Maxime Tandonnet. Les conséquences politiques du débat sur les retraites


Ce que je crois profondément: nous vivons une nouvelle étape de la descente aux enfers de la politique française. Les passions se cristallisent sur les 64 ans qui n’ont strictement aucun intérêt en soi compte tenu des règles du nombre d’annuités (43 ans pour un âge effectif du premier travail à 22,5 ans), de la panoplie de dérogations décidées pour ne pénaliser personne (ou le moins possible) et de la faiblesse du taux d’activité des plus de 60 ans (moins de 30%). La droite LR s’est une fois de plus laissée piégée, réduite à l’état de supplétive de la majorité macroniste par des manœuvres de couloir et contre la volonté populaire de ne pas accorder au chef de l’Etat une majorité absolue. Elle choisit le camp d’un pouvoir qui sombre dans l’impopularité, contre la Nation à 70% et 80% des actifs. Légiférer contre quatre cinquièmes de la force de travail de ce pays – ceux qui payent des impôts – il faut le faire… Et plutôt que de réfléchir et de se remettre en cause, la droite LR s’enfonce dans le déni en vilipendant tout ce qui essaye de la raisonner. Son unique argument désormais consiste à dire: nous sommes “de droite” et devons être cohérents avec le programme de toujours, y compris de Valérie Pécresse qui préconisait les 65 ans. Etre cohérent avec un programme qui a conduit à trois défaites aux présidentielles et 4,8% aux dernières présidentielles, est-ce vraiment intelligent?


Le débat autour du report de l’âge de la retraite – une réforme extrêmement impopulaire – qui se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale fera beaucoup de dégâts dans la classe politique française où les perdants seront plus nombreux que les gagnants.

L’autorité présidentielle n’en sortira pas grandie. Certes, la réforme trouve son origine dans le programme du président Macron. Mais nul n’a oublié que la promesse des 65 ans fut lancée pour déstabiliser la candidature de Valérie Pécresse alors que, quelques mois auparavant, le président proclamait : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal du départ à la retraite. Quand aujourd’hui on est peu qualifié, qu’on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté avec une carrière fracturée, bon courage déjà pour aller jusqu’à 62 ans […] alors on va dire, maintenant, il faut aller jusqu’à 64 ans, vous ne savez pas comment faire pour aller jusqu’à 55 ans […] c’est hypocrite. » Cette spectaculaire volte-face n’est pas de nature à améliorer la confiance des Français en la parole politique.

L’image du gouvernement risque aussi d’en pâtir. Ces 64 ans qui soulèvent la colère d’une vaste majorité de Français apparaissent de plus en plus comme une mesure totémique. Compte tenu des multiples aménagements apportés, la mesure n’aura qu’un impact minime sur l’équilibre des finances publiques. Dès lors que le nombre des annuités exigible est de 43 ans, les 64 ans avaient pour objectif d’obliger à travailler plus de 43 ans les personnes entrées sur le marché du travail avant l’âge de 21 ans (travailleurs manuels). C’est en cela qu’elle est ressentie comme injuste. Cependant, l’ensemble des dérogations à la règle des 64 ans finissent par la neutraliser. Qui pardonnera à un gouvernement d’avoir déchiré (sinon paralysé) le pays pour imposer une règle des 64 ans devenue largement emblématique ? La fermeté dont l’exécutif se prévaut risque de passer pour un accès de mépris.

A l’Assemblée nationale, les cartes aussi seront rebattues. Renaissance avec ses alliés – en dehors de quelques exceptions – mérite plus que jamais le qualificatif de parti godillot, fidèle serviteur du rayonnement élyséen dans une certaine tradition de la Ve République.

A droite de la droite, le RN – qui a longtemps préconisé, à l’inverse de la réforme actuelle, le retour de l’âge de la retraite à 60 ans – se montre plutôt discret, refusant par exemple de soutenir les manifestations. Dans sa quête de la respectabilité, il a laissé à la Nupes le monopole du spectacle dans la contestation de la réforme. Il est possible que cette discrétion soit le prélude à un affaiblissement de ce parti qui risque d’y laisser sa réputation (auto-proclamée) de défenseur du peuple. D’ailleurs son concurrent à l’extérieur du Parlement, Reconquête, pourrait lui aussi pâtir de cette réforme compte tenu du soutien qu’il a apporté au report à 64 ans.

