Simone, je vous écris aussi… Par Gérard Kleczewski

Bonjour Simone Veil. Je ne sais pas si vous pourrez lire cette lettre de là où vous êtes, mais l’épistolaire ou l’e-pistolaire – depuis que l’e-mail est devenu un moyen de communication généralisé – me parait être la forme idoine pour vous parler d’un livre, brillant et émouvant, qui vous est consacré. Ce livre est aussi une lettre de 120 pages. Une lettre intime et universelle à la fois. Trempée dans les larmes. Celles de Tita, la grand-mère de Mona, la narratrice.  

Il est signé Irène Cohen Janca* et son illustratrice est Violette Vaïsse**
Son titre ? « Simone Veil, je vous écris » (1), aux excellentes éditions Suisses « La joie de lire ». 
Sa cible ? La jeunesse, à partir de 13 ans. Mais toutes les générations peuvent le lire car elles y trouveront ce que moi-même j’y ai trouvé : un texte fort et sensible, illustré joliment, qui résume votre parcours, même s’il compte quelques « oublis » volontaires. 

Vous êtes une légende

Chère Simone, vous êtes une légende.  Et toute légende mérite qu’on parle d’elle encore et encore. Que les plus jeunes sachent ce que la société Française vous doit, pas uniquement pour la loi sur l’IVG. Qu’ils sachent aussi que vous n’êtes pas devenue une légende en entrant au Panthéon avec votre mari Antoine. Qu’ils comprennent pourquoi on vous tire le portrait un peu partout dans l’hexagone, notamment grâce à l’artiste C215 (« Christian Guémy ») qui, de Paris à Nice, votre ville natale et de jeunesse, a inscrit votre beau visage sur les boites aux lettres jaunes de la Poste (encore un lien avec l’épistolaire). 
Qu’ils découvrent pourquoi on fait aussi des films sur vous. Des « biopics » comme on dit aujourd’hui. Celui d’Olivier Dahan n’a pas fait l’unanimité ? Peu importe, on parle de vous et de ce que vous avez fait pour nous, c’est cela qui compte ! 
Enfin qu’ils se penchent sur la littérature abondante qui vous est consacrée. Une somme d’ouvrages admiratifs, parfois aux limites extrêmes de l’hagiographie. 
Rarement aussi sensibles que celui d’Irène Cohen Janca. 

Parce que vous êtes une légende, et qu’une légende ne meurt jamais, on donne votre nom à des écoles et à des crèches, à des lycées et des maisons de culture. Par-delà la mort, depuis l’hommage qui vous a été rendu le 5 juillet 2017 aux Invalides, puis votre entrée au Panthéon, la patrie vous est reconnaissante. Elle qui ne vous a pas toujours épargnée… 

A l’heure où vous défendiez la loi pour l’IVG par exemple, combien vous ont insultée et menacée, et ont insulté et menacé vos proches ? Vous étiez claire pourtant : « Aucune femme ne recourt de gaité de cœur à l’avortement. C’est toujours un drame et ça restera toujours un drame. » disiez-vous à la veille du 29 novembre 1974, quand la Loi qui portera à jamais votre nom a été voté sous les huées et parfois les insultes antisémites de quelques messieurs sûrs d’eux-mêmes et dominateurs. 

Un livre nécessaire

Simone, vous l’avez compris, j’ai beaucoup aimé le livre d’Irène Cohen Janca. Je devrais dire “la lettre” d’Irène Cohen Janca, même si c’est Mona qui la signe. Si de là où vous êtes, vous avez pu en connaitre l’existence, vous admettrez comme moi qu’il vient à point, dans une France sens dessus-dessous, pour rappeler ce que les femmes de ce pays, mais aussi les hommes, vous doivent. Pour rappeler aussi à quoi conduit la folie antisémite des hommes qui continue de tuer ici, presque quatre-vingts ans après votre arrivée, apeurée et pas encore majeure, au camp d’Auschwitz. 

Dans cette livre-lettre, vous découvrirez Mona, à l’annonce de votre décès, qui voit des larmes rouler sur les joues de sa grand-mère Tita. Comment elle décide aussitôt d’en savoir plus sur vous. Le courrier qu’elle vous adresse, elle l’adresse aussi indirectement à cette grand-mère. Car pour comprendre sa tristesse soudaine, il va lui falloir suivre la jeune Simone Jacob que vous étiez, du soleil Niçois de votre enfance jusqu’aux camps de concentration et d’extermination. Puis, à votre retour, vous suivre encore alors que vous êtes devenue Simone Veil. Votre parcours incroyable au plus haut niveau de la politique française et européenne (votre élection comme première Présidente du Parlement Européen, pourtant éminemment symbolique, est toutefois éludée). 

