Marty Yota. “Si l’étoile perdue du Michelin c’est pas la fin des haricots, tirons-en un enseignement”

Ce matin, la nouvelle qui attire le plus mon attention est la perte de la 3e étoile Michelin de Guy Savoy. À première vue, même si la gastronomie fait partie du patrimoine culturel français, c’est pas très grave si le bon vieux Guy a oublié d’ajouter du poivre dans la vinaigrette – enfin pas de quoi faire les choux gras de la presse. Honnêtement, un chef trois étoiles qui se retrouve rétrogradé, c’est un peu comme quand le premier de la classe avait 17 au lieu de 20 et venait pleurnicher… J’ai du mal à m’identifier. Alors évidemment, je sais que les enjeux sont importants : clientèle prestigieuse internationale, galaxies de restaurants bâtis sur l’endettement bancaire, compétition effrénée. Les choses peuvent même parfois tourner au drame, on se souvient tous de certains évènements tragiques survenus après la perte d’une étoile. 

Bibendum a donc la main lourde quand il juge (je ne fais pas seulement référence à ses bourrelets nuageux). Le Michelin et son guide (suprême) annuel sont devenus une institution dans la gastronomie mondiale. Trois étoiles, c’est la garantie du succès, et surtout l’entrée dans un club prestigieux, réservé à l’élite de la cuisine, les Etchebest of the best. Peu d’industries fonctionnent comme la haute gastronomie, et heureusement !

Il faut reconnaitre qu’ils n’ont pas la vie facile dans les cuisines prestigieuses des grands restaurants : hiérarchie organisée, discipline militaire et deadlines à gogo. Tout doit briller et marcher comme sur des roulettes, sinon c’est la sanction, on perd une étoile. Imaginez si après la finale perdue contre l’Argentine, la Fifa avait retirée une étoile au maillot de l’équipe de France… scandale !

Dans la cuisine cachère les étoiles Michelin on connait mal…

Il est vrai que dans la cuisine cachère les étoiles Michelin on connait mal… ou pas du tout en fait. Les seules trois étoiles qu’on guette parfois sont celles qui nous annoncent la sortie du Shabbat après un long samedi d’été. On est loin des nappes blanches qui n’en finissent pas, des serveurs en gants blancs et autres haricots sur leur lit de coulis de miel d’Aquitaine.

Chez nous c’est plus kemia a volonté (pour un supplément de 7€ bien sûr), serveurs à mi-temps et plats généreux qui frisent le diabète de type 2. Hormis les grilles tarifaires, peu de similitudes donc entre les restaurants étoilés Michelin et les restaurants cachers.

Différents, en effet, mais tous deux homologués par un “certificat” qu’ils se doivent de respecter au quotidien. A la différence près que l’inspecteur cacherout (se prononce “chomer” et non “chômeur”) est là tous les jours alors qu’au Michelin c’est visite surprise pour tout le monde ! Imaginez si nos fameuses tables étoilées devaient embaucher un chomer au quotidien : “Excusez-nous, monsieur, mais pas de Mouton Rothschild aujourd’hui car Menachem est souffrant ; ne vous inquiétez pas, il nous envoie son cousin Mendy… Tout va rentrer dans l’ordre”.

Peut être qu’au final, on n’en n’a pas tellement besoin de ce guide Michelin dans le cacher. Chez nous ce qui compte c’est davantage l’ambiance, les plats traditionnels ou même, les voituriers. Nul besoin de couscous moléculaire ou de gefilte fish déconstruit, nous ce qui nous plait c’est le vrai, le bon, le gras et le sucré.

En parlant du contraste entre la gastronomie et le cacher, une anecdote savoureuse et malheureusement véritable me vient à l’esprit. Il y a une vingtaine d’années, mon père avait organisé un déjeuner de Shabbat en petit comité dans un luxueux hôtel parisien. Trois couples autour de la table, et, Shabbat oblige, les deux ados, dont moi donc. Shabbat toujours, Papa avait demandé au traiteur de préparer un tchoulent, plat typique ashkénaze (“c’est comme une dafina mais sans les œufs, c’est facile”). Le traiteur s’exécuta donc, au détail près qu’il avait nommé sa concoction “Shoulmut”, gravé en lettres d’or sur le menu distribué aux convives.

Âgé de 16 ans si je me souviens bien, j’étais donc assis autour de cette table, maman à ma droite et à ma gauche une charmante dame d’un certain âge à l’époque, ancienne ministre, et fort heureusement elle aussi de confession hébraïque. Politesse oblige, madame la Ministre est servie en premier, suivie peu de temps plus tard de ma chère mère. C’est à ce moment-là que j’entre alors dans un moment de dégoût / panique : une très forte odeur commence à se faire ressentir dans la pièce. De qui s’agit-il ? Maman, la Ministre, moi ??   Nous sommes sur le point de déguster ce fameux shoulmut mais l’odeur devient insoutenable, que faire ? C’est à ce moment-là que je vois mon père bondir, nous indiquant d’arrêter nos cuillères immédiatement : le traiteur n’avait pas que massacré l’orthographe du tchoulent, mais également son contenu.

Shabbat enfin, nous nous sommes contentés des charcuteries que le traiteur avait par miracle laissées sur place. Il y a du chemin à faire pour la cacherout mais c’est vrai que chez nous on se marre bien quand même. 

Bon au final, ce drame de l’étoile perdue du Michelin c’est pas la fin des haricots mais il peut tout de même nous transmettre un enseignement : Ça ne suffit pas d’arriver au top, il faut se donner les moyens d’y rester – belle leçon à méditer ce Shabbat.

© Marty Yota

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