Jacques Neuburger nous rappelle les mots de Daniel Farhi z”l: Pourquoi “Shoah” pour désigner “la chose”. Pourquoi “Shoah” après “holocauste”, “hourbane”, “génocide” 

On a ces derniers jours beaucoup parlé de la Shoah, des camps de la mort, on a écrit, on a passé des films, on a commémoré.

Plus encore: on s’est souvenu.

Cependant il y a lieu de s’inquiéter au sujet de cette effrayante banalisation de la mémoire de la Shoah, allant parfois avec une déperdition de sens, voire avec une utilisation ou même une instrumentalisation parfois malsaine. Comment peut-on voir des gens qui un jour commémorent la Shoah et qui le lendemain lorsque on tue une dizaine de personnes, de Juifs, un vendredi soir, dans une synagogue de Jérusalem, commencent à chipoter et oser dire: “Oui, mais, enfin, aussi, il faut comprendre…”

Alors à propos du mot, de la chose effrayante , cruelle, épouvantable, de la réalité qu’il désigne, et à propos de la banalisation de la mémoire, ce texte précieux que le très regretté rabbin Farhi Daniel , Daniel Farhi z”l… publia le 2 février 2017

“Le cœur lourd et l’esprit sombre” (Donald Trump parlant de l’Holocauste)

Je reviens encore une fois sur la “Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité” du 27 janvier dernier. Elle a été célébrée comme il se doit dans de nombreux pays. En France notamment, plusieurs rendez-vous avaient été prévus à l’UNESCO ainsi qu’au Mémorial de la Shoah. Aux Etats-Unis, le président nouvellement élu a soulevé l’indignation presqu’unanime de la communauté juive et nationale en ne faisant aucune allusion aux six millions de victimes juives en tant que telles. Voici le communiqué de la Maison blanche : “C’est avec le cœur lourd et l’esprit sombre que nous honorons et nous rappelons les victimes, les survivants, les héros de l’Holocauste. Il est impossible de comprendre totalement la perversion et les horreurs infligées à des personnes innocentes par la terreur nazie”. A quoi l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a indirectement répondu en rappelant la nature très spécifique de l’Holocauste nazi. Voici ses termes : “L’Holocauste était le génocide sans précédent de 6 millions de Juifs, perpétré par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs, motivés par une idéologie radicalement raciste et antisémite, qui cherchait à annihiler le peuple juif, sa culture, et son héritage.”

Il me paraît très important de revenir sur le long processus qui a abouti au choix du mot biblique “Shoah” pour désigner le génocide des Juifs d’Europe durant la période de la seconde guerre mondiale.

Il a été choisi par l’Etat d’Israël lorsqu’en 1952 il a décidé de fixer une date anniversaire pour commémorer les horreurs perpétrées contre notre peuple par l’Allemagne nazie et ses alliés. Ce fut l’institution du יום השואה, Yom haShoah, le Jour de la Shoah, au 27 du mois hébraïque de nissane. Cette date – arbitraire au regard de toutes les autres non moins chargées de tragiques souvenirs – a été fixée de sorte à se trouver entre la commémoration de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943 (14 nissane 5703) et l’anniversaire de la création de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948 (5 iyar 5708).

L’origine du mot Shoah se trouve dans la Bible (Isaïe, Sophonie, Psaumes, Proverbes, Job) et désigne la ruine, la dévastation, la destruction, la désolation.

Il y avait trois autres termes pour désigner “la chose” : Holocauste, Hourbane, génocide.

Avant le mot Shoah (qu’a définitivement imposé Claude Lanzmann en 1985 dans un film-fleuve magistral de 10 heures), il y avait trois autres termes pour désigner “la chose” : Holocauste, Hourbane, génocide.

Holocauste continue d’avoir la faveur des pays anglo-saxons, mais il présente un inconvénient majeur, celui de correspondre à un sacrifice ordonné par la Torah et librement consenti par ceux qui l’accomplissent. Comment ne pas penser à la akedat Yitshak – la ligature d’Isaac, son sacrifice – où le sacrificateur (Abraham) et le sacrifié (Isaac) “marchaient tous deux ensemble”, וילכו שניהם יחדו vers une issue fatale, n’eût été le coup d’arrêt divin ? Le moins qu’on puisse dire est que ce qui s’est passé pendant la guerre pour les Juifs d’Europe n’avait rien à voir avec un holocauste dont la Bible nous dit que l’odeur montait agréablement aux narines divines !