Plus encore, la droite LR est en mauvaise posture. Son adhésion à cette réforme emblématique du double quinquennat, conçue comme un trophée ou un emblème de la « transformation » de la France, la voue au rôle de supplétif. Elle s’en défend en répétant que les 64 ans (plutôt 65) figuraient dans son projet, au risque de fermer les yeux sur tout le reste, l’insignifiance et le caractère injuste de la réforme et le bilan global des six dernières années. La droite LR donne ainsi le sentiment de s’allier à la majorité contre le peuple et de reconstituer artificiellement, par une combinaison de couloir, une majorité absolue que la nation avait refusée au chef de l’Etat en juin dernier.

Alors la Nupes, ou gauche radicalisée, sera-t-elle le vainqueur de l’épreuve de force actuelle ? Le procès d’obstruction qui lui est fait à l’Assemblée nationale semble infondé. Les milliers d’amendements, le chahut et les battements de pupitres font partie de la tradition parlementaire à chaque fois qu’un sujet sensible est en discussion. Cette véhémence est une réponse aux armes du parlementarisme rationalisé (47-1, 49-3) qui visent à écourter les débats, inadaptées à une discussion sur un sujet aussi sensible dans le pays. Dans cette épreuve de force, la Nupes colle à la révolte populaire même si cela ne préjuge évidemment pas de sa capacité à inspirer la confiance comme force d’alternance.

En revanche, le chaos politique semble ouvrir la voie à l’émergence de nouveaux visages. Quelques députés de la droite LR ont manifesté leur caractère et leur vision en se désolidarisant de la ligne de leur parti. Grosso-modo, ce sont les mêmes qui s’étaient opposés à l’alignement de LR sur le gouvernement lors de la crise sanitaire et les mesures de l’Absurdistan dont le passe vaccinal, destiné à « emmerder les non vaccinés ». A travers leur opposition, ils ont perçu ce qui se joue au-delà de la question des 64 ans : une épreuve de force entre la classe dirigeante et la France populaire ou périphérique. Ils sont vilipendés par les notables de leur parti qui les accusent de faire cavalier seul. Pour autant, l’esprit frondeur fait lui aussi partie de la vraie tradition gaullienne. A terme, il est possible que l’avenir leur donne raison.

© Maxime Tandonnet

Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019). A paraître le 3 mar: Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française. Maxime Tandonnet. Perrin Editions.

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1 Comment

  1. Une mesure totalement aberrante (on ne peut quasiment plus retrouver du travail après 50 ans) et qui va surtout impacter les personnes faisant des travaux manuels. C’est à dire les Français pauvres. Milieux populaires et classe moyenne inférieure grosso modo. Toujours sacrifiés par les dirigeants français : chômage et précarité, criminalité et déni de justice etc…Le pire gouvernement de toute l’histoire de Feu la République n’a commis que des fautes graves depuis 2017 et celle ci n’est qu’une parmi beaucoup d’autres. Le vrai débat devrait porter sur l’état catastrophique de l’économie française parce que même dans ce domaine LREM prouve qu’il est totalement incompétent et irresponsable. Les dirigeants des autres pays européens sont parfois aussi inhumains et indifférents aux souffrances de leurs citoyens (“sentiment d’insécurité”…) mais généralement ils ne sont pas aussi nuls en économie que les dirigeants français. Ceux-ci ont même réussi l’exploit exceptionnel de desindustrialiser leur pays sans jamais rectifier le tir et de laisser notre système de production énergétique autrefois très performant péricliter.
    D’ailleurs n’est-ce pas en partie le but de ces polémiques ? Un écran de fumée pour ne pas parler de la crise économique et énergétique catastrophique puisque cela déplairait au pouvoir en place, d’autant qu’en parler amènerait forcément à pointer du doigt les conséquences désastreuses que les sanctions contre la Russie ont eues…non pas sur la Russie mais sur nous. On est dans un contexte de propagande militaire et parler des réalités économiques irait totalement à l’encontre de la dite propagande.

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