Michel Dray. Moyen-Orient: Les jeux sont faits, Rien ne va plus

Les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite étaient rompues depuis sept ans.© Chinese Foreign Ministry / Andalou Agency via AFP

L’accord entre Ryad et Téhéran signé le 12 mars dernier bouleverse considérablement la donne dans une région qui détient les plus grandes réserves de pétrole et de gaz de la planète, avec comme conséquence majeure une modification profonde de l’équilibre mondial. Cet accord est un succès pour la Chine, un os en travers de Washington, une aubaine pour Téhéran et une victoire pour Ryad. Quant à Israël, dans tout cet enchevêtrement,  il risque bien d’en faire les frais. 

Embrassons-nous, Folleville ! 

Après sept ans de rupture diplomatique, l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous la houlette de Pékin se sont engagés dans une voie inattendue. Cette réconciliation fondée uniquement sur des intérêts éco-stratégiques a toutes les chances d’être assez solide pour être prise au sérieux. 

La Chine, principal acheteur de pétrole de l’Iran, entre de plain-pied dans une région jusque-là dévolue aux Etats-Unis. 

Pour Téhéran, le succès diplomatique est d’envergure. En se rapprochant de l’Arabie Saoudite ce sont les plus importantes réserves de gaz et de pétrole qui sont sous contrôle, ce qui aura des conséquences sur le cours de l’énergie. 

L’Arabie Saoudite quant à elle n’est pas perdante non plus. Outre le fait que cet accord permettra un règlement rapide du conflit au Yémen qui oppose Iran et Arabie saoudite depuis toujours, Mohamed Ben Salmane, le prince héritier, règle ses comptes avec Biden. Il n’a pas digéré la conférence de presse du patron de la Maison Blanche jurant de mettre Ryad au ban des nations, suite au meurtre du journaliste saoudien et détracteur de la famille royale, Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018 au consulat saoudien à Istanbul. 

L’Iran, bousculée à l’intérieur, ne peut plus se permettre d’être un électron libre

 L’Iran est une menace directe à l’encontre d’Israël. Cependant il y a jusqu’à ce jour deux écoles géopolitiques. L’une disant que l’Iran et Israël resteront les meilleurs ennemis du monde, Téhéran ayant besoin de focaliser et fanatiser sa population sur un bouc émissaire : Israël. C’est d’ailleurs vrai dans la grande majorité des pays arabes où en focalisant les populations sur le conflit israélo-palestinien, on les détourne des crises intérieures. La seconde école serait celle d’un inévitable affrontement entre Téhéran et Jérusalem. Israël a les moyens d’assurer une attaque préventive sur les installations de préparation du nucléaire iranien. Les deux écoles se valent en plausibilité. 

En ce qui concerne le détroit d’Ormuz, les Iraniens jouent depuis plusieurs années sur sa fermeture éventuelle en cas de conflit militaire avec Israël, privant ainsi l’Occident de 20% de réserves pétrolières. L’Europe, qui serait la première affectée par cette mesure, ne prendra jamais le risque d’un soutien franc et massif à l’État hébreu, ce qui encouragera les réseaux islamistes déjà très fortement implantés dans l’UE.   

L’accord entre Ryad et Téhéran met-il en danger les Accords d’Abraham ?

Israël pris en étau entre les velléités iraniennes et la méfiance de Washington à l’égard de Netanyahou se trouve devant l’obligation de faire d’importants choix stratégiques, sur lesquels toute la population israélienne,  consciente du danger iranien, fait bloc.

Vu de Washington, les Accords d’Abraham ne sont pas remis en question. Mais le staff de politique étrangère de Biden, élevé au lait démocrate, n’a jamais digéré que ces Accords ont été le fait de Donald Trump, alors que ceux de Camp David, initiés par le démocrate Clinton, pourrissent depuis longtemps dans les oubliettes de l’histoire. Trump n’est pas spécialement un homme qui se parfume à l’eau de rose. Il a négocié ces Accords avec tout le pragmatisme d’un homme d’affaires rompu aux vertus du donnant-donnant. Depuis sa signature les investissements n’ont fait que cimenter un état de fait propice au développement général de la région. Sur le plan géo-stratégique, les Accords d’Abraham resteront au travers de la gorge des mollahs mais il y a fort à parier que les relations existantes entre les Émirats et l’Iran ne seront pas, pour le moment, remises en cause. 

Par ailleurs, rappelons que ces Accords intéressent également le Maghreb. Je ne crois pas que le Maroc entend les remettre en question même si le sujet qui nous intéresse touche le royaume chérifien par ricochet et non directement. Ces Accords ont permis au Maroc d’affirmer sa position de puissance stable face à une Algérie sous l’emprise de la dictature, économiquement contrôlée de plus en plus par les Chinois et une Tunisie encore très instable qui peine à trouver sa voie. 

La Chine s’est réveillée et ne veut plus se rendormir 

Ce n’est pas un hasard si l’accord entre Ryad et Téhéran a été signé à Pékin. La Chine, déjà forte d’un traité commercial d’importance avec l’Iran, portant notamment sur les secteurs technologiques, ajoute à son actif l’assurance de demeurer le principal client de l’Iran pour ce qui concerne le gaz et le pétrole. Ainsi, le régime des mollahs a toutes les chances de se maintenir face à un Occident prêt à fermer les yeux sur ses exactions en échange de gaz et de pétrole, vendu à Pékin, lequel le revendra légalement à l’Europe.

