Gérard Kleczewski. “Un couple”, d’Eliette Abécassis  

Alice et Jules. Deux âmes mêlées dont le couple dure au-delà de la norme. 
Pourtant Alice n’est plus au pays des merveilles depuis longtemps avec son Jules. 
Jules qui a écrit il y a longtemps une lettre à Alice, au tout début de leur amour. Et si cette lettre a jauni, elle n’a pas été détruite malgré les tourments de la vie à deux. Et à quatre, car Jules et Alice ont eu deux enfants… 

Eliette Abécassis n’en est pas à ses débuts dans l’exploration attentive et passionnée des rapports humains. Ici, il est question de l’aventure chaotique d’un couple qui a résisté à tous les tsunamis, à commencer par celui de l’infidélité. Même s’il a failli s’évanouir dix fois. Disparaitre cent fois… 

Pour cette exploration, l’auteure adopte une construction simple mais habile : la marche arrière, le regard accroché au rétroviseur. Le livre démarre en mai 2022 et, par sauts successifs, remonte le temps… Août 2018… janvier 2008… Mai 2002. Et puis le 11 septembre 2001 où l’écroulement d’un monde, qui s’affiche sur les écrans du monde entier, semble vouloir se synchroniser avec l’écroulement de leur monde. Retour ensuite au 20ème siècle par l’année 1998 avant de nouveaux sauts successifs jusqu’à la conclusion, en 1955… 

En remontant ainsi le cours de cette relation amoureuse, étape par étape, Eliette Abécassis nous parle d’une histoire à ce point singulière qu’elle en devient universelle. Une histoire passée au scanner des rêves – ceux réalisées et ceux abandonnées ou trahis -, des désirs violents ou émoussés, des regrets pas encore transformés en remords, des infidélités amoureuses et des coups de canif dans le contrat d’amour initial, de la vieillesse et de la routine (j’ai pensé à “Amour” de Haneke), de la jalousie confrontée aux non-dits et aux trop-dits. 
Une confusion des sentiments que Zweig n’aurait pas reniée !  

Chaque étape de ce couple, dépeint avec acuité et un souci du détail digne d’un entomologiste ou d’un archéologue (on est pourtant très loin du Qumran de cette même auteure), rencontre chacun des épisodes de l’histoire contemporaine, de Mai 68 à la chute des tours jumelles de New-York, de la guerre d’Algérie à l’arrivée au pouvoir des Socialistes au début des années 80, et bien d’autres évènements marquants encore.   

La question essentielle qui sous-tend tout le roman est le suivant : pourquoi et comment un couple, tel que celui formé par Alice et Jules (et l’amant qui s’appelle Paul, pas Jim), a-t-il pu résister à l’usure et aux morsures du temps ? Aux incompréhensions tenaces et aux vécus parallèles de situations pourtant communes ? Aux limites du désir ? A celles de la mémoire qui, en s’affaiblissant, emporte avec elle les petits et les grands bonheurs, les malheurs aussi ?  

Le livre aborde ce sujet sans s’autoriser une quelconque faiblesse, sans s’interdire d’imaginer que l’amour pérenne puisse être une abstraction quand bien même, quand il existe, il peut représenter un absolu. Un remède sans doute à notre époque cynique et désabusée.  

J’ai beaucoup aimé « Un couple ». Par sa construction d’abord. Ensuite par l’écriture pointilliste et la qualité des dialogues d’Eliette Abécassis qui mettent le fer dans la plaie. Par la puissance de cet amour enfin, qui résiste au temps et aux tourments. Si avec le temps va tout s’en va, comme le chantait Ferré, nul doute qu’après avoir refermé ce roman vous n’oublierez pas de sitôt Alice et Jules…     

Gérard KLECZEWSKI

Des miettes d’Eliette

Il serait abusif, cher lecteur, que je vous parle en détail du parcours d’Eliette Abécassis, tant il est à la fois connu et foisonnant. On rappellera juste que cette native de Strasbourg, au sein d’une famille sépharade originaire du Maroc, a un talent de plume qui se confirme avec chacune de ses œuvres. 
On peut aussi évoquer son érudition et ses questionnements sur le monde tel qu’il va, dans la lignée de son père Armand, philosophe et penseur du Judaïsme, que nous aimons beaucoup, et de sa mère Janine, professeur spécialiste de la psychologie de l’enfant, que nous n’aimons pas moins. 

Elle a écrit tant de beaux livres Eliette, partagé avec nous tant d’histoires, autobiographiques ou pas, depuis son polar métaphysique au succès planétaire “Qumran”, de “La Répudiée” à “Mon père”, en passant par “Clandestin”, “Un heureux événement” ou “Le Corset invisible” (avec Caroline Bongrand) ! 
Et puis, parmi d’autres, citons aussi “Le Livre des passeurs” avec Armand Abécassis, Sépharade, “Une affaire conjugale” (déjà le thème du couple en crise) et encore “Un secret du docteur Freud”, “Le Maître du Talmud”, “Nos rendez-vous” et, il y a peu, “La Transmission”. 

On n’oublie pas non plus qu’en 2018, elle a publié “Bébés à vendre”, une critique au bazooka mais argumentée de la GPA qu’elle dénonce, au même titre que Sylviane Agacinski, comme la marchandisation des corps des femmes. Je n’oublie pas non plus qu’elle a travaillé au cinéma, en particulier comme scénariste d’Amos Gitaï pour “Kadosh” ou avec Rémi Bezançon pour l’adaptation d’”Un heureux évènement”. 

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6 Comments

  1. Dans certains couples, la magie existe ad vitam æternam. La recette : le coup de magie, le Je ne sais quoi miraculeux : l’amour véritable ne se décrète pas. Il est ou il n’est pas. Mais dans la grande majorité des couples on qualifie d’amour ce qui n’en est pas et des les premiers instants ce couple est condamné à la rupture ou à l’ennui (grande majorité des cas probablement).

    • c’est tellement vrai Mr Kinski, parfois certains couples donnent l’impression, aprés des années de “vivre ensemble” que tout va merveilleusement bien ; c’est peut-être vrai mais on n’en sait rien car on ne partage pas l’intimité des gens. Le grand amour toute la vie, c’est peu probable . la bonne idée serait elle de se séparer de temps en temps pour mieux se retrouver….

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