Alexandre Devecchio et Abnousse Shalmani. “L’Iran, civilisation trois fois millénaire, en rejetant le voile, rejette la charia et l’islam”

ENTRETIEN – L’essayiste et écrivain Abnousse Shalmani, née à Téhéran, fait le bilan de deux mois de manifestations en Iran. En faisant tomber le voile, “étendard de l’islam politique anti-occidental”, les femmes iraniennes ont profondément ébranlé le régime, argumente-t-elle.

Abnousse Shalmani est notamment l’auteur de “Khomeyni, Sade et moi” (Grasset, 2014), un essai autobiographique dans lequel elle évoque son enfance en Iran sous la férule des femmes-corbeaux

LE FIGARO. – Le pouvoir judiciaire a annoncé l’abolition de la police des mœurs en Iran. De nombreux observateurs y voient une manœuvre de diversion. Pour autant, n’est-ce pas un tournant?

Abnousse SHALMANI. -La police des mœurs a-t-elle vraiment été abolie? Elle dépend du ministère de l’Intérieur qui n’a pas réagi aux propos du procureur général d’Iran, Mohammed Faraj Mortazani, annonçant l’arrêt des activités de la police des mœurs. L’information n’a été reprise par aucune autorité. Était-ce un moyen de détourner l’attention de la grève générale? Un os jeté à l’Occident? Car la rue iranienne se fout de cette vraie-fausse information, ce qu’elle réclame depuis plus de quatre-vingts jours, c’est la chute de la République islamique. Il n’est plus question de réforme ou d’accommodement avec les mollahs. Cette drôle d’annonce, cet éparpillement de la parole officielle dit surtout la peur panique de la «mollahrchie».

Par ailleurs, la police des mœurs a été abolie dès le premier jour de ce qui apparaissait alors comme un soulèvement quand les femmes sont descendues dans la rue sans voile, mais aussi sans le manteau réglementaire censé recouvrir le corps, en portant des jeans troués (interdits): il n’y a pas assez d’agents pour contrôler un tel nombre! Alors oui, un directeur de banque a été licencié parce qu’il a reçu une cliente dévoilée, des commerçants ont été traduits en justice pour avoir servi des femmes dévoilées, oui, les femmes risquent toujours la prison et 72 coups de fouet pour avoir marché cheveux aux vents dans l’espace public. Mais la vague est trop forte. Le tournant était déjà là le jour où les voiles ont été brûlés, quand les portraits de Khomeiny, Khamenei ou de Soleimani ont été vandalisés, le jour où des jeunes femmes dévoilées ont levé leurs doigts d’honneur face aux portraits des guides suprêmes, le jour où les turbans des mollahs ont valsé sous le geste transgressif des jeunes et moins jeunes iraniens.

Après deux mois de colère provoqués par la mort de Mahsa Amini, quel bilan peut-on tirer de ce mouvement de contestation. Peut-on parler d’un début de contre-révolution?

Un bilan macabre tout d’abord: 448 morts dont 60 enfants et 29 femmes, plus de 18.000 arrestations et une douzaine – pour l’instant – de condamnations à mort. Et pourtant. Les manifestations, protestations, gestes symboliques contre la République islamique n’ont pas diminué en intensité. Les Iraniens tiennent bon. Il leur est impossible de revenir en arrière. Nous ne sommes pas au début d’une contre-révolution, la révolution est faite! Plus précisément, la révolution des mentalités est faite, il ne reste plus qu’à faire tomber les mollahs du trône.

Les femmes iraniennes, en se dévoilant, en brûlant l’objet de leur discrimination, en réclamant l’égalité des droits, font la preuve que le seul féminisme véritable est universaliste

Abnousse Shalmani. Fabien Clairefond

Tout est parti de la question du voile. Pourquoi?

