Ypsilantis. Le libéralisme économique – 2/2

L’autorité de l’État engendre oppression et appauvrissement. L’État a tendance à s’investir dans toujours plus de fonctions alors qu’il devrait se contenter d’accompagner les efforts individuels et de laisser les individus libres sauf s’ils s’attaquent à d’autres individus et/ou à leurs biens.

L’État désorganise en s’efforçant d’organiser. Il ne doit en aucun cas se mêler d’économie. Il doit se tenir à l’écart des fonctions de production et de redistribution. Les lois empêchent la libre répartition des richesses et des revenus, d’où les privilèges. En voulant organiser le travail et l’industrie, nous dit Frédéric Bastiat, l’État ne fait qu’organiser l’injustice. Cette considération mériterait un article à part que je me suis promis d’écrire. Par exemple (une remarque qui me semble particulièrement pertinente suite à la pandémie de la Covid-19), l’État n’a pas à sauver les entreprises comme il l’a fait, à commencer par les entreprises dites zombies et qui se sont multipliées au cours de ces dernières années. L’État agit avec l’argent public – l’argent des contribuables – et ne se soucie guère d’efficacité sinon électorale… Ce faisant, il ne fait qu’augmenter le déficit public, une augmentation qui conduit mécaniquement à celle des taxes et des impôts, voire à la création de nouvelles taxes et impôts… Mais par ailleurs, les pouvoirs publics ont le devoir de réprimander les entrepreneurs qui s’enrichissent frauduleusement.

Une réglementation trop lourde du travail porte préjudice au travail. L’État doit assurer la sécurité du travail car elle entre dans sa fonction régalienne de sécurité. Par contre, il n’a pas à fixer le salaire en général, y compris le salaire minimum ; le mécanisme de l’offre et la demande s’en chargera. Pour les économistes libéraux d’alors, l’État doit se limiter à assurer le fonctionnement de services publics bien définis, comme l’enseignement ou la construction et l’entretien de biens collectifs, à moins que des entreprises privées ne le fassent mieux et à un moindre coût. Les économistes libéraux sont unanimement d’accord sur un point qui me préoccupe depuis une vingtaine d’années (et qui me préoccupe chaque jour un peu plus), à savoir le respect de l’équilibre budgétaire afin que le pays (la masse des assujettis au fisc) ait à supporter une dette aussi légère que possible. Lorsqu’elle dépasse un certain niveau, la dette porte préjudice à la croissance économique et empêche l’État de réagir efficacement face à des situations d’urgence. L’État ne doit pas être trop sollicité par les citoyens car, ce faisant, les déficits budgétaires augmentent et la charge retombe sur tous. Souvenons-nous de Frédéric Bastiat et de sa remarque célèbre entre toutes : « L’État, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».

Les libéraux ont des sensibilités très diverses et le libéralisme est, répétons-le, porteur de nombreux rameaux. C’est la question des recettes publiques qui voit le plus de divergences entre les libéraux du XIXe siècle, des libéraux qui ne rejettent pas a priori l’impôt mais qui anticipent à leur manière la fameuse courbe de Laffer dont Wikipédia donne la définition suivante : « La courbe de Laffer est une hypothèse faite dans le cadre de modélisations économiques et développée par des économistes de l’offre, en particulier Arthur Laffer. Elle formalise l’idée que la relation positive entre croissance du taux d’imposition et croissance des recettes de l’État (l’État étant pris ici au sens large, incluant toutes les administrations publiques) s’inverserait lorsque le taux d’imposition deviendrait trop élevé (un seuil à définir) ».

La diversité des libéraux ne les empêche pas de critiquer unanimement et sans réserve les socialistes, à commencer par Karl Marx et Ferdinand Lassalle. Les libéraux s’emploient à démontrer que l’erreur fondamentale du socialisme est de présenter l’État comme un pouvoir providentiel, avec tout un lexique dévoyé et trompeur. Les bons sentiments ne suffisent pas. Selon les libéraux, les socialistes ne font pas de la science (voir les principes de l’économie politique) mais de la dialectique. Exit l’individu et l’intérêt individuel (inhérent à l’homme) au seul profit des représentants de la société.

Les libéraux sont conscients des inégalités auxquelles conduit le libéralisme et, afin de les réduire, ils proposent : 1. L’enseignement pour tous, y compris l’enseignement de l’économie. 2. L’incitation à la charité privée, avec notamment caisses de retraites et de prévoyance, sociétés de secours mutuels, coopératives. Pour les libéraux, l’État ne doit pas s’employer à remédier aux inégalités, un processus qui engendre plus de dépenses publiques, soit plus d’impôts et de dette publique. La pauvreté doit être secourue mais pas automatiquement, car cette manière d’agir est démoralisatrice. Le secours n’est pas dû et la charité n’a pas à être une somme inscrite au budget de l’État.

Le monde, en particulier le monde économique, s’est profondément transformé depuis les premiers économistes libéraux francophones, des questions sont dépassées et d’autres restent d’actualité. La science économique s’est néanmoins imposée dans des pans entiers de la micro-économie et, plus encore, de la macro-économie. L’étude des économistes (dont les travaux se basent sur la philosophie et l’histoire) peut aider à mieux comprendre de nouvelles approches beaucoup plus techniques et mathématiques. L’influence des économistes est considérable, notamment chez les membres de l’École autrichienne d’économie et de l’École de Chicago auxquelles se rattachent tant de noms prestigieux.

