Pierre Lurçat. En marge de l’invalidation d’Arié Deri par la Cour suprême : Les juges de la Cour suprême : une minorité radicale et coupée du peuple

En marge de la décision très attendue (et prévisible) de la Cour suprême, qui prétend interdire au ministre Arié Deri d’exercer ses fonctions, il importe de comprendre comment cette institution – jadis considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne – est devenue l’organe hyper-politisé qu’elle est aujourd’hui. L’attitude de son actuelle présidente, qui a renoncé ces derniers jours à tout semblant de « réserve » pour s’immiscer dans le débat politique, s’explique par le changement d’attitude de la Cour, depuis la « Révolution constitutionnelle » décrétée par son ancien président, Aharon Barak. 

Esther Hayot

1- Sous la houlette du juge Barak, la Cour suprême israélienne est devenue l’instrument de la poursuite de la domination des anciennes élites (celles d’avant le changement de pouvoir de 1977), comme l’explique le professeur Menahem Mautner dans un ouvrage éclairant[1]. Alors que certains dirigeants du Likoud étaient favorables, avant 1977, à l’adoption d’une Constitution qui servirait de rempart contre l’hégémonie du pouvoir travailliste, dans les faits, la Cour suprême israélienne est ainsi devenue l’instrument de la poursuite de cette hégémonie.

En réalité, la Cour suprême israélienne est devenue non seulement l’instrument des anciennes élites (incarnées par le Parti travailliste et le mouvement kibboutzique) mais aussi et surtout, celui des élites post-sionistes, qui étaient hostiles à la fois à la droite religieuse et aussi aux partisans de l’ancien consensus sioniste de gauche. Ce n’est pas un hasard si la Révolution constitutionnelle a largement coïncidé avec la « révolution culturelle » concomitante aux accords d’Oslo, au début des années 1990[2].

Ce que ces deux événements majeurs ont signifié, dans l’Israël de la fin du 20e siècle, en proie à la montée de l’individualisme et à la fin des idéologies et du sionisme socialiste, était avant tout la montée en puissance des idées post-sionistes et la tentative d’imposer par le pouvoir judiciaire et par des accords politiques arrachés à une majorité très courte leurs conceptions radicales.

2 – Qui représente la Cour suprême israélienne ? Du point de vue sociologique, les juges de la Cour suprême israélienne représentent une minorité radicale et coupée du peuple (la « cellule du parti Meretz qui siège à la Cour suprême israélienne » selon l’expression d’un commentateur israélien). Significativement, la tentative d’introduire un semblant de diversité dans les opinions représentées à la Cour suprême n’a pas remis en cause l’hégémonie des Juifs ashkénazes laïcs de gauche.

Aharon Barak a ainsi créé l’expression de « Test Bouzaglou », dans laquelle Bouzaglou désigne l’homo qualunque israélien. Il s’est défendu dans un livre d’avoir ce faisant voulu stigmatiser les Juifs orientaux, mais il n’en demeure pas moins que le nom de Bouzaglou n’a pas été choisi au hasard. Dans la vision du monde d’A. Barak (comme dans celle d’Hannah Arendt au moment du procès Eichmann) il existe une hiérarchie bien définie dans la société juive israélienne. L’élite est toujours celle des Juifs allemands.

3 – Un autre élément d’explication important est le processus par lequel la Cour suprême israélienne est devenue l’instrument des minorités actives et de gouvernements étrangers qui les soutiennent et les financent. Des gouvernements étrangers se sont ainsi immiscés dans le débat politique israélien en utilisant la Cour suprême israélienne comme un véritable cheval de Troie, par le biais de multiples ONG à financement étranger, comme en attestent les innombrables pétitions de « justiciables palestiniens » manipulés par Chalom Archav, Breaking the silence, etc.

Des valeurs étrangères au peuple d’Israël

Ruth Gabizon[3] avait affirmé que : « La Cour suprême devrait élaborer et renforcer les valeurs qui sont partagées par la société qu’elle sert, valeurs reflétées par les lois de cette société – et non telles qu’envisagées par les juges à titre personnel ou en tant que représentants de valeurs sectorielles… » La réflexion de Gabizon appelle deux remarques. Tout d’abord, peut-on encore affirmer aujourd’hui que la Cour suprême israélienne sert la société ou qu’elle est au service de la société ? En réalité, pour que la Cour suprême soit au service de la société israélienne et de ses valeurs, encore faudrait-il que les juges qui siègent à Jérusalem connaissent les valeurs de la société dans laquelle ils vivent et qu’ils les respectent un tant soit peu… Est-ce le cas aujourd’hui ?