Dès le 19 septembre, je le professais: si le voile tombe, la République islamique tombe. La révolution islamique de 1979 était aussi une révolution esthétique. Ce que voulait Khomeiny, c’était effacer la Perse préislamique, effacer l’image moderne de l’Iran, effacer les jambes des femmes et la révolution blanche (sous le Shah, les droits des femmes ont progressé plus vite que les droits de l’homme, les femmes iraniennes étaient émancipées car dévoilées). En imposant le voile et un code vestimentaire islamique, Khomeiny, à défaut de créer l’oumma tant désiré (et impossible) a créé une oumma de l’esthétique. À partir de la révolution iranienne, le voile est revenu dans tout l’espace public arabo-musulman, le signe de ralliement à l’islam politique qui a remplacé le nationalisme arabe. Le voile est le symbole, l’étendard de l’islam politique antioccidental. En 1980, Khomeiny disait: «Chaque fois, que dans un autobus, un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution», après ces quatre-vingts jours de dévoilement et de mixité imposés par la rue, sa révolution s’est fracassée!

D’autre part, rappelons que la révolution de Khomeiny était une révolution sunnite dans un pays chiite, que le premier exil de Khomeiny en 1965 a été demandé par le clergé chiite, qui lui reprochait d’avoir introduit le vers sunnite dans la pomme chiite. Le chiisme a une tradition de séparation des pouvoirs séculiers et religieux dès le XVIe siècle sous le règne de chah Abbas le Grand, confirmée par la révolution constitutionnelle de 1906.

L’Iran a été plus longtemps zoroastrien que musulman. Ce que sont en train d’accomplir les Iraniens, c’est de redevenir persans. Parmi les mots d’ordre dans les rues on entend: «Nous sommes les enfants de Cyrus!», Cyrus le Grand, père des droits de l’homme qui a libéré les juifs de Babylone et financé la construction du second temple à Jérusalem. Ou encore, les Iraniens comparent Khamenei au roi tyrannique Zahhak, qui a embrassé le diable Ahriman et se retrouve avec un serpent sur chaque épaule à se nourrir des cerveaux des jeunes gens…

L’Iran, civilisation trois fois millénaire, en rejetant le voile, rejette la charia et l’islam, accomplit sa mue en retrouvant son origine, qu’il n’a jamais quittée: les fêtes iraniennes sont toujours, malgré la République islamique, les fêtes zoroastriennes! Le Nouvel An est toujours le 21 mars, jour de l’équinoxe de printemps. Et dans quelques jours, l’Iran va célébrer la nuit la plus longue, le solstice d’hiver, appelé aussi «Nuit du destin». Cette longue nuit est l’occasion de lire son destin dans le recueil du poète Hafez. Je parie que le destin de l’Iran va se jouer ce 21 décembre 2022.

La réaction des Occidentaux, en particulier celle des féministes, a-t-elle été à la hauteur?

Les femmes iraniennes en se dévoilant, en brûlant l’objet de leur discrimination, en réclamant l’égalité des droits, font la preuve que le seul féminisme véritable est universaliste. Les néo féministes, en refusant de les soutenir, en arguant qu’elles réclament la fin du voile obligatoire et non la fin du voile tout court (si les Iraniennes voulaient la fin du voile obligatoire, elles défileraient avec un voile!), en se rangeant du côté des populations sunnites qui ne comprennent pas ce geste blasphématoire, font la preuve de leur antiféminisme. Les néo féministes sont des charlatans, leur absence de soutien à des femmes qui prennent le risque de mourir pour vivre leurs vies comme les autres.

© Alexandre Divecchio et Abnousse Shalmani

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/l-iran-civilisation-trois-fois-millenaire-en-rejetant-le-voile-rejette-la-charia

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1 Comment

  1. Les néo féministes sont toutes proches de la sphère indigéniste ce qui signifie qu’elles adhèrent aux théories racistes dont elles ou leurs enfants pourraient eux-mêmes être victimes. Elles incarnent la haine de soi à l’image de notre société malade.
    La France avait offert l’asile politique à l’ayatollah Khomeini sous Giscard. Sous Macron, la “révolution islamique” perd du terrain en Iran mais triomphe dans notre propre pays.

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