Le hourbane, mot hébraïque signifiant “destruction”, se référait à la destruction des deux Temples de Jérusalem et à leurs conséquences dramatiques. D’une certaine façon, il convenait mieux que le terme d’holocauste. Mais il n’était sans doute pas assez fort pour rendre compte de l’horreur, multipliée par cent, de l’anéantissement du peuple juif par les nazis et leurs acolytes. Certes la destruction du deuxième Temple en particulier s’est accompagnée de massacres et de déportations ; elle a également mis fin au culte sacrificiel ; elle a entraîné l’exil des Juifs de leur terre. Pour autant, la volonté des Romains n’était ni de s’en prendre aux Juifs en tant que tels, ni de les exterminer à tout jamais comme l’a proclamé le IIIème Reich qui devait, selon ses fondateurs, durer mille ans au moins.

Le mot “génocide” a été créé en 1946 par le professeur de droit international (Juif d’origine polonaise) Raphaël Lemkin (du grec genos, race, et du suffixe latin cide, meurtre). Il l’a appliqué aux massacres des Arméniens par les Jeunes Turcs en 1915 et à celui des Juifs par les nazis en 1939-45. Plus tard, il a été à nouveau utilisé pour le Rwanda, le Cambodge, etc. De façon générale, tous les autres génocides que la Shoah n’ont pas été perpétrés pour des raisons raciales, mais politiques, économiques, etc.

Quant à la journée du 27 janvier, oublierait-on (Trump probablement oui) qu’elle a été fixée en fonction de la découverte et de l’ouverture du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945 par l’armée soviétique, là où périrent plus d’un million de Juifs ? Alors, peut-on réellement minimiser l’omission des victimes juives par le président des Etats-Unis ? Lui qui, le même jour, a signé un décret d’interdiction d’entrée sur le territoire américain de ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Depuis son investiture, il multiplie les actes de provocation et les déclarations fracassantes. Soit, c’est son problème et celui des Américains qui l’ont élu en novembre dernier. Mais qu’indirectement il banalise la Shoah, « nôtre » Shoah relève, au mieux, de son ignorance de l’histoire, au pire d’intentions cachées propres à s’attirer les bonnes grâces de pays pétroliers. En tout état de cause, Yad Vashem a bien fait de rappeler quelques fondamentaux concernant la Shoah, et la communauté juive en Amérique et dans le monde entier de s’opposer vigoureusement à une certaine forme de négationnisme/révisionnisme qui aboutirait à la longue à l’oubli de ce que nos derniers témoins essaient encore, avec leurs forces déclinantes, de nous transmettre.

Notre devoir commun est de lutter contre la banalisation de la Shoah

En ces temps bien inquiétants quant à la résurgence de l’antisémitisme, notre devoir commun est de lutter contre la banalisation de la Shoah. Nos jeunes qui suivent la mode de se faire tatouer devraient aussi réfléchir à ce qu’a signifié pour leurs grands-parents et arrière-grands-parents de se voir infliger un numéro sur l’avant-bras gauche. Nous lisons aussi dans la Torah, depuis une semaine le récit de l’esclavage de nos ancêtres en Egypte et leur libération merveilleuse. Voilà de riches sujets de réflexion au moment où les politiques de tous bords et de toutes nationalités s’empêtrent dans les arcanes du pouvoir, de la dissimulation et de l’hypocrisie alors qu’ils devraient à tout le moins unir leurs efforts pour empêcher les résurgences de la haine, de la xénophobie et du racisme ordinaires. Oui, c’est « le cœur lourd et l’esprit sombre » que nous constatons les dérives actuelles d’une conscience universelle qui s’était un temps réveillée.

Shabbath shalom à tous et à chacun ! Bien amicalement,

Daniel Farhi

Claude Lanzmann, pourquoi Shoah – Toute l’Histoire

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