Mais c’est surtout une grande avancée diplomatique pour l’empire du Milieu, en s’implantant dans une région traditionnellement dévolue à l’Oncle Sam.  Cet accord confirme que,  si les Etats-Unis sont militairement plus forts que les Chinois, Pékin est devenu depuis quelques années le leader mondial sur le plan commercial. Cette guerre froide qui oppose Pékin et Washington peut dégénérer en guerre chaude, mais dans l’état actuel des choses elle a toutes les chances de se cantonner à une implacable  guerre commerciale.   

Enfin, face à Moscou, fragilisé par une guerre en Ukraine qui n’en finit pas, Pékin joue le rôle essentiel de roue de secours en se plaçant au centre d’un Axe qu’il contrôle parfaitement d’ailleurs : l’axe Moscou-Pékin-Téhéran.  

Une Amérique qui a le blues 

Le curseur des super-puissances, depuis l’effondrement de l’ex-URSS, ne cesse de se déplacer de l’Occident vers l’Orient. L’Empire Américain fait figure de géant aux pieds d’argile. Les Américains se sont repliés sur eux-mêmes, ce qui se traduit par une politique ultra-protectionniste. Ainsi, la société américaine a évolué dans le sens de la peur de l’autre(1). Cependant, Washington n’a pas du tout envie de perdre la main et de se laisser voler ses chasses gardées. Pour la Maison Blanche, le monde reste son terrain de jeu, à la différence que les USA n’envoient plus leurs GI mais uniquement des armes à tel ou tel belligérant. 

35 milliards de $, c’est le montant de l’aide accordée à Taïwan. Près de 15 milliards de $ à l’Ukraine. Cette manne financière qui, par ricochet, permet de booster l’économie américaine, est dans l’état actuel des choses le seul véritable rempart géostratégique contre le géant de granit qu’est la Chine sur le plan commercial. Et dans un monde où les échanges iront vers une mondialisation de plus en plus forte, parions qu’elle ne jouera pas à la faveur des Américains. 

L’Union Européenne : une puissance virtuelle ?

Et l’Europe dans tout ça ? La question aurait quelque intérêt si on la posait autrement : “Et les pays européens dans tout ça ?” Car l’UE offre une réalité navrante. Bruxelles, siège des Conseils d’Administration Maastrichtiens et des lobbies ultra-libéraux, est aussi (et ce n’est pas un hasard) le siège de l’OTAN. Avant la guerre russo-ukrainienne, l’OTAN était quasiment en mort cérébrale, ce qui laissait entendre que l’influence des États-Unis avait toutes les chances de battre de l’aile en Europe. Mais le conflit en Ukraine a relancé la machine. Aujourd’hui les USA ont retrouvé grâce à l’aide militaire massive leur place en Europe.  

Cela n’est pas sans conséquence sur l’accord Ryad-Téhéran. Par ricochet l’UE se trouve prise en étau entre une dépendance énergétique qui, compte tenu de l’embargo sur le gaz russe imposé par Biden, ira dans un rapprochement avec les pétromonarchies construites sur un islam très rigoriste, et de l’autre côté une impossibilité pour Bruxelles de ne pas prendre ses distances avec l’Oncle Sam, notamment par le jeu des pièces détachées(2).

L’Europe est passée à côté de son destin. En laissant peu à peu Bruxelles grignoter les droits régaliens des États, comme l’armée par exemple, les pays européens se sont trouvés dans l’incapacité de mettre en place une sorte de Traité des Nations Européennes. L’OTAN demeure présent et Washington qui perd du terrain au Moyen Orient n’a guère envie de laisser l’Europe aux Européens. 

L’Europe s’est énormément fragilisée avec le conflit russo-ukrainien au point qu’elle ne voit pas que l’islamisme est en train de gagner du terrain. Car si  Zelensky a tout intérêt à internationaliser le conflit, Moscou, qui reste l’agresseur il ne faut pas l’oublier, a sans doute raison de se méfier de l’OTAN.(3)

Conclusion : nous dansons tous sur un volcan

Voilà quelques années déjà, une personne vivant à Zürich et très bien informée du fait de ses voyages aux quatre coins du monde m’a confié que la véritable poudrière ne se situe pas au Moyen-Orient mais en mer de Chine. Perspicace ou particulièrement bien renseigné, mon ami a tapé dans le mille. Entre Taïwan que les États-Unis ne lâcheront jamais, parce que c’est tout simplement leur intérêt, et le Japon qui se réarme, il y a la Corée du Nord qui se prépare elle aussi à entrer dans le jeu. 

Autant dire que la prochaine décennie s’ouvre sur de bien sombres augures.  

© Michel Dray

NOTES

  • 1. On note une très forte augmentation de l’antisémitisme aux Etats-Unis particulièrement depuis 2018. (Massacre de onze personnes dans une synagogue de Pittsburgh en 2018, cinq personnes tuées dans une épicerie cacher du New Jersey. En 2022, prise d’otage de fidèles d’une synagogue du Texas.) 
  • 2. Il faut savoir que, quand un pays envoie des armes à un autre pays, il s’arrange toujours pour que les pièces détachées (en cas de réparation du matériel) ne puissent être fournies par un autre Etat, une manière très efficace de maintenir une alliance…
  • 3. Il avait été prévu, au moment de la dissolution du Pacte de Varsovie, que l’OTAN serait aussi dissoute. Les Américains l’avait promis mais n’ont jamais tenu cette promesse (Vladimir Fédorovski “Le roman vrai de Gorbatchev”. Flammarion. 2019.

Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenneMichel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée. Il fut en 2021 Président du Jury du “Festival International de Cinéma et Mémoire commune” au Maroc. 


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