Le libéralisme économique et le libéralisme politique ne peuvent être confondus, ils se retrouvent néanmoins dans les mêmes pays et marchent presque toujours main dans la main. Ils ne se séparent qu’exceptionnellement et ponctuellement. L’un et l’autre ont entre autres points communs une volonté de séparer vie économique et vie sociale du pouvoir politique (et religieux). Hormis les libertariens américains, les libéraux jugent que l’État (de droit) est indispensable au fonctionnement de l’économie de marché aussi longtemps qu’il se contente d’intervenir pour protéger le droit des individus afin qu’ils puissent exercer leur liberté. Et si une chose doit se justifier, c’est l’intervention (de l’État) et non la liberté, une donnée – une valeur en soi – qui ne peut souffrir une question dans le genre : « La liberté, pour quoi faire ? »

Les libéraux se sont rarement constitués en partis. Leur doctrine offre par ailleurs un très grand nombre de nuances. Ils s’accordent rarement sur une méthode d’action mais ils se caractérisent par une sensibilité particulière. Et nous touchons probablement un point central, névralgique : être libéral est plus une question de sensibilité que de doctrine. Les libéraux acceptent plus facilement que d’autres la diversité des opinions et des options. Par ailleurs, ils semblent particulièrement aptes au consentement au réel car ils veulent comprendre le réel avant de le changer. Le libéral se tient à égale distance du révolutionnaire socialiste et du conservateur. Il se méfie de cette fièvre qui élabore le futur (du passé faisons table rase) et de cette ferveur qui désigne le passé pour mieux tourner le dos au futur. Le libéral est prudent et s’efforce d’envisager la complexité du réel. Il recherche volontiers le compromis sans pour autant trahir ce qui constitue sa base : la liberté individuelle. Il lui arrive d’être résigné. Sa modération lui porte préjudice, en temps de crise surtout, période propice à l’extension de l’aire de l’État. Sa modestie s’explique en grande partie par son attention au concret, à la complexité donc. Il n’apprécie ni les religieux intransigeants ni cette gauche à caractère prophétique qui semble s’être appropriée les pouvoirs de la religion qu’elle dénonce – qui semble ne l’avoir dénoncée que pour mieux s’approprier ses pouvoirs et ses prétentions. La vision du libéral est plus modérée (parce que plus complexe), plus pragmatique. Le pragmatisme libéral conduit à un certain désenchantement politique et un à scepticisme indulgent envers la nature humaine, bref, rien qui puisse mobiliser les foules… Et à ce propos, je vous invite à écouter et réécouter un homme aussi intelligent qu’attachant, Raymond Aron, dans cette vidéo INA (1974) de moins de trois minutes où cet homme rend sensible avec une ironie douce-amère cette sensibilité particulière à laquelle je viens de faire allusion :

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00019272/raymond-aron-sur-l-etude-du-marxisme

© Olivier Ypsilantis

Né à Paris, Olivier Ypsilantis a suivi des études supérieures d’histoire de l’art et d’arts graphiques. Passionné depuis l’enfance par l’histoire et la culture juive, il a ouvert un blog en 2011, en partie dédié à celles-ci. Ayant vécu dans plusieurs pays, dont vingt ans en Espagne, il s’est récemment installé à Lisbonne.

https://zakhor-online.com/

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4 Comments

  1. Par le plus grand des hasards, les partisans du liberalisme appartiennent presque toujours à des milieux plutôt aisés. Ou bien ils n’ont jamais connu la précarité sociale ou bien ils sont assurés de ne plus la connaître. Mais il s’agit sans doute d’une simple coïncidence…

    • Je comprends votre intervention.
      Le libéralisme est me semble-t-il plus une question de tempérament que de doctrine. Il offre par ailleurs bien des nuances – comme le socialisme me direz-vous.
      Ce qui me préoccupe toujours plus (et je ne suis pas le seul) est le rôle de l’État. Et cette question est me semble-t-il de plus en plus pressante, urgente. Cette question (et pour des raisons historiques et culturelles) est particulièrement présente en France.
      Je ne crois pas que les libéralistes soient des personnes nécessairement aisées, des individus qui cherchent à protéger leurs privilèges comme on le laisse trop souvent entendre. Il y a aujourd’hui, en France tout au moins, beaucoup de (grands) bourgeois qui espèrent ainsi protéger leurs biens et leurs avantages en étant « de gauche ». Et puis c’est trendy. Karl Marx (dont je ne nie pas les mérites ; même s’il s’est beaucoup trompé, il reste un observateur aigu de son temps) était un grand bourgeois. Milton Friedman était d’un milieu fort modeste.

  2. @Olivier Ypsilantis Merci pour votre réponse. Mais pour moi Karl Marx avait typiquement une mentalité de petit bourgeois : son discours sur le “sous prolétariat” (présenté de manière très méprisante) n’est qu’une accumulation de bas préjugés petit bourgeois. Ses goûts littéraires et artistiques étaient on ne peut plus petit bourgeois. Certains bourgeois du dix neuvième n’adheraient pas du tout aux préjugés de leur milieu mais Karl Marx qui se disait anti bourgeois y adhérait pleinement !

  3. Merci pour cette réponse. Je suis profondément anti-marxiste, au moins autant que vous. Je reconnais un mérite à Karl Marx, une observation juste sur certains points précis mais une mauvaise orientation donnée et beaucoup de bavardage prétentieux. Le pire de Karl Marx est son écrit « Sur la question juive », une ignominie, un torche-cul digne de l’anti-judaïsme le plus sinistre avec un zeste d’antisémitisme.

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