionnel ?

A.B: En fait en sortant d’une exposition sur Qumran à la BNF, j’ai eu l’idée d’écrire  toutes les lettres attachées comme sur les morceaux de rouleaux que je venais de découvrir; c’était volontaire car c’est pour moi l’illustration de la parole, c’est-à-dire que même si on prend sa respiration, la parole est continue, c’est un flux. 

L.M: Quel a été votre premier contact avec le texte biblique?

A.B: En 1967 en Israël, juste après la guerre des six jours on m’a offert une Bible dans la traduction du rabbinat, ce fut mon premier contact avec  le Texte. Je commence à lire et ça me tombe des mains: la traduction n’est pas réussie, d’ailleurs je ne pense pas qu’il  y ait une traduction qui puisse rendre ce rythme-là, cette contraction qui existe dans le texte original : en hébreu, en trois mots vous avez l’émotion! J’ai mis cette Bible de côté et des années après, lors d’une exposition à la Fondation Custodia à Paris, un dessin de Rembrandt intitulé “Joseph et la femme de Potiphar” m’a arrêtée : il me semblait , à tort, que le nom était féminin et qu’il y avait une erreur, je me suis dit qu’il fallait que je vérifie le texte ; ça a été ma deuxième approche ; toutes ces années sont restées comme une interrogation et je dirais presque une terre qui m’était interdite pour des raisons familiales ;  il m’a fallu du temps pour pouvoir me confronter au texte sans devoir rendre des comptes ; je ne pouvais pas m’en saisir, je ne pouvais pas l’incorporer.

Exode. Photo © Yosef Eyal
Lévithique 3. Photo © Yosef Eyal
Nombres. Photo © Yosef Eyal


LM: Quelques-unes des gravures sont dans des tonalités neutres et d’autres magnifiquement colorées : parlez-nous de votre rapport à la couleur.

A.B: La couleur c’est assez nouveau pour moi,  j’ai déjà fait beaucoup de choses, des grands collages mais très peu de couleur, tout était très noir, très sombre. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié de voir les couleurs de ces gravures ressortir sur les murs blancs de l’Institut Français de Tel Aviv grâce à la lumière particulière du lieu.

LM: Y a-t-il une palette de couleurs d’un peintre à laquelle vous êtes particulièrement sensible?
A.B: 
Pas particulièrement et puis je ne saurais pas forcément les reproduire. Il y a quelque chose dans “Les coulures” du peintre Olivier Debré dont j’aurais voulu me rapprocher mais la technique de la gravure limite, on ne peut pas faire d’épaisseurs sinon cela ne s’imprime pas ; en même temps j’aime le côté très plat de l’encre même si je n’arrive pas à obtenir la transparence recherchée.

Joseph reconnu par ses frères. Photo © Yosef Eyal


LM: Comment avez-vous déterminé les couleurs à appliquer selon les gravures ?

A.B: C’est un travail vraiment séparé, le texte et la couleur. Je grave et c’est après, selon l’inspiration, que je peux y ajouter une couleur ; autant la forme est décidée en amont comme dans a Genèse où je voulais quelque chose qui coule, qui ruisselle, autant la couleur, elle, s’impose à moi après des déambulations dans Paris .

LM: Envisagez-vous d’utiliser cette technique pour d’autres sortes de textes à l’avenir, des textes littéraires contemporains par exemple ? 

A.B: Non! Je n’en vois pas l’intérêt ! Ces textes de la Torah sont exceptionnels, je suis tombée dedans et je n’imaginais pas trouver tout cela! La beauté du texte, il faut vraiment apprendre l’hébreu pour la comprendre ! Je me suis fixé, de façon très rigide je dirais, l’idée d’avancer pas à pas dans la Bible même quand les textes sont fastidieux, comme “Les Rois”. J’ai déjà une idée de ce que je veux faire sur “Isaïe” mais je ne peux pas m’autoriser à sauter un livre. Alors je continue et je ne sais pas jusqu’où je pourrai aller car la Bible c’est long! Quand je suis allée à  la gravure, j’ai compris que je pouvais graver dans une plaque de métal qui devenait alors un support fixe que je pouvais réutiliser, mais j’ai compris également que graver c’est un travail physique, laborieux et donc il faut que le texte le mérite.

Presqu’à la fin de notre entretien, il y a une alerte sur Tel Aviv Sud; nous nous quittons, elle prend le bus, je rentre à pied, j’ai enregistré notre conversation, j’ai hâte de la réécouter, cette artiste m’émeut et l’importance de ses œuvres me semble encore plus évidente un jour comme celui-ci en Israël…

© Lisa Mamou

L’encrage et la mise sous presse ont été réalisés à l’atelier Moret à Paris par Matthieu Perramant.


Sur Annette Bursztein 

Photo © Instagram de l’Institut français

Parallèlement à sa profession de psychologue scolaire en Seine-Saint-Denis, Annette Bursztein a longtemps suivi l’enseignement de l’École d’Art Duperré à Paris où elle s’est successivement exercée au dessin et au modelage. À la suite de la découverte ( tardive  selon ses propres mots) du texte biblique en hébreu, elle change d’orientation et s’initie à la gravure avec pour objectif de graver les cinq livres de la Torah puis, bientôt, le Tanakh tout entier (“Ancien Testament”). 


Informations pratiques

Photo © Yosef Eyal

Graver la Torah“, Une exposition d’Annette Bursztein

Du vendredi 21 avril au 26 mai 2023

Espace d’accueil de l’Institut français de Tel Aviv | 7 bd. Rothschild

Du dimanche au jeudi : 9h00-18h00

Vendredi : 9h00-12h30


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