A de nombreux égards, la Cour suprême israélienne représente et défend aujourd’hui des valeurs étrangères au peuple d’Israël : celles de l’assimilation, du post-sionisme et du post-modernisme, etc. Elle s’attaque régulièrement dans ses décisions non seulement aux droits des Juifs sur la Terre d’Israël, mais aussi au mode de vie juif traditionnel et aux valeurs de la famille juive. On peut affirmer, au vu des arrêts de la Cour suprême israélienne depuis 30 ans, qu’elle incarne le visage moderne des Juifs hellénisants de l’époque des Maccabim. Il y a évidemment des exceptions. rappelons le cas du juge Edmond Lévy, qui rédigea l’opinion minoritaire lors de l’expulsion des habitants Juifs du Goush Katif.

© Pierre Lurçat

(Extrait de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël”, paru dans la revue Pardès, no. 67, 2021)


[1] Le déclin du formalisme et l’essor des valeurs dans le droit israélien (anglais), Oxford University Press 1993Du même auteur, voir aussi Law and the Culture of Israel, Oxford University Press 2011.

[2] Sur la “Révolution culturelle” des accords d’Oslo, voir Y. Hazoni, L’Etat juif, sionisme, post-sionisme et destin d’Israël, éd. de l’éclat 2002.

[3] Professeur de droit pressentie pour siéger à la Cour suprême israélienne et écartée par Aharon Barak, récemment décédée.

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5 Comments

  1. La domination d une elite repue et decadente est aujourdhui une donnée constante dans le monde occidental .
    En tant qu israelien, sioniste , traditionaliste , sepharade+je ne partage presque rien avec ces ashkenazes de tendance meretz , mais je m interroge ,neanmoins quand a la disparition de contre pouvoir dans notre societe ; est ce souhaitable ? Je ne le pense pas , et je pense que cour supreme plus proche du peuple doit subsister , avec , bien sur , de la pluralité d opinions .

  2. Nous sommes nombreux à nous interroger sur le tumulte politico-judiciaire en Israël concernant la décision de la Cour Suprême de Justice d’interdire la présence au gouvernement du ministre Aryeh Deri.

    Vu que ceci soulève la question du rôle de la Cour Suprême et de la réforme judiciaire proposée par le gouvernement actuel, réforme qui réduirait considérablement les pouvoirs de cette Cour Suprême.

    Tout ça peut sembler incompréhensible à des francophones intéressés par la question. D’autant que le système judiciaire israélien est l’héritier du système anglo-saxon, et non français.

    Auquel cas la lecture de cet article en Français au « Times Of Israel » pourrait apporter un éclairage :
    https://fr.timesofisrael.com/30-ans-de-demeles-juridiques-de-deri-menacent-lindependance-de-la-justice-en-israel/

    Il faut s’accrocher, c’est long et tout sauf simple…

  3. Suite à l’article de « Times of Israel » cité ci-dessus par Jérémie, j’ajoute que :

    Pierre Lurçat n’est pas à jour.
    Depuis au moins 15 ans l’identité culturelle des juges de la Cour Suprême a évolué. Ils sont nombreux actuellement à pencher du côté « conservateur » et de celui des « Juifs pratiquants ». (Sachant que la distinction entre juges « Ashkenazes » et les autres, soulevée par Lurçat, est obsolète et hors sujet).

    Et même les « conservateur-traditionnalistes » ont voté majoritairement pour l’interdiction du poste de ministre à Arié Deri.

    Entre autres pour une raison très simple qui ne nécessite même pas de connaitre les problèmes judiciaires (condamné pour corruption et ayant séjourné en prison, mine de rien) de Déry d’il y a 30 ans.

    Il a été condamné, à nouveau, il y a un an, pour fraude fiscale. (Récidiviste…Pas une blanche colombe, le bonhomme…).
    Pour échapper à la prison ferme et à l’opprobre (alias l’inéligibilité), il a déclaré devant le tribunal qu’il se retirait de la vie politique et ne briguerait plus la place de député ni de ministre. Cela fut considéré par le Tribunal comme « amende honorable » justifiant le sursis.

    Or, pas plus tard que le lendemain du verdict il déclara devant la presse qu’il comptait bien se représenter comme député et éventuellement ministre dès la prochaine élection (qu’il appela de ses vœux).
    Et d’ailleurs il l’est, pour l’instant : député et ministre.

    Ce mensonge explique pourquoi une telle majorité des juges (10 sur 11…) l’a déclaré inapte au poste de ministre.

    Indépendamment de la réforme judiciaire proposée actuellement.
    Réforme sans doute nécessaire mais peut-être excessive, jetant le bébé avec l’eau du bain.

  4. La société Israélienne s’americanise et s’europeanise. La confusion des esprits et la division s’installent : c’est de très, très mauvaise augure.

    • Et moi je trouve qu’elle s’arabise.
      Nous voyons sous nos yeux se réaliser le vieux rêve des tenants de “l’intégration dans l’espace sémite”.
      Si les projets actuels de révision du système judiciaire se réalisent, ce serait une démocratie de type turque…

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