A un moment précis, elle vous écrit « Vous êtes prête à entrer dans l’histoire. A devenir cette dame au beau visage grave et mélancolique, et au chignon impeccable. Une icône. Un symbole. Un modèle. » Et ça n’est qu’à la toute fin du livre que Mona va découvrir pourquoi Tita pleurait… 

Cela ne vous étonnera pas, Simone, le passage le plus bouleversant du livre est celui où Mona-Irène vous écrit sur Auschwitz, puis Bobrek puis Bergen Belsen dont vous êtes revenue. Pas votre maman. Et quel douloureux retour…

Lisons-là :

« Revenir. Non, ce retour ne ressemble en rien à ce que vous aviez imaginé, rêvé, espéré. Pour commencer, vous apprenez qu’il y a deux sortes de victimes. Les nobles et les autres. Les résistants, les combattants et ceux déportés uniquement parce que Juifs ou Tziganes. Vous resterez dans le camp un mois encore. Les avions sont réservés aux prisonniers de guerre, aux résistants. Les résistants sont des héros que l’on acclame, écoute. Vous, personne ne veut vous entendre. On évoque à peine votre existence dans les discours politiques. Un mur d’indifférence vous sépare du monde. Une nouvelle souffrance. Se taire. Ne rien raconter. Et cette injustice me parait incroyable, révoltante, après l’enfer que vous avez traversé. »  

Et tandis que j’évoque ce livre, je me mets à douter du titre : « Je vous écris ». Car dès le début de sa lettre, Mona vous tutoie. Mais jusqu’à la page 99 seulement. A partir de la page 100, elle vous vouvoie. Je laisse découvrir aux lecteurs de cet article, qui auront l’envie d’acheter le livre d’Irène Cohen Janca, la raison de ce passage du « tu » au « vous », quand Mona vous dit: « Je ne peux plus maintenant vous tutoyer ».

Je vous connaissais bien, Simone. J’avais déjà conscience à neuf ans de qui vous étiez au moment de la loi sur l’IVG. Puis toutes les années qui ont suivi, je vous ai écoutée, comprise, admirée. Ce, quand bien même mes idées politiques n’étaient pas toujours alignées sur les vôtres. 
J’aurais eu des dizaines de questions à vous poser si je vous avais rencontrée. Notamment une, qui me taraude depuis longtemps : Comment avez-vous pu accepter d’appartenir à un gouvernement qui vous obligeait à être voisine de table de Maurice Papon ?  

Je vous connaissais bien, disais-je, mais plus encore que le « biopic » de Dahan, ou les quelques livres lus récemment à votre sujet, dont le poignant récit recueilli par David Teboul dans « La vie après Birkenau »(2), j’ai trouvé dans le texte délicat et délicieux de ce livre le bonheur de vous retrouver intégralement. La forme épistolaire aura sans doute aidé. Le style sans fioritures de l’écriture d’Irène Cohen Janca et les dessins de Violette Vaïsse aussi. 

Merci à elles deux. Merci à vous Simone. Je vous aimais. 
Grâce à Irène et Violette, je vous aime encore plus ! 

© Gérard Kleczewski

* Née en 1954 à Tunis, en Tunisie, Irène Cohen-Janca est écrivaine et conservatrice de bibliothèque en banlieue parisienne. Traduite dans plusieurs langues, son œuvre compte de nombreux albums et livres pour adolescents, publiés notamment aux éditions du Rouergue, aux éditions des Éléphants et chez Actes Sud Junior. Elle a reçu plusieurs prix dont le Prix de la Foire de Brive 2008, le Prix Korczak 2017 ou encore le BolognaRagazzi Award, catégorie non-fiction.

** Violette Vaïsse est une illustratrice indépendante, basée à Paris. Depuis sa sortie de l’École supérieure des Arts Saint-Luc à Bruxelles, elle alterne projets de commandes pour des marques de vêtements ou de bijoux, illustrations pour des festivals, bandes dessinées à l’attention de la jeunesse et ouvrages plus personnels. 

  • « Simone Veil, je vous écris ». Âge : 13+. 120 pages au format : 14 x 21 cm. Editions La Joie de Lire. ISBN : 9782889086061
  • « Simone Veil, la vie après Birkenau ». Simone Veil. Préface David Teboul. 155 pages. Editions Pocket. 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*