Richard Prasquier. “Varlam”. Un peu plus qu’un petit chat…

Comment ne pas penser à Israël, quand l’Iran vient de se renforcer sur la scène internationale entrant dans le seuil nucléaire et signant avec l’Arabie Saoudite un accord  parrainé par la Chine? Dans cette situation, il est invraisemblable, insupportable et quasiment suicidaire d’accentuer les clivages pour pousser des agendas personnels sectoriels ou même sectaires qui n’ont d’autre effet que d’affaiblir le pays.

Mais l’article du Président du Crif, Yonathan Arfi, résume si bien ce que je pense que je n’ai rien y ajouter. J’engage vos auditeurs à le lire et à le méditer.

Et, du coup, je me permets une diversion pour écrire sur le petit chat Varlam. Il a pour maitre Michaël Prazan, dont chacun connait les remarquables documentaires.  Trouvé moribond dans les étendues glaciales de la Yakoutie sibérienne pendant le tournage  sur les Goulags fait  avec l’historienne Assia Kovriguina, Varlam  donne son nom au livre que j’ai lu sur les conseils de mon amie Eliane Klein, où Prazan analyse  avec sensibilité et précision les liens qui se tissent entre un homme qui n’aime pas les chats et un chat indifférent aux hommes. Varlam est la métaphore d’une survie dans des conditions improbables, là où une température de -50° est banale et -30° est considérée comme tiède et, le livre permet mieux que le film de faire sentir ce froid qui est le premier facteur de déshumanisation, comme l’a écrit Varlam Chalamov, à qui le petit chat doit son nom

Varlam Chalamov, l’auteur, entre autres, des Récits de la Kolyma, est reconnu aujourd’hui comme un immense écrivain, alors que longtemps  sa réputation a été étouffée par celle de Soljenitsine. Chalamov a survécu comme «zek», c’est le nom des prisonniers du Goulag, aux pires conditions pendant 14 ans dans la Kolyma, cette région presque inhabitée  de l’extrême est de la Sibérie. Une fois libéré, cet homme inconnu de tous correspondait de poète à poète avec  Boris Pasternak, futur Prix Nobel et recevait dans un bureau de poste perdu au fond de la Sibérie, le manuscrit du Docteur Jivago…

Le livre de Michael Prazan est une plongée dans le Goulag, comme l’avait été son documentaire. Grâce à la ténacité des militants de l’association Memorial, fermée  en décembre 2021 , au témoignage des survivants et au travail des historiens, on connait aujourd’hui l’ampleur de ce crime majeur que fut le système des goulags, bagne dans des conditions effroyables, qui a fonctionné massivement pendant une trentaine d’années et qui, associé aux exécutions de masse, notamment au cours de la grande purge, aux déportations de population et aux famines organisées, comme le Holodomor en Ukraine, a fait de Staline un des plus grands assassins de l’histoire. Les goulags sont l’extension, multipliée par mille, du système de déportations des indésirables que Pierre le Grand avait institué en Russie, que Dostoievski a décrit dans les Souvenirs de la Maison des Morts, que Lenine, qui en avait lui-même subi une version « soft » dans sa jeunesse,  a considérablement durci et que Staline a poussé au paroxysme.

Le goulag n’est pas, Prazan le rappelle, un processus d’extermination pour éradiquer une humanité dite inférieure, comme il en fut des Juifs et des Tsiganes pendant la Shoah.  L’esclavage dans les goulags résulte de choix économiques qui sont la sinistre caricature  de la déshumanisation que les marxistes reprochaient aux capitalistes ou impérialistes: il s’agissait d’exploiter le travail des hommes pour en tirer le maximum de bénéfices, dans des régions au riche potentiel minier mais dont les conditions  décourageaient le volontariat. La mort des travailleurs n’était  qu’un épiphénomène tant que la force de travail pouvait être renouvelée. 

On trouve facilement des justifications idéologiques: l’intérêt supérieur du prolétariat soviétique, fer de lance de la révolution mondiale, était un argument tellement efficace qu’on a vu des zeks libérés redevenir des militants communistes acharnés  ou des victimes crier «Vive Staline!» avant d’être fusillées sur ses ordres.

Beaucoup de Russes considèrent qu’il ne sert à rien de culpabiliser sur l’histoire  et  on se doute que ce n’est pas une priorité du régime poutinien. Je  pense que c’est un devoir moral, mais aussi un besoin pour la survie de notre espèce, que d’analyser  sans fioritures et fausses excuses ce que l’homme a pu faire à l’autre homme, en espérant que cela rende plus difficiles les mensonges pour justifier une récidive . Mais je suis moins optimiste que dans le passé sur les vertus préventives de la pédagogie mémorielle.

Il faut aussi se demander pourquoi les crimes staliniens ont bénéficié de la relativisation et de l’esquive, et pas seulement dans l’immédiate après-guerre, quand la gloire de Staline était à son comble, mais sa paranoia aussi. 

Curieusement, c’est un universitaire d’Israël, alors la Palestine mandataire, qui fut le premier à écrire sur les Goulags. Julius Margolin avait rendu visite à sa mère en Pologne en septembre 1939. Bloqué par la guerre, réfugié en URSS  il fut envoyé au Goulag jusqu’en 1945.  A son retour en Palestine, il écrivit le Voyage au pays des Ze-Ka, mais ce livre fut longtemps refusé de publication…

Pour finir, une constatation d’évidence: des pays où on enferme les prisonniers politiques, avec ou sans travail forcé et parfois dans  des conditions analogues à celles du Goulag, il en existe  plusieurs sur la planète: je citerai la Chine, l’Iran, la Russie, la Corée du Nord, la Birmanie, mais ce n’est pas exhaustif…

Aucun de ces pays n’est une démocratie. Et cela, c’est un des arguments qui me poussent à être furieusement démocrate…

© Richard Prasquier

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